HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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d’achèvement du Louvre et des Tuileries, car Napoléon se proposait d’unir les deux palais et de n’en former qu’un seul, œuvre
immense que, de nos jours, Napoléon III a eu la gloire de mener à terme.
Se plaçant un jour sous le portail du Louvre, et regardant vers l’Hôtel-de-Ville, Napoléon Ier conçut l’idée d’une rue immense,
qui devait être uniformément construite, large comme la rue de la Paix, prolongée jusqu’à la barrière du Trône, de manière que
l’œil pût plonger d’un côté jusqu’aux Champs-Élysées, de l’autre jusqu’aux premiers arbres de Vincennes. Le nom destiné à cette
rue était celui de rue Impériale. Un monument était depuis longtemps décrété sur la place de l’ancienne Bastille. Napoléon voulait
que ce fût un arc triomphal, assez vaste pour donner passage, à travers le portail du milieu, à la grande rue projetée, et placé à
l’intersection de cette rue et du canal Saint-Martin. Les architectes ayant déclaré l’impossibilité d’une telle construction sur une
base pareille, Napoléon résolut de transporter cet arc à la place de l’Étoile, pour qu’il fît face aux Tuileries, et devînt l’une des
extrémités de la ligne immense qu’il voulait tracer au sein de sa capitale. Si de nos jours la rue de Rivoli a réalisé la première
de ces deux combinaisons, si un autre gouvernement a élevé l’arc de triomphe, nous n’en devons pas moins renvoyer l’idée de
ces merveilleuses entreprises à Napoléon Ier. Ce prince, préoccupé de projets utiles, trouva indigne de la prospérité de l’Empire
que la capitale manquât d’eau, tandis que dans son sein coulait une belle et limpide rivière. Les fontaines n’étaient ouvertes que
le jour; il voulut que des travaux fussent exécutés sur-le-champ aux pompes de Notre-Dame, du Pont-Neuf, de Chaillot, du
Gros-Caillou, pour faire couler l’eau jour et nuit. En même temps, et par des décrets impériaux, il ordonna l’érection de quinze
fontaines nouvelles; celle du Château-d’Eau était comprise dans cette création. En deux mois, une partie de ces ordres furent
exécutés, et l’eau jaillissait jour et nuit des soixante-cinq fontaines anciennes. Sur l’emplacement de celles qui venaient d’être
décrétées, des bornes provisoires répandaient l’eau, en attendant que les fontaines elles-mêmes fussent élevées. Le trésor public
avait fourni les fonds nécessaires à cette dépense, et l’Empereur jugeait avec raison que Paris étant le cœur de la France, la
France devait lui venir en aide. Vers le même temps (1806), Napoléon prescrivit la continuation des quais de la Seine, et
décida que le pont du Jardin des Plantes, alors en construction, porterait le glorieux nom A Austerlitz. S’étant aperçu, en visitant
le Champ-de-Mars, pour arrêter le plan des fêtes qui se préparaient, qu’une communication était indispensable sur ce point entre
les deux rives de la Seine, il ordonna l’établissement d’un pont en pierre, qui devait être le plus beau de la capitale, et qui
reçut le nom de pont d/Iéna, nom destiné à populariser l’une des plus glorieuses pages de la campagne qui allait s’ouvrir contre
la Prusse.
La situation intérieure de l’Empire se présentait alors sous un aspect glorieux et rassurant; le voyageur qui aurait parcouru la
France, à cette époque de réorganisation générale, se serait lassé à considérer les améliorations nombreuses dues au génie
infatigable de l’Empereur, et nées, pour ainsi dire, de son impulsion. La trace des malheurs révolutionnaires s’effacait de jour en
jour, et l’urbanité des mœurs nationales reprenait ses droits. La France et l’Italie se couvraient de monuments remarquables, de
toutes parts le travail enfantait des œuvres utiles : on canalisait les fleuves, on creusait des ports, on ouvrait des routes hardies
à travers les Alpes, on desséchait les marais, on multipliait les ressources de l’industrie, on décrétait des ponts nouveaux, des
quais splendides, des arsenaux formidables, et toutes ces merveilles s’accomplissaient à la voix d’un homme.
Cependant, tandis que la France, agrandie et victorieuse, comptait sur la durée de ce bien-être, son redoutable ennemi , William
Pitt, fils de lord Chatam, conjurait contre elle sur le continent de nouvelles ligues; la mort de ce ministre et l’avénement de Fox
rendirent quelque espérance aux partisans de la paix, mais cette attente fut trompée, et la Prusse elle-même parut disposée à jeter
le gant à la France. Pour comble de disgrâce, Fox mourut à son tour (13 septembre 1806), et rien ne put arrêter les peuples de
l’Europe sur la pente de la guerre. En attendant le jour où devaient éclater les hostilités, Napoléon réunit à son royaume d’Italie
les anciens domaines de la république de Venise; de son frère Joseph, il fit un roi de Naples et de Sicile; il donna à son beau-frère,
Joachim Murat (plus tard roi de Naples), le grand-duché de Berg et de Clèves; il érigea la Hollande en royaume au profit de son
frère Louis, enfin il concéda à ses sœurs de vastes et nombreux apanages princiers pris sur l’Italie. Vers le même temps, il
accomplit une œuvre élaborée et continuée lentement mais avec persévérance depuis la bataille d’Austerlitz, nous voulons parler
de l’établissement de la confédération du Rhin, combinaison qui avait pour but de soumettre à la France, comme nations vassales,
la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade et près de la moitié des petites puissances de l’Allemagne occidentale. Ainsi
se reconstituait peu à peu la formidable monarchie de Charlemagne.
L’Autriche se résigna; mais la Prusse, hors d’état de contenir plus longtemps ses colères, tira l’épée, et, soutenue par la
Russie, engagea une nouvelle lutte contre la France. Napoléon s’y était attendu, et le 8 octobre, les ennemis ayant occupé le
territoire saxon, qui dépendait de la confédération du Rhin, l’Empereur se porta en avant avec la grande armée. Nous n’avons
point ici à raconter les faits d’armes, à décrire les victoires d’Iéna et d’Auerstaedt, à peindre l’entrée triomphale des Français à
Weimar, dans la Hesse, à Berlin, à Spandau, à Magdebourg, à esquisser le récit d’une campagne qui se termina en quelques mois
par la conquête entière de la Prusse. Ces détails ne rentreraient pas directement dans notre cadre, et nous sommes contraints de
nous borner à l’esquisse rapide de l’histoire de Paris. Or, quoique vue à distance, la situation qu’offrait alors Paris n’était pas telle
2me P. — P. M.
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PARIS MODERNE.
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d’achèvement du Louvre et des Tuileries, car Napoléon se proposait d’unir les deux palais et de n’en former qu’un seul, œuvre
immense que, de nos jours, Napoléon III a eu la gloire de mener à terme.
Se plaçant un jour sous le portail du Louvre, et regardant vers l’Hôtel-de-Ville, Napoléon Ier conçut l’idée d’une rue immense,
qui devait être uniformément construite, large comme la rue de la Paix, prolongée jusqu’à la barrière du Trône, de manière que
l’œil pût plonger d’un côté jusqu’aux Champs-Élysées, de l’autre jusqu’aux premiers arbres de Vincennes. Le nom destiné à cette
rue était celui de rue Impériale. Un monument était depuis longtemps décrété sur la place de l’ancienne Bastille. Napoléon voulait
que ce fût un arc triomphal, assez vaste pour donner passage, à travers le portail du milieu, à la grande rue projetée, et placé à
l’intersection de cette rue et du canal Saint-Martin. Les architectes ayant déclaré l’impossibilité d’une telle construction sur une
base pareille, Napoléon résolut de transporter cet arc à la place de l’Étoile, pour qu’il fît face aux Tuileries, et devînt l’une des
extrémités de la ligne immense qu’il voulait tracer au sein de sa capitale. Si de nos jours la rue de Rivoli a réalisé la première
de ces deux combinaisons, si un autre gouvernement a élevé l’arc de triomphe, nous n’en devons pas moins renvoyer l’idée de
ces merveilleuses entreprises à Napoléon Ier. Ce prince, préoccupé de projets utiles, trouva indigne de la prospérité de l’Empire
que la capitale manquât d’eau, tandis que dans son sein coulait une belle et limpide rivière. Les fontaines n’étaient ouvertes que
le jour; il voulut que des travaux fussent exécutés sur-le-champ aux pompes de Notre-Dame, du Pont-Neuf, de Chaillot, du
Gros-Caillou, pour faire couler l’eau jour et nuit. En même temps, et par des décrets impériaux, il ordonna l’érection de quinze
fontaines nouvelles; celle du Château-d’Eau était comprise dans cette création. En deux mois, une partie de ces ordres furent
exécutés, et l’eau jaillissait jour et nuit des soixante-cinq fontaines anciennes. Sur l’emplacement de celles qui venaient d’être
décrétées, des bornes provisoires répandaient l’eau, en attendant que les fontaines elles-mêmes fussent élevées. Le trésor public
avait fourni les fonds nécessaires à cette dépense, et l’Empereur jugeait avec raison que Paris étant le cœur de la France, la
France devait lui venir en aide. Vers le même temps (1806), Napoléon prescrivit la continuation des quais de la Seine, et
décida que le pont du Jardin des Plantes, alors en construction, porterait le glorieux nom A Austerlitz. S’étant aperçu, en visitant
le Champ-de-Mars, pour arrêter le plan des fêtes qui se préparaient, qu’une communication était indispensable sur ce point entre
les deux rives de la Seine, il ordonna l’établissement d’un pont en pierre, qui devait être le plus beau de la capitale, et qui
reçut le nom de pont d/Iéna, nom destiné à populariser l’une des plus glorieuses pages de la campagne qui allait s’ouvrir contre
la Prusse.
La situation intérieure de l’Empire se présentait alors sous un aspect glorieux et rassurant; le voyageur qui aurait parcouru la
France, à cette époque de réorganisation générale, se serait lassé à considérer les améliorations nombreuses dues au génie
infatigable de l’Empereur, et nées, pour ainsi dire, de son impulsion. La trace des malheurs révolutionnaires s’effacait de jour en
jour, et l’urbanité des mœurs nationales reprenait ses droits. La France et l’Italie se couvraient de monuments remarquables, de
toutes parts le travail enfantait des œuvres utiles : on canalisait les fleuves, on creusait des ports, on ouvrait des routes hardies
à travers les Alpes, on desséchait les marais, on multipliait les ressources de l’industrie, on décrétait des ponts nouveaux, des
quais splendides, des arsenaux formidables, et toutes ces merveilles s’accomplissaient à la voix d’un homme.
Cependant, tandis que la France, agrandie et victorieuse, comptait sur la durée de ce bien-être, son redoutable ennemi , William
Pitt, fils de lord Chatam, conjurait contre elle sur le continent de nouvelles ligues; la mort de ce ministre et l’avénement de Fox
rendirent quelque espérance aux partisans de la paix, mais cette attente fut trompée, et la Prusse elle-même parut disposée à jeter
le gant à la France. Pour comble de disgrâce, Fox mourut à son tour (13 septembre 1806), et rien ne put arrêter les peuples de
l’Europe sur la pente de la guerre. En attendant le jour où devaient éclater les hostilités, Napoléon réunit à son royaume d’Italie
les anciens domaines de la république de Venise; de son frère Joseph, il fit un roi de Naples et de Sicile; il donna à son beau-frère,
Joachim Murat (plus tard roi de Naples), le grand-duché de Berg et de Clèves; il érigea la Hollande en royaume au profit de son
frère Louis, enfin il concéda à ses sœurs de vastes et nombreux apanages princiers pris sur l’Italie. Vers le même temps, il
accomplit une œuvre élaborée et continuée lentement mais avec persévérance depuis la bataille d’Austerlitz, nous voulons parler
de l’établissement de la confédération du Rhin, combinaison qui avait pour but de soumettre à la France, comme nations vassales,
la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade et près de la moitié des petites puissances de l’Allemagne occidentale. Ainsi
se reconstituait peu à peu la formidable monarchie de Charlemagne.
L’Autriche se résigna; mais la Prusse, hors d’état de contenir plus longtemps ses colères, tira l’épée, et, soutenue par la
Russie, engagea une nouvelle lutte contre la France. Napoléon s’y était attendu, et le 8 octobre, les ennemis ayant occupé le
territoire saxon, qui dépendait de la confédération du Rhin, l’Empereur se porta en avant avec la grande armée. Nous n’avons
point ici à raconter les faits d’armes, à décrire les victoires d’Iéna et d’Auerstaedt, à peindre l’entrée triomphale des Français à
Weimar, dans la Hesse, à Berlin, à Spandau, à Magdebourg, à esquisser le récit d’une campagne qui se termina en quelques mois
par la conquête entière de la Prusse. Ces détails ne rentreraient pas directement dans notre cadre, et nous sommes contraints de
nous borner à l’esquisse rapide de l’histoire de Paris. Or, quoique vue à distance, la situation qu’offrait alors Paris n’était pas telle
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