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LES NUITS D'ESPAGNE.
gocier l'entrevue solennelle. La pétulance française ne s'accommoderait
guère d'une cour de plusieurs années; cependant, j'ai vu beaucoup de
nos officiers n'arriver à l'autel que par ce chemin de traverse, et ne
maudire ni la longueur du temps, ni la succession des caprices de leur
Dulcinée. Ils sont cependant quelquefois bien grands, car la femme use
alors à discrétion d'un empire qu'elle sait devoir perdre quand elle
passe sous le joug matrimonial. Je dis le joug, sans crainte d'employer
un mot trop expressif, parce qu'en Espagne, ainsi qu'en Allemagne, le
mari devient maître, maître absolu, et sa femme n'a d'autre ressource
que de le saluer, comme les femmes de la Bible : « Mon seigneur, je
suis votre servante. »
Par la belle saison, c'est-à-dire neuf mois sur douze, dans presque
toute la Péninsule les nuits sont délicieuses; l'air arrive aux poumons
chargé de molécules odoriférantes; un ciel bleu scintillant d'étoiles sourit
d'une manière continue; les novios expérimentés promènent leurs norias
dans les allées solitaires; à Madrid, hors de la porte d'Atocha; à Séville,
sur le cours de San-Tehno, à Grenade au Triunfo, etc.; tandis qu'une
foule de beautés errantes, au teint brun, aux cheveux noirs, aux grands
yeux, à la petite bouche bien coupée, bien bordée, bien rose, vous
agacent, vous entortillent et vous captivent. Étrangers débonnaires,
soyez d'airain si c'est possible, fuyez les sirènes dont l'aspect a quelque-
fois un charme si séducteur, et gardez-vous de croire sur parole ces
fausses duègnes qui vantent les grâces, l'esprit, l'amabilité de leurs pen-
sionnaires avec toute l'apparence d'une conviction profonde. Que vos
yeux, à demi captivés, ne se laissent point distraire par des costumes
de circonstance, appropriés à des tailles gracieuses, qui se balancent,
accompagnées d'airs de tète qu'on ne rencontre nulle part ailleurs
qu'en Espagne. Les gitanas, les mozas de l'Andalousie et de la ville de
Grenade sont particulièrement dangereuses. Tous les voyageurs le
témoignent.
Heureusement, quand l'immoralité chemine ainsi, la morale suit une
voie parallèle; morale organisée, militante, connue sous le nom de con-
frérie du péché mortel. Certain jour, quelques philanthropes de Madrid
s'étaient réunis ?ara hacer bien y decir misas por la convercion de los que
estan en pecado mortal, pour faire le bien et dire des messes au profit de
LES NUITS D'ESPAGNE.
gocier l'entrevue solennelle. La pétulance française ne s'accommoderait
guère d'une cour de plusieurs années; cependant, j'ai vu beaucoup de
nos officiers n'arriver à l'autel que par ce chemin de traverse, et ne
maudire ni la longueur du temps, ni la succession des caprices de leur
Dulcinée. Ils sont cependant quelquefois bien grands, car la femme use
alors à discrétion d'un empire qu'elle sait devoir perdre quand elle
passe sous le joug matrimonial. Je dis le joug, sans crainte d'employer
un mot trop expressif, parce qu'en Espagne, ainsi qu'en Allemagne, le
mari devient maître, maître absolu, et sa femme n'a d'autre ressource
que de le saluer, comme les femmes de la Bible : « Mon seigneur, je
suis votre servante. »
Par la belle saison, c'est-à-dire neuf mois sur douze, dans presque
toute la Péninsule les nuits sont délicieuses; l'air arrive aux poumons
chargé de molécules odoriférantes; un ciel bleu scintillant d'étoiles sourit
d'une manière continue; les novios expérimentés promènent leurs norias
dans les allées solitaires; à Madrid, hors de la porte d'Atocha; à Séville,
sur le cours de San-Tehno, à Grenade au Triunfo, etc.; tandis qu'une
foule de beautés errantes, au teint brun, aux cheveux noirs, aux grands
yeux, à la petite bouche bien coupée, bien bordée, bien rose, vous
agacent, vous entortillent et vous captivent. Étrangers débonnaires,
soyez d'airain si c'est possible, fuyez les sirènes dont l'aspect a quelque-
fois un charme si séducteur, et gardez-vous de croire sur parole ces
fausses duègnes qui vantent les grâces, l'esprit, l'amabilité de leurs pen-
sionnaires avec toute l'apparence d'une conviction profonde. Que vos
yeux, à demi captivés, ne se laissent point distraire par des costumes
de circonstance, appropriés à des tailles gracieuses, qui se balancent,
accompagnées d'airs de tète qu'on ne rencontre nulle part ailleurs
qu'en Espagne. Les gitanas, les mozas de l'Andalousie et de la ville de
Grenade sont particulièrement dangereuses. Tous les voyageurs le
témoignent.
Heureusement, quand l'immoralité chemine ainsi, la morale suit une
voie parallèle; morale organisée, militante, connue sous le nom de con-
frérie du péché mortel. Certain jour, quelques philanthropes de Madrid
s'étaient réunis ?ara hacer bien y decir misas por la convercion de los que
estan en pecado mortal, pour faire le bien et dire des messes au profit de