HISTOIRE. - PARIS ANCIEN.
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avoit déjà faict perdre à plusieurs autres, Voterait à la meilleure noblesse de cet État qui estimeroit ne devoir être plus
malheureuse que luy en suivant son exemple.
Cinq ans après, le maréchal de Marillac montait à son tour sur l’échafaud de la place de Grève. Le maréchal devait beaucoup
à Richelieu, ce qui ne l’empêcha pas d’être un des agents du complot qui aboutit à la journée des Dupes. Richelieu eut le tort de
le faire juger chez lui, à Ruel, ce qui donna au châtiment un air de vengeance. Les faits imputés au maréchal étaient d’ailleurs
uniquement relatifs au service de l’Etat. Il s’agissait de pêculat, de concussions, de faussetés et suppositions de quittances, etc.
« C’est chose bien étrange, disait Marillac, de me poursuivre comme l’on fait: il ne s’agit en tout ceci que de foin, de paille, de
pierre, de bois, de chaux; il n’y a pas de quoi faire fouetter un laquais. » — « Près de 300,000 livres de larcins sur les
fortifications, répondait Richelieu, 100,000 livres d’exactions sur les communautés, et le butin énorme qu’il a fait sur le pain de
munition^.... sont-ce des fautes de laquais? Toutes les corvées auxquelles il a contraint les peuples pour en mettre le salaire
en sa bourse passeront-elles pour un crime de paille ? »
Le maréchal subit le dernier supplice, le 10 mai 1632. Il fut amené; portières abattues, et le chevalier du guet s’était fait
remettre dès le matin les clefs de chacune des portes de Paris, afin de prévenir toute entreprise en sa faveur. Lorsqu’il fut sur
l’échafaud., le Salve Regina fut chanté « en la manière accoutumée, dit un récit du temps, et ledit sieur de Marillac ne dit
aucune chose sérieuse que pour prier Dieu, et ainsi finit ses jours. »
Les autres grandes exécutions de Richelieu s’accomplirent loin de Paris : Chalais fut décapité à Nantes, Montmorency à Toulouse,
Cinq-Mars et de Thon à Lyon. ’ \ • • ' . . • ' .
Quant à la lutte avec la maison d’Autriche, elle ne produisit à Paris qu’un retentissement lointain. Un jour cependant la
nouvelle arriva dans la capitale que les bandes espagnoles s’étaient emparées de Corbie et du cours de la Somme. L’effroi fut
général. Qu’allait faire Richelieu? « Nos ennemis sont à quinze lieues de Paris, écrivait Voiture, et les siens sont dedans. Il a,
tous les jours, avis que l’on y fait des pratiques pour le perdre. La France et l’Espagne, par manière de dire, sont conjurées
contre lui seul et il n’a pas fait une démarche en arrière Il a songé aux périls de l’Etat,. et non pas aux siens; et tout
le changement que l’on a vu en lui, durant ce temps-là, est qu’au lieu qu’il n’avoit accoutumé de sortir qu’accompagné de deux
cents gardes, il se promena tousjes jours, suivi seulement de cinq à six gentilshommes. » Puis il marche lui-même en plein
hiver contre Corbie, « et ceux que l’on avoit jetés dedans, c’est encore Voiture qui parle, ont été bien aises que le roy leur
permît d’en sortir. »
Suivons maintenant Richelieu dans l’impulsion qu’il donna aux arts et aux lettres. Pour les arts, il n’eut qu’à suivre les traces
de la reine-mère qui, en sa qualité d’Italienne et de Médicis, avait ce goût des palais et des statues qui semble inné à Florence.
De Brosse dessina pour elle le Luxembourg dans le style des palais du Val d’Arno, et refit l’aqueduc d’Arcueil, dont il restait
encore quelques débris romains. L’eau retrouvée se répandit aussitôt dans lé nouveau palais, du fond d’une grotte Ornée d’une
statue de Naïade : on eût dit un souvenir des nymphées italiennes. - . ’ .
Le même de Brosse élevait la façade de Saint-Gervais et lui donnait cette forme pyramidale à plusieurs ordres, qui rappelait
Palladio et allait devenir, pour près de deux siècles, le frontispice obligé de toutes les églises de France. L’œuvre de de Brosse
se distingue du moins de toutes celles qui l’ont suivie par une grandeur de proportions et une hardiesse de dessin qui en font
oublier la froideur académique. ' . -
Avec Richelieu le palais et l’église de la Sorbonne s’élèvent sous la direction de Lemercier. Le même artiste construit le dôme
du Louvre; Métézeau termine la galerie du bord de l’eau; et le Palais-Cardinal, autre œuvre de Lemercier, remplace tout un
ensemble de jardins et de palais dont l’acquisition seule coûta 816,618 livres. Les fossés de la ville sont en même temps rejetés
au Nord, par delà le Mail; de larges rues sont ouvertes, la rue Richelieu, entr’autres, qui sert de communication entre le
palais du cardinal et sa villa de la Grange-Batelière. Le Pré-aux-Clercs se couvre de maisons que desservent les longues rues
parallèles de Saint-Dominique, Jacob, Bourbon, Verneuil et le quai Mal-Acquest. L’île Notre-Dame, abandonnée jusqu’alors aux
troupeaux, devient, sous la direction de l’entrepreneur Marie, un vaste quartier entouré de quais spacieux, percé de rues
uniformes et peuplé de riches hôtels. Une église y est dédiée à saint Louis et donne bientôt son nom à l’île entière.
Sur le terre-plein du Pont-Neuf, Louis XIII avait placé la statue de Henri IV, œuvre commune de Dupré, monté sur un
cheval de Jean de Bologne. Sur la place Royale, Richelieu érigea celle de Louis XIII. La statue était de'Biard, le cheval de Daniel
de Volterre. Rubens avait été appelé à Paris par Marie de Médicis, et on l’avait vu emprunter à la mythologie ses plus riants
souvenirs et à la peinture ses plus riches couleurs, pour répandre une teinte d’héroïsme sur les péripéties si diverses de la vie
de la reine. Philippe de Champagne peignait en même temps pour Marie les appartements du Luxembourg, et, pour les Carmélites
de la rue Saint-Jacques, le célèbre Crucifix de leur chapelle; Simon Vouët créait l’Ecole française et recevait un appartement au
Louvre; Nicolas Poussin était appelé de Rome par Richelieu, et arrivait à Paris dans un carrosse du roi (1640),. Louis XIII
l’avait nommé son peintre ordinaire et lui avait fait préparer dans le jardin, des Tuileries un logement que l’illustre peintre quitta
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avoit déjà faict perdre à plusieurs autres, Voterait à la meilleure noblesse de cet État qui estimeroit ne devoir être plus
malheureuse que luy en suivant son exemple.
Cinq ans après, le maréchal de Marillac montait à son tour sur l’échafaud de la place de Grève. Le maréchal devait beaucoup
à Richelieu, ce qui ne l’empêcha pas d’être un des agents du complot qui aboutit à la journée des Dupes. Richelieu eut le tort de
le faire juger chez lui, à Ruel, ce qui donna au châtiment un air de vengeance. Les faits imputés au maréchal étaient d’ailleurs
uniquement relatifs au service de l’Etat. Il s’agissait de pêculat, de concussions, de faussetés et suppositions de quittances, etc.
« C’est chose bien étrange, disait Marillac, de me poursuivre comme l’on fait: il ne s’agit en tout ceci que de foin, de paille, de
pierre, de bois, de chaux; il n’y a pas de quoi faire fouetter un laquais. » — « Près de 300,000 livres de larcins sur les
fortifications, répondait Richelieu, 100,000 livres d’exactions sur les communautés, et le butin énorme qu’il a fait sur le pain de
munition^.... sont-ce des fautes de laquais? Toutes les corvées auxquelles il a contraint les peuples pour en mettre le salaire
en sa bourse passeront-elles pour un crime de paille ? »
Le maréchal subit le dernier supplice, le 10 mai 1632. Il fut amené; portières abattues, et le chevalier du guet s’était fait
remettre dès le matin les clefs de chacune des portes de Paris, afin de prévenir toute entreprise en sa faveur. Lorsqu’il fut sur
l’échafaud., le Salve Regina fut chanté « en la manière accoutumée, dit un récit du temps, et ledit sieur de Marillac ne dit
aucune chose sérieuse que pour prier Dieu, et ainsi finit ses jours. »
Les autres grandes exécutions de Richelieu s’accomplirent loin de Paris : Chalais fut décapité à Nantes, Montmorency à Toulouse,
Cinq-Mars et de Thon à Lyon. ’ \ • • ' . . • ' .
Quant à la lutte avec la maison d’Autriche, elle ne produisit à Paris qu’un retentissement lointain. Un jour cependant la
nouvelle arriva dans la capitale que les bandes espagnoles s’étaient emparées de Corbie et du cours de la Somme. L’effroi fut
général. Qu’allait faire Richelieu? « Nos ennemis sont à quinze lieues de Paris, écrivait Voiture, et les siens sont dedans. Il a,
tous les jours, avis que l’on y fait des pratiques pour le perdre. La France et l’Espagne, par manière de dire, sont conjurées
contre lui seul et il n’a pas fait une démarche en arrière Il a songé aux périls de l’Etat,. et non pas aux siens; et tout
le changement que l’on a vu en lui, durant ce temps-là, est qu’au lieu qu’il n’avoit accoutumé de sortir qu’accompagné de deux
cents gardes, il se promena tousjes jours, suivi seulement de cinq à six gentilshommes. » Puis il marche lui-même en plein
hiver contre Corbie, « et ceux que l’on avoit jetés dedans, c’est encore Voiture qui parle, ont été bien aises que le roy leur
permît d’en sortir. »
Suivons maintenant Richelieu dans l’impulsion qu’il donna aux arts et aux lettres. Pour les arts, il n’eut qu’à suivre les traces
de la reine-mère qui, en sa qualité d’Italienne et de Médicis, avait ce goût des palais et des statues qui semble inné à Florence.
De Brosse dessina pour elle le Luxembourg dans le style des palais du Val d’Arno, et refit l’aqueduc d’Arcueil, dont il restait
encore quelques débris romains. L’eau retrouvée se répandit aussitôt dans lé nouveau palais, du fond d’une grotte Ornée d’une
statue de Naïade : on eût dit un souvenir des nymphées italiennes. - . ’ .
Le même de Brosse élevait la façade de Saint-Gervais et lui donnait cette forme pyramidale à plusieurs ordres, qui rappelait
Palladio et allait devenir, pour près de deux siècles, le frontispice obligé de toutes les églises de France. L’œuvre de de Brosse
se distingue du moins de toutes celles qui l’ont suivie par une grandeur de proportions et une hardiesse de dessin qui en font
oublier la froideur académique. ' . -
Avec Richelieu le palais et l’église de la Sorbonne s’élèvent sous la direction de Lemercier. Le même artiste construit le dôme
du Louvre; Métézeau termine la galerie du bord de l’eau; et le Palais-Cardinal, autre œuvre de Lemercier, remplace tout un
ensemble de jardins et de palais dont l’acquisition seule coûta 816,618 livres. Les fossés de la ville sont en même temps rejetés
au Nord, par delà le Mail; de larges rues sont ouvertes, la rue Richelieu, entr’autres, qui sert de communication entre le
palais du cardinal et sa villa de la Grange-Batelière. Le Pré-aux-Clercs se couvre de maisons que desservent les longues rues
parallèles de Saint-Dominique, Jacob, Bourbon, Verneuil et le quai Mal-Acquest. L’île Notre-Dame, abandonnée jusqu’alors aux
troupeaux, devient, sous la direction de l’entrepreneur Marie, un vaste quartier entouré de quais spacieux, percé de rues
uniformes et peuplé de riches hôtels. Une église y est dédiée à saint Louis et donne bientôt son nom à l’île entière.
Sur le terre-plein du Pont-Neuf, Louis XIII avait placé la statue de Henri IV, œuvre commune de Dupré, monté sur un
cheval de Jean de Bologne. Sur la place Royale, Richelieu érigea celle de Louis XIII. La statue était de'Biard, le cheval de Daniel
de Volterre. Rubens avait été appelé à Paris par Marie de Médicis, et on l’avait vu emprunter à la mythologie ses plus riants
souvenirs et à la peinture ses plus riches couleurs, pour répandre une teinte d’héroïsme sur les péripéties si diverses de la vie
de la reine. Philippe de Champagne peignait en même temps pour Marie les appartements du Luxembourg, et, pour les Carmélites
de la rue Saint-Jacques, le célèbre Crucifix de leur chapelle; Simon Vouët créait l’Ecole française et recevait un appartement au
Louvre; Nicolas Poussin était appelé de Rome par Richelieu, et arrivait à Paris dans un carrosse du roi (1640),. Louis XIII
l’avait nommé son peintre ordinaire et lui avait fait préparer dans le jardin, des Tuileries un logement que l’illustre peintre quitta