VOYAGE EN ESPAGNE.
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ceux qui sont en état de péché mortel; et des rois, Charles III, Charles IV;
des princes du sang; des poëtes qui s'appelaient Lope de Véga, Calderon;
des hommes de guerre éminents, des gens du monde, n'avaient pas craint
de compromettre leur dignité en souscrivant aux actes obligatoires de
tous les confrères. On les a vus, une bourse en main, quêter, le soir
dans les salons, comme à travers les rues, à la porte des églises, et,
ramener dans le chemin du salut presque autant d'âmes qu'il s'en éga-
rait. Ils possédaient une vaste maison de refuge, toujours ouverte aux
pécheurs repentants, aux femmes qui s'étaient oubliés, aux hommes que
la justice avait dégradés et qui n'osaient rentrer dans le monde. Aujour-
d'hui, l'établissement primordial s'est scindé en deux maisons dis-
tinctes; l'une qui reçoit les coupables, culpables; l'autre qui n'admet
que les personnes égarées, eælraviados.
Tel malfaiteur sort des prisons du royaume ou du bagne; il se repent;
il désire commencer une vie nouvelle; mais le moyen de refaire cette vie
au milieu d'une société qui suspecte ses intentions, qui l'a repoussé, qui
aurait honte de le reprendre ostensiblement dans son sein? En France,
la chose ne serait guère possible; en Espagne rien ne paraît plus simple;
il s'adresse à la maison du péché mortel; aussitôt elle lui ouvre ses
portes; il y trouve des parents, des frères, des amis; on ne lui demande
ni ce qu'il a fait, ni d'où il vient, ni ce qu'il entend devenir. Qu'en sait-il
lui-même? L'important est de se cacher et de vivre. On lui donne une
nourriture, un vêtement convenables, du travail, et bientôt cet être dé-
gradé se régénère. Il en est de même des femmes égarées ou perdues.
Quelle qu'ait été leur faute, elles trouvent amour, charité, dévouement,
bons exemples dans la maison du péché mortel; et quand le stage de
purification finit, elles reçoivent un certificat de repentance dont la va-
leur n'est contestée par personne, certificat qui leur ménage un retour
honorable dans le monde. L'autre maison du péché mortel, consacrée
aux femmes pauvres devenues mères, aux jeunes filles égarées, ne s'in-
forme que d'une chose, de la réalité des grossesses. Pour entrer dans
cette maison, il ne faut ni certificat, ni témoignage d'étrangers, ni
recommandation de la police; il faut avoir besoin... « Les nobles cœurs
qui composent la confrérie entendent la sainte mission qu'ils ont ac-
ceptée; ils savent que l'humiliation, que l'espionnage, que toutes ces
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ceux qui sont en état de péché mortel; et des rois, Charles III, Charles IV;
des princes du sang; des poëtes qui s'appelaient Lope de Véga, Calderon;
des hommes de guerre éminents, des gens du monde, n'avaient pas craint
de compromettre leur dignité en souscrivant aux actes obligatoires de
tous les confrères. On les a vus, une bourse en main, quêter, le soir
dans les salons, comme à travers les rues, à la porte des églises, et,
ramener dans le chemin du salut presque autant d'âmes qu'il s'en éga-
rait. Ils possédaient une vaste maison de refuge, toujours ouverte aux
pécheurs repentants, aux femmes qui s'étaient oubliés, aux hommes que
la justice avait dégradés et qui n'osaient rentrer dans le monde. Aujour-
d'hui, l'établissement primordial s'est scindé en deux maisons dis-
tinctes; l'une qui reçoit les coupables, culpables; l'autre qui n'admet
que les personnes égarées, eælraviados.
Tel malfaiteur sort des prisons du royaume ou du bagne; il se repent;
il désire commencer une vie nouvelle; mais le moyen de refaire cette vie
au milieu d'une société qui suspecte ses intentions, qui l'a repoussé, qui
aurait honte de le reprendre ostensiblement dans son sein? En France,
la chose ne serait guère possible; en Espagne rien ne paraît plus simple;
il s'adresse à la maison du péché mortel; aussitôt elle lui ouvre ses
portes; il y trouve des parents, des frères, des amis; on ne lui demande
ni ce qu'il a fait, ni d'où il vient, ni ce qu'il entend devenir. Qu'en sait-il
lui-même? L'important est de se cacher et de vivre. On lui donne une
nourriture, un vêtement convenables, du travail, et bientôt cet être dé-
gradé se régénère. Il en est de même des femmes égarées ou perdues.
Quelle qu'ait été leur faute, elles trouvent amour, charité, dévouement,
bons exemples dans la maison du péché mortel; et quand le stage de
purification finit, elles reçoivent un certificat de repentance dont la va-
leur n'est contestée par personne, certificat qui leur ménage un retour
honorable dans le monde. L'autre maison du péché mortel, consacrée
aux femmes pauvres devenues mères, aux jeunes filles égarées, ne s'in-
forme que d'une chose, de la réalité des grossesses. Pour entrer dans
cette maison, il ne faut ni certificat, ni témoignage d'étrangers, ni
recommandation de la police; il faut avoir besoin... « Les nobles cœurs
qui composent la confrérie entendent la sainte mission qu'ils ont ac-
ceptée; ils savent que l'humiliation, que l'espionnage, que toutes ces