XLVII
GRENADE
Alors parla le roi don Juan. Écoutez bien comme il
parla : « Si tu voulais, Grenade, je me marierais avec
toi; je te donnerais, en arrhes et en dot, Cordoue et
Séville, et Xérès de la Frontière qui en est tout près;
et si tu voulais davantage, Grenade, je te donnerais da-
vantage encore.» — Alors parla Grenade. Elle répondit
au bon roi : «Je suis mariée, roi don Juan, mariée et
non pas veuve; et le Maure à qui j'appartiens saura me
défendre.»
Romancero espagnol.
Physionomie générale de Grenade. — L'Alhambra ; son histoire, sa construction, ses additions, ses profa-
nations, ses ruines. — Idée de l'art mauresque. — Le généralif et ses aspects divers. — Gitanos. —
Edifices religieux. — Promenades urbaines. — La Véga de Grenade. — Trajet de Grenade à Cordoue.
Cette Espagne, si féconde en ruines, parce qu'elle fut féconde en gran-
deurs, n'avait point assez de ses ruines; il fallut qu'une loi, suppri-
mant les monastères, réduisît au silence des édifices qui ne sauraient
parler une autre langue que la langue des oremus. De même Grenade,
affaissée sous d'immenses débris, sous le Généralif, sous l'Alhambra;
étonnée sans doute, dans sa sépulture mauresque qui cache tout un
peuple, d'ouïr encore des chants pieux à travers des arceaux d'ogives ,
vient de fermer ses couvents et de condamner la porte d'une partie de
ses églises. Du Grenade antique aux tours colossales, du Grenade che-
valeresque des Abencerrages, du Grenade efféminé de Boabdil, du
Grenade chrétien d'Isabelle, que reste-t-il? Les Espagnols eux-mêmes
vont vous le dire , casas de ratones y gitanos, des trous à rats et des
bohémiens. Les fameuses Tours rouges, Torres bermejas, que l'on croit
d'origine phénicienne; la longue ligne de murailles bâtie sur les crêtes
ondulées des montagnes voisines, véritable squelette d'une cité détruite;
l'Alhambra, sentinelle à l'œil fauve qui stationne accroupie sur un ma-
GRENADE
Alors parla le roi don Juan. Écoutez bien comme il
parla : « Si tu voulais, Grenade, je me marierais avec
toi; je te donnerais, en arrhes et en dot, Cordoue et
Séville, et Xérès de la Frontière qui en est tout près;
et si tu voulais davantage, Grenade, je te donnerais da-
vantage encore.» — Alors parla Grenade. Elle répondit
au bon roi : «Je suis mariée, roi don Juan, mariée et
non pas veuve; et le Maure à qui j'appartiens saura me
défendre.»
Romancero espagnol.
Physionomie générale de Grenade. — L'Alhambra ; son histoire, sa construction, ses additions, ses profa-
nations, ses ruines. — Idée de l'art mauresque. — Le généralif et ses aspects divers. — Gitanos. —
Edifices religieux. — Promenades urbaines. — La Véga de Grenade. — Trajet de Grenade à Cordoue.
Cette Espagne, si féconde en ruines, parce qu'elle fut féconde en gran-
deurs, n'avait point assez de ses ruines; il fallut qu'une loi, suppri-
mant les monastères, réduisît au silence des édifices qui ne sauraient
parler une autre langue que la langue des oremus. De même Grenade,
affaissée sous d'immenses débris, sous le Généralif, sous l'Alhambra;
étonnée sans doute, dans sa sépulture mauresque qui cache tout un
peuple, d'ouïr encore des chants pieux à travers des arceaux d'ogives ,
vient de fermer ses couvents et de condamner la porte d'une partie de
ses églises. Du Grenade antique aux tours colossales, du Grenade che-
valeresque des Abencerrages, du Grenade efféminé de Boabdil, du
Grenade chrétien d'Isabelle, que reste-t-il? Les Espagnols eux-mêmes
vont vous le dire , casas de ratones y gitanos, des trous à rats et des
bohémiens. Les fameuses Tours rouges, Torres bermejas, que l'on croit
d'origine phénicienne; la longue ligne de murailles bâtie sur les crêtes
ondulées des montagnes voisines, véritable squelette d'une cité détruite;
l'Alhambra, sentinelle à l'œil fauve qui stationne accroupie sur un ma-