ÉCOLES OMBRIENNE ET ROMAINE. 9
paysage, chose à laquelle l’ascétique dominicain n’eût jamais songé. Quelle que soit donc la
ressemblance qui existe entre ces deux peintres, dont les ouvrages sont empreints du sentiment
de naïveté commun à tous les maîtres primitifs, il est certain que les différences entre eux sont
aussi notables que les similitudes. Angelico da Fiesole est un moine ; Gentile da Fabriano est
un chevalier. L’un ne vit et ne fait vivre ses personnages que par l’âme. L’autre est un artiste
sensible au spectacle de la nature et qui a dans son talent la variété dont la nature est un
trésor inépuisable. Aussi l’appelait-on de son temps le peintre universel. Donc si nous avions
à considérer l’École ombrienne au moment où elle jette son premier éclat et dans la personne
d’un de ses plus brillants fondateurs nous la trouverions déjà distincte de l’École florentine
et se distinguant de cette école précisément par un peu moins d’ascétisme.
Après Gentile, vient Piero délia Francesca, qui importe en Ombrie le naturalisme de Masaccio
son maître, et peignant les portraits du duc d’Urbin Frédéric et de sa femme Batista Sforza,
les représente sur un char triomphal, conduit par l’Amour, et couronnés par la Victoire, le
tout sur un fond de paysage, et forme ainsi une exception assez notable au mysticisme,
prétendu invariable, de l’École ombrienne. Dans le même temps, florissait à Urbin Fra
Bartolommeo Gorradino, dont le surnom de Carnevalefou Carnovale) n’indique pas un idéalisme
bien prononcé ni des mœurs bien austères. Celui-ci composait ses tableaux de dévotion avec
les portraits de ses amis et de ses proches. Il peignit le duc d’Urbin agenouillé devant la
Vierge, dont les traits rappelaient ceux de la duchesse, tandis que l’enfant Jésus ressemblait à
leur fds, l’héritier présomptif du trône ducal.
En passant de Fra Carnevale à Benedetto Buonfigli, qui fut un des précurseurs immédiats
du Pérugin, nous retrouvons encore ce que M. Rio appellerait le naturalisme dans la manière
si peu mystique dont Benedetto traitait quelques-unes de ses madones, et dans cette
Adoration des Mages, où le peintre a mis les portraits de sa sœur, de sa nièce et de son frère
pour figurer Marie, l'enfant Jésus et le plus jeune des trois rois. Un écrivain éclairé et
convaincu, qui a marché sur les traces de M. Rio, en ce sens du moins qu’il n’est pas moins
dévot que lui à la peinture religieuse, M. Gruyer, dit lui-même dans son dernier ouvrage :
« Benedetto Buonfigli avec plus d’autorité encore que Fiorenzo di Lorenzo pouvait, sans
abandonner la tradition de Gentile da Fabriano, rallier à ses Madones la presque unanimité
des suffrages ; il ne représenta, cependant, sous le nom de Marie, rien de bien idéal. Voyez le
tableau de l’Académie de Pérouse. La Vierge, avec son fils sur ses genoux, est tranquillement
assise entre saint Thomas, saint Jérôme, saint François et saint Bernardin ; la mère du Verbe,
a un accent, personnel auquel on ne peut se méprendre. Elle a vécu de la vie commune et
paysage, chose à laquelle l’ascétique dominicain n’eût jamais songé. Quelle que soit donc la
ressemblance qui existe entre ces deux peintres, dont les ouvrages sont empreints du sentiment
de naïveté commun à tous les maîtres primitifs, il est certain que les différences entre eux sont
aussi notables que les similitudes. Angelico da Fiesole est un moine ; Gentile da Fabriano est
un chevalier. L’un ne vit et ne fait vivre ses personnages que par l’âme. L’autre est un artiste
sensible au spectacle de la nature et qui a dans son talent la variété dont la nature est un
trésor inépuisable. Aussi l’appelait-on de son temps le peintre universel. Donc si nous avions
à considérer l’École ombrienne au moment où elle jette son premier éclat et dans la personne
d’un de ses plus brillants fondateurs nous la trouverions déjà distincte de l’École florentine
et se distinguant de cette école précisément par un peu moins d’ascétisme.
Après Gentile, vient Piero délia Francesca, qui importe en Ombrie le naturalisme de Masaccio
son maître, et peignant les portraits du duc d’Urbin Frédéric et de sa femme Batista Sforza,
les représente sur un char triomphal, conduit par l’Amour, et couronnés par la Victoire, le
tout sur un fond de paysage, et forme ainsi une exception assez notable au mysticisme,
prétendu invariable, de l’École ombrienne. Dans le même temps, florissait à Urbin Fra
Bartolommeo Gorradino, dont le surnom de Carnevalefou Carnovale) n’indique pas un idéalisme
bien prononcé ni des mœurs bien austères. Celui-ci composait ses tableaux de dévotion avec
les portraits de ses amis et de ses proches. Il peignit le duc d’Urbin agenouillé devant la
Vierge, dont les traits rappelaient ceux de la duchesse, tandis que l’enfant Jésus ressemblait à
leur fds, l’héritier présomptif du trône ducal.
En passant de Fra Carnevale à Benedetto Buonfigli, qui fut un des précurseurs immédiats
du Pérugin, nous retrouvons encore ce que M. Rio appellerait le naturalisme dans la manière
si peu mystique dont Benedetto traitait quelques-unes de ses madones, et dans cette
Adoration des Mages, où le peintre a mis les portraits de sa sœur, de sa nièce et de son frère
pour figurer Marie, l'enfant Jésus et le plus jeune des trois rois. Un écrivain éclairé et
convaincu, qui a marché sur les traces de M. Rio, en ce sens du moins qu’il n’est pas moins
dévot que lui à la peinture religieuse, M. Gruyer, dit lui-même dans son dernier ouvrage :
« Benedetto Buonfigli avec plus d’autorité encore que Fiorenzo di Lorenzo pouvait, sans
abandonner la tradition de Gentile da Fabriano, rallier à ses Madones la presque unanimité
des suffrages ; il ne représenta, cependant, sous le nom de Marie, rien de bien idéal. Voyez le
tableau de l’Académie de Pérouse. La Vierge, avec son fils sur ses genoux, est tranquillement
assise entre saint Thomas, saint Jérôme, saint François et saint Bernardin ; la mère du Verbe,
a un accent, personnel auquel on ne peut se méprendre. Elle a vécu de la vie commune et