LETTRE A LA SOEUR MATHILDE. 551
de peser sur son front, et la foi chrétienne triomphante y fait appel
aux beaux-arts. Beaucoup d'édifices pieux, dans le style byzantin,
sont encore debout pour confirmer cette résurrection de la pensée
catholique romaine. Une église nous a surtout frappé par ses proportions
architectoniques élégantes, et par le mélange indécis des courbes byzan-
tines avec les courbes de l'ogive naissante, c'est l'église San-Vicente,
où repose, sous un vaste tombeau, le saint du même nom, qui fut mar-
tyrisé dans la cité d'Avila. Ce tombeau, postérieur au style primordial
de l'église, représente, sculptée en pierre, la légende du personnage
qu'il renferme, devenu le patron d'une ville dont sainte Thérèse est
la patronne.
Quelle que soit la place élevée qu'occupe saint Vincent dans le royaume
des cieux, sainte Thèrèse est assurément la gloire la plus réelle d'Avila.
Femme étonnante, merveille de son sexe et de son siècle, elle sentit
comme Héloïse, elle raisonna comme Pascal; elle marcha de pair avec
les plus hautes intelligences de l'Espagne. Tous les élans de son esprit
se purifiaient en traversant son âme, et chez elle l'idéalisme prenait un
corps, devenait une réalité. Souffrante, valétudinaire, infirme, sa nature
épuisée n'en servait que davantage à l'édification des autres. Aussi,
jamais je n'ai compris les saintes Thérèse des artistes espagnols,
grasses, joufflues, colorées, créatures vulgaires que rien n'anime, que
rien ne poétise, et sous l'image desquelles il me semble voir d'honnêtes
rentières retirées du commerce. La sainte Thérèse de notre grand peintre
Gérard, que j'ai plusieurs fois admirée chez Chàteaubriand, recèle du
moins, sous la physionomie française et mondaine que lui a donnée
l'artiste, la distinction d'une femme comme il faut, l'ardente piété d'un
cœur pur; mais ce n'est point encore là ma sainte Thérèse. Je la veux
frêle, délicate, amaigrie, usée par le travail des mains autant que par
celui de la pensée; je la veux avec un regard tendre dont la profondeur
amoindrit la vivacité, avec des lèvres plus pieuses, plus persuasives
encore qu'elles ne sont aimantes... Ma sainte Thérèse, à moi, médite,
enseigne, écrit plus qu'elle ne prie, car qu'est-ce que son existence, si-
non une prière continue, un sacrifice perpétuel de la chair à l'esprit?
C'est moins la femme extatique repliée sur elle-même, que la femme
soumise, obéissant aux ordres de ses supérieurs, remplie d'affectueuse
tendresse pour sa communauté; prenant, quittant tour à tour la plume,
l'aiguille et le fuseau, selon qu'elle croit la chose plus utile à la gloire
de Dieu, à l'édification des sœurs Carmélites et du monde.
Tout à l'heure je suis allé Plaza de la Santa, non loin de mon hôtel; j'ai
sonné; un petit aumônier fort complaisant est venu m'ouvrir la double
porte d'un monastère de Carmélites veuf de ses habitantes; je touchais le
de peser sur son front, et la foi chrétienne triomphante y fait appel
aux beaux-arts. Beaucoup d'édifices pieux, dans le style byzantin,
sont encore debout pour confirmer cette résurrection de la pensée
catholique romaine. Une église nous a surtout frappé par ses proportions
architectoniques élégantes, et par le mélange indécis des courbes byzan-
tines avec les courbes de l'ogive naissante, c'est l'église San-Vicente,
où repose, sous un vaste tombeau, le saint du même nom, qui fut mar-
tyrisé dans la cité d'Avila. Ce tombeau, postérieur au style primordial
de l'église, représente, sculptée en pierre, la légende du personnage
qu'il renferme, devenu le patron d'une ville dont sainte Thérèse est
la patronne.
Quelle que soit la place élevée qu'occupe saint Vincent dans le royaume
des cieux, sainte Thèrèse est assurément la gloire la plus réelle d'Avila.
Femme étonnante, merveille de son sexe et de son siècle, elle sentit
comme Héloïse, elle raisonna comme Pascal; elle marcha de pair avec
les plus hautes intelligences de l'Espagne. Tous les élans de son esprit
se purifiaient en traversant son âme, et chez elle l'idéalisme prenait un
corps, devenait une réalité. Souffrante, valétudinaire, infirme, sa nature
épuisée n'en servait que davantage à l'édification des autres. Aussi,
jamais je n'ai compris les saintes Thérèse des artistes espagnols,
grasses, joufflues, colorées, créatures vulgaires que rien n'anime, que
rien ne poétise, et sous l'image desquelles il me semble voir d'honnêtes
rentières retirées du commerce. La sainte Thérèse de notre grand peintre
Gérard, que j'ai plusieurs fois admirée chez Chàteaubriand, recèle du
moins, sous la physionomie française et mondaine que lui a donnée
l'artiste, la distinction d'une femme comme il faut, l'ardente piété d'un
cœur pur; mais ce n'est point encore là ma sainte Thérèse. Je la veux
frêle, délicate, amaigrie, usée par le travail des mains autant que par
celui de la pensée; je la veux avec un regard tendre dont la profondeur
amoindrit la vivacité, avec des lèvres plus pieuses, plus persuasives
encore qu'elles ne sont aimantes... Ma sainte Thérèse, à moi, médite,
enseigne, écrit plus qu'elle ne prie, car qu'est-ce que son existence, si-
non une prière continue, un sacrifice perpétuel de la chair à l'esprit?
C'est moins la femme extatique repliée sur elle-même, que la femme
soumise, obéissant aux ordres de ses supérieurs, remplie d'affectueuse
tendresse pour sa communauté; prenant, quittant tour à tour la plume,
l'aiguille et le fuseau, selon qu'elle croit la chose plus utile à la gloire
de Dieu, à l'édification des sœurs Carmélites et du monde.
Tout à l'heure je suis allé Plaza de la Santa, non loin de mon hôtel; j'ai
sonné; un petit aumônier fort complaisant est venu m'ouvrir la double
porte d'un monastère de Carmélites veuf de ses habitantes; je touchais le