A LA RÉVÉRENDE MÈRE MATHILDE
SUPÉRIEURE GENERALE DE LA CONGREGATION DE LA PROVIDENCE.
Avlla (Posada del Ro^tro), 30 niai 1852.
Ma BIEN CHÈRE SUPÉRIEURE,
Dois-je remercier ou maudire mon hôte , qui m'oblige à compter
deux fois, parce qu'une première fois je me suis permis de compter sans
lui? S'il n'avait renvoyé le commissionnaire chargé de me prévenir
du passage de la diligence, au lieu d'écrire une lettre datée d'Avila,
je vous écrirais de Salamanque, sous le charme d'impressions clas-
siques; tandis qu'ici tout parle un pieux langage, tout semble se
grouper avec harmonie pour peupler les solitudes de l'àme.
Au point de vue géologique, rien de plus étonnant que la position
d'Avila. Un jour, dans un de ces grands jours dont chaque heure repré-
sente une année, les sommets du Guadarrama s'écroulèrent et leurs dé-
bris énormes furent charriés le long d'une vallée de six lieues, jusqu'à
ce qu'ayant rencontré d'autres courants plus forts, ils se sont arrêtés.
Sur ce tassement gigantesque, fila vint s'asseoir. Avant d'y arriver,
nous aperçûmes des amas de rochers qui, n'ayant pu cheminer plus
loin, ont constitué la digue contre laquelle se sont brisés les impuis-
sants efforts des débris accumulés derrière eux. De ce phénomène il
résulte que le sol élevé d'Avila s'avance comme un promontoire dans
un immense lac de sable, jadis couvert d'eaux saumâtres, mais dont
l'agriculture a dû prendre possession depuis plusieurs milliers d'années.
Cette histoire sans date demeure intraductible; et pourtant, voici
que sur les places, dans les rues, dans certains hôtels d'Avila se ren-
contrent d'énormes animaux en granit, sculptés grossièrement par des
mains barbares dont le faire n'a rien ni du type espagnol, ni du type
gothique, ni du type romain, ni du type grec, et qui, parmi des images
d'animaux reconnaissables, tels que porcs, chiens et taureaux, rappel-
lent les formes du mastodonte, contemporain des derniers déluges.
Jusque vers la fin du onzième siècle, Avila traverse les âges sans
jeter d'autre éclat que celui qui résulte du bruit des armes; mais à
cette époque d'émancipation religieuse, le joug de l'islamisme cesse
SUPÉRIEURE GENERALE DE LA CONGREGATION DE LA PROVIDENCE.
Avlla (Posada del Ro^tro), 30 niai 1852.
Ma BIEN CHÈRE SUPÉRIEURE,
Dois-je remercier ou maudire mon hôte , qui m'oblige à compter
deux fois, parce qu'une première fois je me suis permis de compter sans
lui? S'il n'avait renvoyé le commissionnaire chargé de me prévenir
du passage de la diligence, au lieu d'écrire une lettre datée d'Avila,
je vous écrirais de Salamanque, sous le charme d'impressions clas-
siques; tandis qu'ici tout parle un pieux langage, tout semble se
grouper avec harmonie pour peupler les solitudes de l'àme.
Au point de vue géologique, rien de plus étonnant que la position
d'Avila. Un jour, dans un de ces grands jours dont chaque heure repré-
sente une année, les sommets du Guadarrama s'écroulèrent et leurs dé-
bris énormes furent charriés le long d'une vallée de six lieues, jusqu'à
ce qu'ayant rencontré d'autres courants plus forts, ils se sont arrêtés.
Sur ce tassement gigantesque, fila vint s'asseoir. Avant d'y arriver,
nous aperçûmes des amas de rochers qui, n'ayant pu cheminer plus
loin, ont constitué la digue contre laquelle se sont brisés les impuis-
sants efforts des débris accumulés derrière eux. De ce phénomène il
résulte que le sol élevé d'Avila s'avance comme un promontoire dans
un immense lac de sable, jadis couvert d'eaux saumâtres, mais dont
l'agriculture a dû prendre possession depuis plusieurs milliers d'années.
Cette histoire sans date demeure intraductible; et pourtant, voici
que sur les places, dans les rues, dans certains hôtels d'Avila se ren-
contrent d'énormes animaux en granit, sculptés grossièrement par des
mains barbares dont le faire n'a rien ni du type espagnol, ni du type
gothique, ni du type romain, ni du type grec, et qui, parmi des images
d'animaux reconnaissables, tels que porcs, chiens et taureaux, rappel-
lent les formes du mastodonte, contemporain des derniers déluges.
Jusque vers la fin du onzième siècle, Avila traverse les âges sans
jeter d'autre éclat que celui qui résulte du bruit des armes; mais à
cette époque d'émancipation religieuse, le joug de l'islamisme cesse