HISTOIRE. - PARIS MODERNE.
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charte ^ordonnance de réformation, expression qui tendait à faire considérer la loi fondamentale du pays comme essentiellement
révocable par le prince. Nous croyons superflu de rappeler à la génération présente que cette charte établissait le gouvernement
représentatif, proclamait l’égalité devant la loi, la liberté de la presse et des cultes, instituait une chambre héréditaire et une
chambre élective, et conférait au roi la plénitude du pouvoir exécutif. L’article 14 réservait au souverain le droit de faire « les
réglements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’Etat, » rédaction vague et mystérieuse, sous
laquelle, en forçant le sens littéral, on trouvait implicitement caché le droit de faire des coups d’Etat et de détruire les lois
régulières. ,
La première Restauration essaya de se maintenir sur un sol bouleversé par les révolutions ; mais il aurait fallu un miracle pour
ne former qu’une nation compacte de ces éléments divers qui s’agitaient chacun dans sa sphère. Les émigrés, se croyant sûrs
d’un éternel triomphe, traitaient de révoltes les glorieuses luttes soutenues, sous la République et l’Empire, contre les puissances
étrangères; ils déploraient des conquêtes qui avaient coûté un sang précieux à la France, et qui, pour le peuple, étaient une cause
d’orgueil. Le roi, les princes, leurs amis avaient dit : « Rien n’est changé en France, il n’y a que des Français de plus. » Mais
c’était là une illusion dangereuse : tout était changé en France, et sous peine de se briser contre les nouveaux intérêts et les idées
en possession de l’opinion publique, il fallait tenir compte de la situation du pays, et mieux comprendre les faits contre lesquels
on se raidissait en paraissant les subir. Des ressentiments et des haines fermentaient donc dans les rangs du peuple et de l’armée.
Quoique possédant la sécurité et le bien-être, la France regrettait la limite du Rhin et ses provinces perdues; elle n’acceptait
pas d’ailleurs cette fiction qui attribuait à Louis XVIII un règne de dix-neuf ans, et semblait supprimer la République, le Consulat
et l’Empire comme des accidents historiques dont il valait mieux ne pas garder mémoire.
L’histoire spéciale de Paris, durant cette période de transition, n’offrit rien de bien remarquable. Epuisée par les sacrifices
d’hommes et d’argent nécessités par l’invasion, la capitale du royaume ressemblait à un malade qui se repose, à un blessé
convalescent, à qui Ton ordonne de s’abstenir d’agitation et de mouvement. Les transactions commerciales avaient repris leur
cours régulier; les fêtes publiques et les spectacles continuaient d’attirer la foule; les pompes religieuses, depuis vingt-cinq ans
mises en oubli, reprenaient possession de la voie publique, aux jours des grandes solennités; il y avait des banquets de gardes
du corps, des bals municipaux, des parades de la garde royale. Quant aux monuments, aux projets d’embellissements de Paris,
aux créations nouvelles et utiles, l’argent manquait pour les réaliser, et on attendait des jours meilleurs. Les événements politiques
ayant fait descendre la statue de Napoléon 1er du faîte de la colonne, cette glorieuse effigie fut remplacée par une fleur de lis à
quatre faces, haute d’un mètre, et portée par une flèche de six mètres d’élévation, à laquelle fut adapté le drapeau blanc. Le roi
ayant prescrit la construction de la chapelle expiatoire qui existe aujourd’hui, rue d’Anjou-Saint-Honoré, des fouilles eurent lieu
dans l’ancien cimetière de la Madeleine, et l’on exhuma les ossements à demi calcinés de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Ces
restes mortels furent pieusement transférés dans la nouvelle tombe qui était destinée à les recevoir, et, le 21 janvier, jour anniversaire
du régicide, une cérémonie funèbre eut lieu dans les églises de Paris. Les Jacobins (il s’en trouvait encore) furent froissés de
ces solennelles manifestations de repentir et de deuil, mais ils n’osèrent laisser éclater au dehors leur déplaisir, et ils se bornèrent
à de sourdes et silencieuses attaques.
Dans l’hiver de 1814 à 181b, une émotion assez vive se produisit à l’occasion de l’inhumation d’une célèbre tragédienne ,
Mlle Raucourt, qui avait refusé, à son lit de mort, les secours de la religion, et que le peuple voulait introduire à Saint-Roch.
Le clergé ferma les portes de l’église, mais Louis XVIII, qui n’attachait aux croyances religieuses et aux choses du dogme qu’une
importance assez médiocre, ordonna de procéder aux funérailles, selon le rit de l’Église. Cet acte d’autorité brutale apaisa les
faubourgs et plut aux voltairiens, encore fort nombreux alors.
La situation politique ne réalisait pas les espérances du parti royaliste. Les discours imprudents de quelques émigrés, leur
dédain pour les droits nouveaux indisposaient les esprits contre le pouvoir. Les ennemis de la Restauration allaient partout
colportant le bruit mensonger du rétablissement des privilèges féodauxdu retour des dîmes, de la prochaine confiscation des
biens nationaux. D’un autre côté, l’armée avait été vivement froissée par d’imprudentes réformes; elle s’affligeait de voir la plupart
de ses officiers réduits à la demi-solde. Quant à la population de Paris, elle souffrait dans son orgueil froissé par les derniers
événements militaires. Encore émue du tressaillement de l’invasion, elle se trouvait partagée entre ces deux sentiments : le désir
de la paix et la douleur de la défaite. Les Bourbons, à qui l’on cachait la vérité, ne se rendaient pas compte de la disposition
des esprits; mais l’empereur Napoléon, alors exilé sur les rochers de l’île d’Elbe, épiait avec une vigilante anxiété ce qui se passait
en France, et il attendait d’un jour à l’autre qu’une occasion favorable s’offrît à lui de venir arborer le drapeau tricolore sur les
tours de Notre-Dame. A Paris, le peuple.ne se cachait guère pour laisser éclater ses sentiments; dans les réunions d’artisans et
d’ouvriers, on commençait à porter des toasts au caporal la Violette, à Jean de l’Épée, et l’on ajournait à la prochaine floraison
de la violette le retour de l’Empereur.
Le 26 février, Napoléon mit à la voile pour la France; le 1er mars, il débarqua dans le golfe de Juan; le 7 mars, il entra à
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charte ^ordonnance de réformation, expression qui tendait à faire considérer la loi fondamentale du pays comme essentiellement
révocable par le prince. Nous croyons superflu de rappeler à la génération présente que cette charte établissait le gouvernement
représentatif, proclamait l’égalité devant la loi, la liberté de la presse et des cultes, instituait une chambre héréditaire et une
chambre élective, et conférait au roi la plénitude du pouvoir exécutif. L’article 14 réservait au souverain le droit de faire « les
réglements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’Etat, » rédaction vague et mystérieuse, sous
laquelle, en forçant le sens littéral, on trouvait implicitement caché le droit de faire des coups d’Etat et de détruire les lois
régulières. ,
La première Restauration essaya de se maintenir sur un sol bouleversé par les révolutions ; mais il aurait fallu un miracle pour
ne former qu’une nation compacte de ces éléments divers qui s’agitaient chacun dans sa sphère. Les émigrés, se croyant sûrs
d’un éternel triomphe, traitaient de révoltes les glorieuses luttes soutenues, sous la République et l’Empire, contre les puissances
étrangères; ils déploraient des conquêtes qui avaient coûté un sang précieux à la France, et qui, pour le peuple, étaient une cause
d’orgueil. Le roi, les princes, leurs amis avaient dit : « Rien n’est changé en France, il n’y a que des Français de plus. » Mais
c’était là une illusion dangereuse : tout était changé en France, et sous peine de se briser contre les nouveaux intérêts et les idées
en possession de l’opinion publique, il fallait tenir compte de la situation du pays, et mieux comprendre les faits contre lesquels
on se raidissait en paraissant les subir. Des ressentiments et des haines fermentaient donc dans les rangs du peuple et de l’armée.
Quoique possédant la sécurité et le bien-être, la France regrettait la limite du Rhin et ses provinces perdues; elle n’acceptait
pas d’ailleurs cette fiction qui attribuait à Louis XVIII un règne de dix-neuf ans, et semblait supprimer la République, le Consulat
et l’Empire comme des accidents historiques dont il valait mieux ne pas garder mémoire.
L’histoire spéciale de Paris, durant cette période de transition, n’offrit rien de bien remarquable. Epuisée par les sacrifices
d’hommes et d’argent nécessités par l’invasion, la capitale du royaume ressemblait à un malade qui se repose, à un blessé
convalescent, à qui Ton ordonne de s’abstenir d’agitation et de mouvement. Les transactions commerciales avaient repris leur
cours régulier; les fêtes publiques et les spectacles continuaient d’attirer la foule; les pompes religieuses, depuis vingt-cinq ans
mises en oubli, reprenaient possession de la voie publique, aux jours des grandes solennités; il y avait des banquets de gardes
du corps, des bals municipaux, des parades de la garde royale. Quant aux monuments, aux projets d’embellissements de Paris,
aux créations nouvelles et utiles, l’argent manquait pour les réaliser, et on attendait des jours meilleurs. Les événements politiques
ayant fait descendre la statue de Napoléon 1er du faîte de la colonne, cette glorieuse effigie fut remplacée par une fleur de lis à
quatre faces, haute d’un mètre, et portée par une flèche de six mètres d’élévation, à laquelle fut adapté le drapeau blanc. Le roi
ayant prescrit la construction de la chapelle expiatoire qui existe aujourd’hui, rue d’Anjou-Saint-Honoré, des fouilles eurent lieu
dans l’ancien cimetière de la Madeleine, et l’on exhuma les ossements à demi calcinés de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Ces
restes mortels furent pieusement transférés dans la nouvelle tombe qui était destinée à les recevoir, et, le 21 janvier, jour anniversaire
du régicide, une cérémonie funèbre eut lieu dans les églises de Paris. Les Jacobins (il s’en trouvait encore) furent froissés de
ces solennelles manifestations de repentir et de deuil, mais ils n’osèrent laisser éclater au dehors leur déplaisir, et ils se bornèrent
à de sourdes et silencieuses attaques.
Dans l’hiver de 1814 à 181b, une émotion assez vive se produisit à l’occasion de l’inhumation d’une célèbre tragédienne ,
Mlle Raucourt, qui avait refusé, à son lit de mort, les secours de la religion, et que le peuple voulait introduire à Saint-Roch.
Le clergé ferma les portes de l’église, mais Louis XVIII, qui n’attachait aux croyances religieuses et aux choses du dogme qu’une
importance assez médiocre, ordonna de procéder aux funérailles, selon le rit de l’Église. Cet acte d’autorité brutale apaisa les
faubourgs et plut aux voltairiens, encore fort nombreux alors.
La situation politique ne réalisait pas les espérances du parti royaliste. Les discours imprudents de quelques émigrés, leur
dédain pour les droits nouveaux indisposaient les esprits contre le pouvoir. Les ennemis de la Restauration allaient partout
colportant le bruit mensonger du rétablissement des privilèges féodauxdu retour des dîmes, de la prochaine confiscation des
biens nationaux. D’un autre côté, l’armée avait été vivement froissée par d’imprudentes réformes; elle s’affligeait de voir la plupart
de ses officiers réduits à la demi-solde. Quant à la population de Paris, elle souffrait dans son orgueil froissé par les derniers
événements militaires. Encore émue du tressaillement de l’invasion, elle se trouvait partagée entre ces deux sentiments : le désir
de la paix et la douleur de la défaite. Les Bourbons, à qui l’on cachait la vérité, ne se rendaient pas compte de la disposition
des esprits; mais l’empereur Napoléon, alors exilé sur les rochers de l’île d’Elbe, épiait avec une vigilante anxiété ce qui se passait
en France, et il attendait d’un jour à l’autre qu’une occasion favorable s’offrît à lui de venir arborer le drapeau tricolore sur les
tours de Notre-Dame. A Paris, le peuple.ne se cachait guère pour laisser éclater ses sentiments; dans les réunions d’artisans et
d’ouvriers, on commençait à porter des toasts au caporal la Violette, à Jean de l’Épée, et l’on ajournait à la prochaine floraison
de la violette le retour de l’Empereur.
Le 26 février, Napoléon mit à la voile pour la France; le 1er mars, il débarqua dans le golfe de Juan; le 7 mars, il entra à