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ÉCOLE HOLLANDAISE.
trivial à une donnée gracieuse, Netscher est venu, dis-je, leur montrer qu’un pinceau délicat peut servir à
peindre une jolie femme et de beaux yeux, aussi bien qu’à illustrer la laideur; que la vérité n’exclut pas la
distinction, et qu’il est possible enfin d’être naturel tout en choisissant la nature.
Houbraken dit que Gaspard Netscher naquit à Heidelberg en 1639; mais de Piles, qui écrivait quelque vingt
ans avant Houbraken, et qui fut le contemporain de Netscher, le fait naître à Prague en 1636, dans le temps où les
guerres de religion désolaient la Bohême. Le père de Netscher était un sculpteur originaire de Stuttgard, il avait
épousé Elisabeth Vetter, fille d’un bourgmestre de Heidelberg, et c’est là peut-être ce qui a causé l’erreur que
paraît avoir commise Houbraken. Ce qui d’ailleurs confirmerait l’assertion de de Piles, ce sont les détails qu’il
donne sur l’enfance de Gaspard Netscher, et (pie Gersaint a reproduits dans le Catalogue de Lorangère, bien que
le livre d’Houbraken fût déjà publié. La famille de Netscher appartenait à la religion catholique. En 1639,
quand les Suédois, vainqueurs en Bohême, se rendirent maîtres de Prague, les habitants catholiques s’enfuirent
précipitamment; parmi eux se trouva la mère de Netscher, emmenant avec elle trois enfants dont le plus jeune
était Gaspard. Elle se réfugia dans un château à quelque distance; mais ce château ayant été assiégé peu de
temps après à l’improviste, fut réduit à la famine. Élisabeth Netscher eut la douleur d’y voir mourir de faim
deux de ses enfants. Gaspard seul lui restait : elle osa s’échapper aveclui, et après avoir longtemps erré au hasard
à travers l’Allemagne, ravagée alors par la guerre et sillonnée de troupes ennemies, elle finit par trouver un
asile en Hollande, à Arnheim, où elle arriva dans la plus affreuse détresse.
Cette mère courageuse trouva moyen de subsister honnêtement à Arnheim, et il faut croire que ses malheurs
éveillèrent la sympathie des gens de bien, car la voyant dans l’impossibilité d’élever son fils, un homme
respectable et généreux, le docteur Tullekens, se chargea de l’éducation du jeune Gaspard qui paraissait intelligent
et bien doué. Envoyé aux écoles, le protégé du bon docteur commença par apprendre le latin; mais on put
s’apercevoir bientôt qu’il avait plus de goût pour le dessinque pour les livres. Sa vocation naissante s’étant révélée,
comme chez tant d’autres, par les griffonnementsdontil couvrait ses cahiers de collège, le docteur Tullekens
céda aux inclinations de son élève et le plaça chez le peintre Coster pour lui faire apprendre, sinon les premiers
principes de l’art, du moins les rudiments du métier de peindre. Coster, en effet, ne peignait que des natures
mortes, des oiseaux, du gibier, des ustensiles de cuisine. Mais c’est un bon moyen d’éducation, et c’est peut-être
le meilleur, que d’aborder par ce côté un art aussi compliqué, aussi vaste que la peinture. En commençant par se
mettre en possession des procédés pour en graduer ensuite l’application à tous les sujets, depuis les plus humbles
jusqu’aux plus relevés, on suit la marche de ce voyageur qui, voulant s’établir en pays étranger, débute par se
faire enseigner la langue du pays, jusqu’à ce que, muni de cet instrument de la vie de relation, il puisse s’élever
peu à peu des conversations usuelles à de plus nobles discours. La peinture a de même un langage qu’il faut
s’approprier avant tout. Les lignes et les couleurs sont les mots de cet idiame. On les trouve aussi nettement,
aussi vivement écrits, dans la réunion, même fortuite, de quelques pièces de gibier, caressées par un rayon de
lumière, qu’en une assemblée solennelle où figureraient les grands personnages de l’histoire. L’étude des natures
mortes, ustensiles, animaux, fruits ou fleurs, est excellente pour rompre un élève aux premières difficultés du
dessin, c’est-à-dire à bien saisir les lignes, les plans et les raccourcis d’un corps immobile, en attendant qu’il
porte son attention sur des corps en mouvement; une pareille étude est aussi fort utile pour éduquer dans un
jeune peintre le sentiment du coloris, car le seul plumage d’un oiseau nous en offre parfois de brillantes leçons,
et pour éveiller en lui l’intelligence du clair-obscur, dont les lois ne sont pas moins présentes, moins visibles et
moins sensibles au milieu d’une cuisine visitée par le soleil, quand il enlève sur un fond sombre des chaudières
dorées, des chandeliers polis et des écumoires reluisantes, qu’en un palais somptueux où se détacheraient par
d’habiles oppositions de lumière et d’ombre, des groupes de figures humaines ou des visages de héros.
Dès que Netscher sut pratiquer l’art et en connut les notions élémentaires, le docteur Tullekens le fit passer
dans une école un peu plus élevée que celle de Coster. Il pensa qu’un artiste habile à peindre la nature morte
n’avait plus qu’à rehausser ses idées, à choisir ses motifs, à les ennoblir. Il jeta les yeux sur Gérard Terburg qui
élaitalors en grand renom dans toute la Hollande et qui habitait la ville de Deventer. Terburg fit sans doute
quelques difficultés, car il fallut la recommandation de Wynants Eweroyn, son neveu, pour le décider à prendre
ÉCOLE HOLLANDAISE.
trivial à une donnée gracieuse, Netscher est venu, dis-je, leur montrer qu’un pinceau délicat peut servir à
peindre une jolie femme et de beaux yeux, aussi bien qu’à illustrer la laideur; que la vérité n’exclut pas la
distinction, et qu’il est possible enfin d’être naturel tout en choisissant la nature.
Houbraken dit que Gaspard Netscher naquit à Heidelberg en 1639; mais de Piles, qui écrivait quelque vingt
ans avant Houbraken, et qui fut le contemporain de Netscher, le fait naître à Prague en 1636, dans le temps où les
guerres de religion désolaient la Bohême. Le père de Netscher était un sculpteur originaire de Stuttgard, il avait
épousé Elisabeth Vetter, fille d’un bourgmestre de Heidelberg, et c’est là peut-être ce qui a causé l’erreur que
paraît avoir commise Houbraken. Ce qui d’ailleurs confirmerait l’assertion de de Piles, ce sont les détails qu’il
donne sur l’enfance de Gaspard Netscher, et (pie Gersaint a reproduits dans le Catalogue de Lorangère, bien que
le livre d’Houbraken fût déjà publié. La famille de Netscher appartenait à la religion catholique. En 1639,
quand les Suédois, vainqueurs en Bohême, se rendirent maîtres de Prague, les habitants catholiques s’enfuirent
précipitamment; parmi eux se trouva la mère de Netscher, emmenant avec elle trois enfants dont le plus jeune
était Gaspard. Elle se réfugia dans un château à quelque distance; mais ce château ayant été assiégé peu de
temps après à l’improviste, fut réduit à la famine. Élisabeth Netscher eut la douleur d’y voir mourir de faim
deux de ses enfants. Gaspard seul lui restait : elle osa s’échapper aveclui, et après avoir longtemps erré au hasard
à travers l’Allemagne, ravagée alors par la guerre et sillonnée de troupes ennemies, elle finit par trouver un
asile en Hollande, à Arnheim, où elle arriva dans la plus affreuse détresse.
Cette mère courageuse trouva moyen de subsister honnêtement à Arnheim, et il faut croire que ses malheurs
éveillèrent la sympathie des gens de bien, car la voyant dans l’impossibilité d’élever son fils, un homme
respectable et généreux, le docteur Tullekens, se chargea de l’éducation du jeune Gaspard qui paraissait intelligent
et bien doué. Envoyé aux écoles, le protégé du bon docteur commença par apprendre le latin; mais on put
s’apercevoir bientôt qu’il avait plus de goût pour le dessinque pour les livres. Sa vocation naissante s’étant révélée,
comme chez tant d’autres, par les griffonnementsdontil couvrait ses cahiers de collège, le docteur Tullekens
céda aux inclinations de son élève et le plaça chez le peintre Coster pour lui faire apprendre, sinon les premiers
principes de l’art, du moins les rudiments du métier de peindre. Coster, en effet, ne peignait que des natures
mortes, des oiseaux, du gibier, des ustensiles de cuisine. Mais c’est un bon moyen d’éducation, et c’est peut-être
le meilleur, que d’aborder par ce côté un art aussi compliqué, aussi vaste que la peinture. En commençant par se
mettre en possession des procédés pour en graduer ensuite l’application à tous les sujets, depuis les plus humbles
jusqu’aux plus relevés, on suit la marche de ce voyageur qui, voulant s’établir en pays étranger, débute par se
faire enseigner la langue du pays, jusqu’à ce que, muni de cet instrument de la vie de relation, il puisse s’élever
peu à peu des conversations usuelles à de plus nobles discours. La peinture a de même un langage qu’il faut
s’approprier avant tout. Les lignes et les couleurs sont les mots de cet idiame. On les trouve aussi nettement,
aussi vivement écrits, dans la réunion, même fortuite, de quelques pièces de gibier, caressées par un rayon de
lumière, qu’en une assemblée solennelle où figureraient les grands personnages de l’histoire. L’étude des natures
mortes, ustensiles, animaux, fruits ou fleurs, est excellente pour rompre un élève aux premières difficultés du
dessin, c’est-à-dire à bien saisir les lignes, les plans et les raccourcis d’un corps immobile, en attendant qu’il
porte son attention sur des corps en mouvement; une pareille étude est aussi fort utile pour éduquer dans un
jeune peintre le sentiment du coloris, car le seul plumage d’un oiseau nous en offre parfois de brillantes leçons,
et pour éveiller en lui l’intelligence du clair-obscur, dont les lois ne sont pas moins présentes, moins visibles et
moins sensibles au milieu d’une cuisine visitée par le soleil, quand il enlève sur un fond sombre des chaudières
dorées, des chandeliers polis et des écumoires reluisantes, qu’en un palais somptueux où se détacheraient par
d’habiles oppositions de lumière et d’ombre, des groupes de figures humaines ou des visages de héros.
Dès que Netscher sut pratiquer l’art et en connut les notions élémentaires, le docteur Tullekens le fit passer
dans une école un peu plus élevée que celle de Coster. Il pensa qu’un artiste habile à peindre la nature morte
n’avait plus qu’à rehausser ses idées, à choisir ses motifs, à les ennoblir. Il jeta les yeux sur Gérard Terburg qui
élaitalors en grand renom dans toute la Hollande et qui habitait la ville de Deventer. Terburg fit sans doute
quelques difficultés, car il fallut la recommandation de Wynants Eweroyn, son neveu, pour le décider à prendre