HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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alors ces étranges lignes, le service de ne point le nommer; bornons-nous à dire que le public et le temps ont fait justice de cette
sévérité déplacée. —Le 4 octobre, les représentations de l’opéra italien eurent lieu à l’Odéon, et y furent continuées durant toute
la saison d’hiver. Ce jour-là, on donnait VOtello, de Rossini, et les dilettanti purent admirer le talent de Tamburini et de
Mlle Grisi, que des maîtres plus modernes n’ont point encore fait oublier. Le 10 novembre eut lieu l’ouverture du théâtre de la
Renaissance, dans la salle Ventadour, où est installée aujourd’hui la comédie italienne. Le 1er décembre, on remarqua les débuts
de Mario (M. de Candia). — Le 10, furent célébrées en grande pompe les funérailles du maréchal Lobau, un des vieux soldats
de Napoléon. — L’exposition de peinture de 1838 attira ajuste titre la foule; on admira le Daniel, de M. Ziégler, et la Médée,
de M. E. Delacroix. — Dans la sphère-littéraire, nous devons signaler Ruy-Blas, de M. Victor Hugo, et les œuvres poétiques
d’Hégésippe Moreau, le Gilbert du XIXe siècle.
Au milieu de ces préoccupations artistiques et littéraires, Paris se croyait pour toujours délivré de la crainte des émeutes, lorsque,
le 12 mai 1839, un nouvel attentat vint troubler tout-à-coup son repos. Ce n’était pas, cette fois, le résultat d’une de ces
émotions soudaines qui passionnent une multitude aveugle et irritée; la ville était calme, les citoyens se livraient aux loisirs
d’un jour de fête, les premiers magistrats de la cité assistaient aux courses du Champ-de-Mars. Soudain, un certain nombre de
ventes carbonariques, qui s’étaient formées sous la dénomination de Société des Saisons, descendaient dans la rue, armées, et
déployant le drapeau de la révolte; elles avaient pour chef suprême Armand Barbés, un des conspirateurs les plus opiniâtres
qui aient figuré dans nos annales contemporaines. Les insurgés débutèrent par piller quelques boutiques d’armuriers, et bientôt
après ils débouchèrent, par la rue des Arcis, sur les quais de la rive droite. Les uns se portèrent sur le poste du Palais-de-Justice,
en passant par le pont Notre-Dame et en descendant le quai aux Fleurs; les autres suivirent les quais, et vinrent attaquer le poste
de la place du Châtelet. Barbés commandait le premier de ces deux rassemblements; l’officier qui était de garde au Palais-de-Justice,
voyant venir les républicains, se porta au-devant d’eux, et les exhorta à se retirer; répondant par un refus à la sommation de
rendre ses armes, il fut tué d’un coup de fusil. Au même instant l’attroupement fit feu sur le poste; plusieurs hommes furent tués
ou blessés, les autres dispersés, et leurs armes tombèrent aux mains de l’émeute. Cette attaque avait eu pour but de faciliter une
autre tentative dirigée sur la Préfecture de Police. Bientôt les insurgés parurent sur le quai des Orfèvres, mais les gardes
municipaux placés soit dans la cour, soit aux fenêtres de la Préfecture, les accueillirent par une fusillade si vive qu’ils s’enfuirent
dans toutes les directions. Une autre collision.eut lieu sur le quai des Augustins; là non plus les insurgés ne purent tenir tête à la
garde municipale. Ils échouèrent également sur la place du Châtelet; mais s’étant portés sur la place de l’Hôtel-de—Ville, ils se
rendirent maîtres du poste, puis du haut des degrés qui dominaient la place. Une de leurs bandes se dirigea ensuite vers le marché
Saint-Jean, attaqua le détachement qui occupait le poste, et, après une décharge meurtrière qui tua ou blessa sept militaires, elle
s’établit dans cette position. Vers le même temps, les quartiers voisins se couvraient de barricades qui furent enlevées et
détruites par la troupe ; les insurgés attaquèrent les mairies des sixième et septième arrondissements, et enlevèrent les armes qui
y étaient déposées. Durant le cours de ces tentatives, le rappel battait dans toutes les rues, et de tous côtés l’armée et la garde
nationale accouraient en force pour rétablir l’autorité des lois. Bientôt la lutte changea de face, et les insurgés se virent partout
accablés par le nombre. Ils se retranchèrent dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin, et aux abords du marché des Innocents.
Leurs barricades, commençant à la rue du Coq, et s’échelonnant jusqu’à l’extrémité de la rue Saint-Honoré, se liaient, par les
rues Aubry-le-Boucher, Saint-Méry et Bar-du-Bec/au marché Saint-Jean, de telle sorte que les barricades offraient une ligne
continue, dont le point de départ avoisinait le Palais-Royal, et remontait jusqu’à la hauteur de la place Royale. Cette ligne
s’appuyait à gauche sur la rue Montmartre, où l’on arrivait par une série de barricades; elle s’étendait jusqu’à la rue Pavée, et,
par le passage du Grand-Cerf, elle venait prendre son point de communication avec la rue Saint-Denis, presque vis-à-vis la rue
Grenétat. La ligne opposée dépassait la mairie du sixième arrondissement, et s’appuyait également sur la rue Grenétat. Par la
rue Royale-Saint-Martin, où une barricade était élevée, elle arrivait à la rotonde du Temple, et delà elle s’étendait jusqu’à la rue
Saint-Louis par un ensemble de barricades liéesdes unes aux autres. Jusqu’à la nuit, quelques engagements peu meurtriers eurent
lieu aux abords de ces positions; mais la force publique dut attendre la journée du lendemain pour tenter contre elles une attaque
décisive. Cependant, le 13 mai, par une singulière coïncidence d’événements, la matinée parut calme, et la population des
autres quartiers, persuadée que l’émeute s’était dispersée d’elle-même, à la faveur de la nuit, reprit ses occupations paisibles. Vers
midi, une grande affluence de curieux se portèrent vers les rues où l’on s’était battu la veille. Favorisés par cette foule, les insurgés
se montrèrent de nouveau et recommencèrent la lutte. Ils échouèrent dans leur attaque dirigée contre la caserne des Minimes,
et dans une collision dont le quartier du Temple fut le théâtre, plusieurs hommes périrent de part et d’autre. Vers trois heures
de l’après-midi, des bandes insurrectionnelles, portant le corps sanglant d’un homme du peuple qui avait reçu la mort dans leurs
rangs, se dirigèrent vers la place Maubert, et bientôt après vers l’École Polytechnique, qu’elles essayèrent d’attirer sous les
drapeaux de l’émeute. Déjouées dans leurs espérances par la fermeté du général Tholosé, elles se dispersèrent dans les rues étroites
qui entourent le Panthéon. La dernière lutte s’engagea aux abords de l’église Saint-Leu; mais là encore force demeura à la loi.
PARIS MODERNE.
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alors ces étranges lignes, le service de ne point le nommer; bornons-nous à dire que le public et le temps ont fait justice de cette
sévérité déplacée. —Le 4 octobre, les représentations de l’opéra italien eurent lieu à l’Odéon, et y furent continuées durant toute
la saison d’hiver. Ce jour-là, on donnait VOtello, de Rossini, et les dilettanti purent admirer le talent de Tamburini et de
Mlle Grisi, que des maîtres plus modernes n’ont point encore fait oublier. Le 10 novembre eut lieu l’ouverture du théâtre de la
Renaissance, dans la salle Ventadour, où est installée aujourd’hui la comédie italienne. Le 1er décembre, on remarqua les débuts
de Mario (M. de Candia). — Le 10, furent célébrées en grande pompe les funérailles du maréchal Lobau, un des vieux soldats
de Napoléon. — L’exposition de peinture de 1838 attira ajuste titre la foule; on admira le Daniel, de M. Ziégler, et la Médée,
de M. E. Delacroix. — Dans la sphère-littéraire, nous devons signaler Ruy-Blas, de M. Victor Hugo, et les œuvres poétiques
d’Hégésippe Moreau, le Gilbert du XIXe siècle.
Au milieu de ces préoccupations artistiques et littéraires, Paris se croyait pour toujours délivré de la crainte des émeutes, lorsque,
le 12 mai 1839, un nouvel attentat vint troubler tout-à-coup son repos. Ce n’était pas, cette fois, le résultat d’une de ces
émotions soudaines qui passionnent une multitude aveugle et irritée; la ville était calme, les citoyens se livraient aux loisirs
d’un jour de fête, les premiers magistrats de la cité assistaient aux courses du Champ-de-Mars. Soudain, un certain nombre de
ventes carbonariques, qui s’étaient formées sous la dénomination de Société des Saisons, descendaient dans la rue, armées, et
déployant le drapeau de la révolte; elles avaient pour chef suprême Armand Barbés, un des conspirateurs les plus opiniâtres
qui aient figuré dans nos annales contemporaines. Les insurgés débutèrent par piller quelques boutiques d’armuriers, et bientôt
après ils débouchèrent, par la rue des Arcis, sur les quais de la rive droite. Les uns se portèrent sur le poste du Palais-de-Justice,
en passant par le pont Notre-Dame et en descendant le quai aux Fleurs; les autres suivirent les quais, et vinrent attaquer le poste
de la place du Châtelet. Barbés commandait le premier de ces deux rassemblements; l’officier qui était de garde au Palais-de-Justice,
voyant venir les républicains, se porta au-devant d’eux, et les exhorta à se retirer; répondant par un refus à la sommation de
rendre ses armes, il fut tué d’un coup de fusil. Au même instant l’attroupement fit feu sur le poste; plusieurs hommes furent tués
ou blessés, les autres dispersés, et leurs armes tombèrent aux mains de l’émeute. Cette attaque avait eu pour but de faciliter une
autre tentative dirigée sur la Préfecture de Police. Bientôt les insurgés parurent sur le quai des Orfèvres, mais les gardes
municipaux placés soit dans la cour, soit aux fenêtres de la Préfecture, les accueillirent par une fusillade si vive qu’ils s’enfuirent
dans toutes les directions. Une autre collision.eut lieu sur le quai des Augustins; là non plus les insurgés ne purent tenir tête à la
garde municipale. Ils échouèrent également sur la place du Châtelet; mais s’étant portés sur la place de l’Hôtel-de—Ville, ils se
rendirent maîtres du poste, puis du haut des degrés qui dominaient la place. Une de leurs bandes se dirigea ensuite vers le marché
Saint-Jean, attaqua le détachement qui occupait le poste, et, après une décharge meurtrière qui tua ou blessa sept militaires, elle
s’établit dans cette position. Vers le même temps, les quartiers voisins se couvraient de barricades qui furent enlevées et
détruites par la troupe ; les insurgés attaquèrent les mairies des sixième et septième arrondissements, et enlevèrent les armes qui
y étaient déposées. Durant le cours de ces tentatives, le rappel battait dans toutes les rues, et de tous côtés l’armée et la garde
nationale accouraient en force pour rétablir l’autorité des lois. Bientôt la lutte changea de face, et les insurgés se virent partout
accablés par le nombre. Ils se retranchèrent dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin, et aux abords du marché des Innocents.
Leurs barricades, commençant à la rue du Coq, et s’échelonnant jusqu’à l’extrémité de la rue Saint-Honoré, se liaient, par les
rues Aubry-le-Boucher, Saint-Méry et Bar-du-Bec/au marché Saint-Jean, de telle sorte que les barricades offraient une ligne
continue, dont le point de départ avoisinait le Palais-Royal, et remontait jusqu’à la hauteur de la place Royale. Cette ligne
s’appuyait à gauche sur la rue Montmartre, où l’on arrivait par une série de barricades; elle s’étendait jusqu’à la rue Pavée, et,
par le passage du Grand-Cerf, elle venait prendre son point de communication avec la rue Saint-Denis, presque vis-à-vis la rue
Grenétat. La ligne opposée dépassait la mairie du sixième arrondissement, et s’appuyait également sur la rue Grenétat. Par la
rue Royale-Saint-Martin, où une barricade était élevée, elle arrivait à la rotonde du Temple, et delà elle s’étendait jusqu’à la rue
Saint-Louis par un ensemble de barricades liéesdes unes aux autres. Jusqu’à la nuit, quelques engagements peu meurtriers eurent
lieu aux abords de ces positions; mais la force publique dut attendre la journée du lendemain pour tenter contre elles une attaque
décisive. Cependant, le 13 mai, par une singulière coïncidence d’événements, la matinée parut calme, et la population des
autres quartiers, persuadée que l’émeute s’était dispersée d’elle-même, à la faveur de la nuit, reprit ses occupations paisibles. Vers
midi, une grande affluence de curieux se portèrent vers les rues où l’on s’était battu la veille. Favorisés par cette foule, les insurgés
se montrèrent de nouveau et recommencèrent la lutte. Ils échouèrent dans leur attaque dirigée contre la caserne des Minimes,
et dans une collision dont le quartier du Temple fut le théâtre, plusieurs hommes périrent de part et d’autre. Vers trois heures
de l’après-midi, des bandes insurrectionnelles, portant le corps sanglant d’un homme du peuple qui avait reçu la mort dans leurs
rangs, se dirigèrent vers la place Maubert, et bientôt après vers l’École Polytechnique, qu’elles essayèrent d’attirer sous les
drapeaux de l’émeute. Déjouées dans leurs espérances par la fermeté du général Tholosé, elles se dispersèrent dans les rues étroites
qui entourent le Panthéon. La dernière lutte s’engagea aux abords de l’église Saint-Leu; mais là encore force demeura à la loi.