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ÉCOLE HOLLANDAISE.
de Paul Potter, une vie intime propre à chacun d’eux, une manifestation de leur nature essentielle, typique?
L’allure, la pose, le regard, tout parle en eux’. »
Il y a cent ans, une telle appréciation n’eût pas été comprise, ou plutôt de telles idées ne seraient venues à
personne. Les amateurs ne voyaient dans Paul Potter qu’un copiste fidèle de la nature, un peintre vrai jusqu’à
la naïveté et habile à bien rendre ce qu’il avait bien observé. Il était réservé à notre siècle imbu de panthéisme,
de saisir dans les peintures des maîtres hollandais, cette délicatesse de sentiment qui se laisse voir chez eux dans
la plus modeste de leurs créations, et de trouver aux paysages de Ruisdaël comme aux animaux de Paul Potter,
je ne sais quel vague enchantement qu’on peut appeler du beau nom de poésie. Tout ce qui a reçu le don de la
vie, tout ce qui respire notre air et se réchauffe à notre soleil, a le droit de nous intéresser. Mais entre les
natures inférieures et nous-mêmes, il faut un interprète, un homme simple qui se rapproche des êtres
secondaires par sa naïveté, et s’élève au-dessus de ses semblables par le génie. 11 faut qu’un poëte, qu’un
grand peintre, vivant au milieu de ce monde obscur, en pénètre les idiomes inconnus, pour nous les traduire
dans le noble langage de l’esprit, ou mieux dans le langage du coeur, pour nous les rendre sensibles par la
couleur et le pinceau. Il faut, dis-je, que Bernardin de Saint-Pierre nous révèle les secrètes harmonies de la
nature, que Ruysdaël nous émeuve au spectacle du ciel orageux et au frémissement des grands arbres que
tourmente le vent; que Paul Potter nous fasse entendre la plainte des agneaux et tous les mugissements du
pâturage. Et alors, chose étrange! celte nature qui nous avait parlé, qui s’était manifestée à nous par le
truchement de ces hommes d’élite, il arrive qu’à son tour elle nous apprend à connaître leur génie; elle
a servi à l’expression de leur sentiment, et par elle nous lisons dans leur âme.
Paul Potter, dit Descamps, était issu de la maison d’Egmond par sa grand’mère. Son grand-père était
receveur de la haute et basse Swaluwe. Ses ancêtres avaient rempli les charges les plus honorables de la ville
d’Enkuisen, où il naquit en 1625, de Pierre Potter, peintre médiocre qui, peu de temps après, alla s’établir
à Amsterdam pour y acquérir le droit de bourgeoisie. Le jeune Potter n’eut d’autre maître que son père, qu’il
surpassa dès qu’il eut appris les premiers éléments de son art. « Ce fut un prodige dont il n’y a peut-être
pas d’exemple, ajoute Descamps; il fut dès quatorze ans un maître habile : ses ouvrages même de ce temps-
là figurent parmi ceux des plus grands hommes. »
Après de nombreuses études faites à Amsterdam d’après les beaux tableaux dont cette ville était déjà
remplie, Paul Potter quitta son père, peut-être pour demeurer plus libre de se former lui-même, et il alla se
fixer à La Haye, où le hasard lui fit prendre un logement à côté de l’architecte Nicolas Balkenende, qui était en
réputation dans la ville. Ce Balkenende avait une fille charmante, dont Paul Potter devint éperdument
amoureux. La jeune fille, flattée d’avoir inspiré une telle passion, parut y répondre, si bien que le peintre
la demanda en mariage. Le Vitruve hollandais, c’est ainsi que l’appelle Descamps, répondit avec dédain que
jamais il ne donnerait sa fille à un peintre qui ne peignait que des bêtes. Mais l’artiste amoureux ne se rebuta
point; il mit en mouvement les riches amateurs qui appréciaient son mérite, qui déjà lui achetaient fort cher
ses modestes animaux, et le sieur Balkenende sut bientôt qu’un architecte, même de son rang, devait « se
trouver honoré de la recherche d’un pareil gendre. » L’architecte avoua son tort et le répara de bonne
grâce, en donnant sa fille Adrienne Balkenende à Paul Potter : celui-ci avait alors vingt-cinq ans. A peine
marié, il s’installa dans une belle maison qui fut bientôt pour ainsi dire P Académie de La Haye. Les principaux
personnages de la Hollande, les ministres étrangers, Maurice, prince d’Orange, les savants et les beaux esprits
du temps se donnaient rendez-vous dans l’atelier de Paul Potter qui les y attirait par son esprit orné, son
aimable caractère et l’agrément de sa conversation. Ainsi entouré et bien venu dans le monde, le peintre
servit à son tour la réputation et la fortune de son beau-père, et vengea noblement de la sorte les dédains
qu’il avait essuyés au temps de son amour.
Pour un peintre d’animaux, il n’est pas de contrée plus favorable que la Hollande, ni plus féconde en beaux
modèles, je veux dire en modèles pittoresques. L’humidité du sol en fait une immense prairie d’un vert tendre,
Lamennais, Esquisse d'une philosophie.
ÉCOLE HOLLANDAISE.
de Paul Potter, une vie intime propre à chacun d’eux, une manifestation de leur nature essentielle, typique?
L’allure, la pose, le regard, tout parle en eux’. »
Il y a cent ans, une telle appréciation n’eût pas été comprise, ou plutôt de telles idées ne seraient venues à
personne. Les amateurs ne voyaient dans Paul Potter qu’un copiste fidèle de la nature, un peintre vrai jusqu’à
la naïveté et habile à bien rendre ce qu’il avait bien observé. Il était réservé à notre siècle imbu de panthéisme,
de saisir dans les peintures des maîtres hollandais, cette délicatesse de sentiment qui se laisse voir chez eux dans
la plus modeste de leurs créations, et de trouver aux paysages de Ruisdaël comme aux animaux de Paul Potter,
je ne sais quel vague enchantement qu’on peut appeler du beau nom de poésie. Tout ce qui a reçu le don de la
vie, tout ce qui respire notre air et se réchauffe à notre soleil, a le droit de nous intéresser. Mais entre les
natures inférieures et nous-mêmes, il faut un interprète, un homme simple qui se rapproche des êtres
secondaires par sa naïveté, et s’élève au-dessus de ses semblables par le génie. 11 faut qu’un poëte, qu’un
grand peintre, vivant au milieu de ce monde obscur, en pénètre les idiomes inconnus, pour nous les traduire
dans le noble langage de l’esprit, ou mieux dans le langage du coeur, pour nous les rendre sensibles par la
couleur et le pinceau. Il faut, dis-je, que Bernardin de Saint-Pierre nous révèle les secrètes harmonies de la
nature, que Ruysdaël nous émeuve au spectacle du ciel orageux et au frémissement des grands arbres que
tourmente le vent; que Paul Potter nous fasse entendre la plainte des agneaux et tous les mugissements du
pâturage. Et alors, chose étrange! celte nature qui nous avait parlé, qui s’était manifestée à nous par le
truchement de ces hommes d’élite, il arrive qu’à son tour elle nous apprend à connaître leur génie; elle
a servi à l’expression de leur sentiment, et par elle nous lisons dans leur âme.
Paul Potter, dit Descamps, était issu de la maison d’Egmond par sa grand’mère. Son grand-père était
receveur de la haute et basse Swaluwe. Ses ancêtres avaient rempli les charges les plus honorables de la ville
d’Enkuisen, où il naquit en 1625, de Pierre Potter, peintre médiocre qui, peu de temps après, alla s’établir
à Amsterdam pour y acquérir le droit de bourgeoisie. Le jeune Potter n’eut d’autre maître que son père, qu’il
surpassa dès qu’il eut appris les premiers éléments de son art. « Ce fut un prodige dont il n’y a peut-être
pas d’exemple, ajoute Descamps; il fut dès quatorze ans un maître habile : ses ouvrages même de ce temps-
là figurent parmi ceux des plus grands hommes. »
Après de nombreuses études faites à Amsterdam d’après les beaux tableaux dont cette ville était déjà
remplie, Paul Potter quitta son père, peut-être pour demeurer plus libre de se former lui-même, et il alla se
fixer à La Haye, où le hasard lui fit prendre un logement à côté de l’architecte Nicolas Balkenende, qui était en
réputation dans la ville. Ce Balkenende avait une fille charmante, dont Paul Potter devint éperdument
amoureux. La jeune fille, flattée d’avoir inspiré une telle passion, parut y répondre, si bien que le peintre
la demanda en mariage. Le Vitruve hollandais, c’est ainsi que l’appelle Descamps, répondit avec dédain que
jamais il ne donnerait sa fille à un peintre qui ne peignait que des bêtes. Mais l’artiste amoureux ne se rebuta
point; il mit en mouvement les riches amateurs qui appréciaient son mérite, qui déjà lui achetaient fort cher
ses modestes animaux, et le sieur Balkenende sut bientôt qu’un architecte, même de son rang, devait « se
trouver honoré de la recherche d’un pareil gendre. » L’architecte avoua son tort et le répara de bonne
grâce, en donnant sa fille Adrienne Balkenende à Paul Potter : celui-ci avait alors vingt-cinq ans. A peine
marié, il s’installa dans une belle maison qui fut bientôt pour ainsi dire P Académie de La Haye. Les principaux
personnages de la Hollande, les ministres étrangers, Maurice, prince d’Orange, les savants et les beaux esprits
du temps se donnaient rendez-vous dans l’atelier de Paul Potter qui les y attirait par son esprit orné, son
aimable caractère et l’agrément de sa conversation. Ainsi entouré et bien venu dans le monde, le peintre
servit à son tour la réputation et la fortune de son beau-père, et vengea noblement de la sorte les dédains
qu’il avait essuyés au temps de son amour.
Pour un peintre d’animaux, il n’est pas de contrée plus favorable que la Hollande, ni plus féconde en beaux
modèles, je veux dire en modèles pittoresques. L’humidité du sol en fait une immense prairie d’un vert tendre,
Lamennais, Esquisse d'une philosophie.