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BULLETIN DES MUSÉES ROYAUX
pourrait expliquer les ravages constatés. Il est pos-
sible que le tombeau ait été ouvert un certain temps
après le premier enterrement pour y introduire le
second corps. Ceux-ci étaient disposés, comme de
coutume à cette époque, dans la position contrac-
tée, les jambes repliées et les mains devant la face.
Huit vases en terre cuite, du type rouge à bord
supérieur noir, étaient groupés à la tête du tom-
beau, du côté du sud; la plupart sont du type en
■cornet, qui nous reporte vers les débuts de la
période préhistorique, à en juger d’après la classi-
fication du professeur Petrie. Un de ces vases, de
dimensions restreintes, est admirablement cuit et
peut passer pour un des meilleurs spécimens de ce
type de céramique. A proximité des vases se trou-
vaient quatre objets curieux en terre cuite. Ce
sont des espèces de grelots ou sonnailles plus ou
moins en forme de fruits et qui contiennent des
pierres produisant du bruit lorsqu’on les remue. Je
ne pense pas qu’on ait signalé jusqu’à présent dans
les tombes préhistoriques des objets de l’espèce,
qu’on serait tenté de comparer aux hochets des
féticheurs congolais.
Ainsi que le renseignent les auteurs de la décou-
verte, ce sont peut-être aussi des ustensiles du ma-
tériel d’un « homme médecine », ou plus prosaï-
quement des sonnettes de chèvres ou de brebis.
J’avoue que, dans cette dernière hypothèse, je ne
m’expliquerais pas aisément pour quelle raison on
les a déposés dans le tombeau.
Un grand peigne en ivoire, surmonté d’une
figure d’antilope (la tête de l’animal manque), se
trouvait également à la tête du tombeau.
Un des squelettes présentait une caractéristique
remarquable. On lui avait, en effet, donné pour
compagne une femme en terre cuite, placée, elle
aussi, dans la position accroupie.il est fâcheux que
les explorateurs n’aient pas déterminé si c’est à
côté du squelette d’un homme ou d’une femme
que cette figurine a été trouvée; peut-être le notè-
rent ils dans le mémoire sur les fouilles. En effet,
l'interprétation doit être différente dans les deux
cas. Si c’est un homme, on comprend que l'on ait
voulu lui donner dans le tombeau une épouse;
faute de sacrifier la veuve on la remplace par une
statuette et l’usage, compris de la sorte, se retrouve
pendant toute la durée de l’époque égyptienne
classique. Au contraire, s’il s’agit d’un corps de
femme, la figurine est une véritable statue de
double,support de l’âme, analogue aux statues queles
Egyptiens des âges postérieurs placèrent dans pres-
que tous les tombeaux. En tous cas, on ne semble
pas avoir cherché à donner à cette figure de femme
une solidité extrême ; on l’a faite simplement en
terre séchée au soleil et c’est miracle qu’on ait pu
en conserver la majeure partie.
L’abondance des objets de parure semble démon-
trer qu’un des corps de la sépulture était celui
d’une femme et l’on serait tenté de faire la suppo-
sition suivante : d’abord on enterra le mari, qui fut
accompagné d’une figurine de femme ; plus tard,on
rouvrit le tombeau pour y introduire le corps de la
femme. Espérons que la publication des observa-
tions faites au cours des fouilles apportera des élé-
ments pour élucider ce petit problème.
La parure est remarquablement riche : les col-
liers de perles sont nombreux et montrent des
matériaux divers dont plusieurs devaient être pré-
cieux pour l’époque. A côté des colliers de coquil-
lages, de coralities, de schiste émaillé, de grenats,
on voit apparaître des perles en or, en argent et en
hématite. On doit y ajouter plusieurs bracelets en
ivoire, un pendant en os. Une plaque irrégulière
en une pierre transparente, fragment de gypse
cristallisé, a peut-être été ajoutée au mobilier funé-
raire comme une pierre rare, et particulièrement
précieuse. Si le mort était sorcier, comme on pour-
rait le soupçonner par la présence des sonnailles,
le fragment de gypse doit avoir été une des pièces
les plus importantes de son matériel.
Les morts avaient emporté dans ce tombeau un
objet de nature à les aider à charmer les loisirs de
l’au-delà : une sorte de damier ou plutôt de jeu que
l’on jouait avec des pions de deux grandeurs diffé-
rentes. Il est constitué d'un espèce de tabouret
en terre, supporté sur quatre pieds ; la face supé-
rieure est divisée par des lignes pointillées en trois
rangées de six cases. Les pions, au nombre de
douze, forment deux groupes, l’un de deux gros,
l’autre de dix petits. Les deux joueurs, commen-
çant l’un avec les gros,, l’autre avec les petits, aux
deux extrémités du damier, devaient, en suivant
certaines règles, faire chevaucher les pions les uns
au-dessus des autres et chercher à gagner les cases
primitivement occupées par leur partenaire. C’est
au moins de la sorte que l’on a expliqué les exem-
plaires analogues, découverts beaucoup plus tard à
l’époque pharaonique. On peut voir dans le mastaba
de notre Musée deux graves Egyptiens absorbés
par une partie de ce jeu. La tombe de Mahasnah
nous fournit le plus ancien exemple qu’on en con-
naisse.
Des bouquets d’ail, imités en terre cuite, et plu-
sieurs objets d’un usage indéterminé complètent le
mobilier de ce tombeau, un des plus intéressants
que nous aient livrés les nécropoles préhistoriques
de l’Egypte. J’espère, lors de la réorganisation
prochaine des salles égyptiennes, pouvoir en pré-
senter une reconstitution qui ne manquera pas
d’être des plus instructives pour les visiteurs de nos
collections.
Jean Capart.
IMP. VROMANT ET C°, 3, RUE DE LA CHAPELLE, BRUXELLES. i2.O9.l839.
BULLETIN DES MUSÉES ROYAUX
pourrait expliquer les ravages constatés. Il est pos-
sible que le tombeau ait été ouvert un certain temps
après le premier enterrement pour y introduire le
second corps. Ceux-ci étaient disposés, comme de
coutume à cette époque, dans la position contrac-
tée, les jambes repliées et les mains devant la face.
Huit vases en terre cuite, du type rouge à bord
supérieur noir, étaient groupés à la tête du tom-
beau, du côté du sud; la plupart sont du type en
■cornet, qui nous reporte vers les débuts de la
période préhistorique, à en juger d’après la classi-
fication du professeur Petrie. Un de ces vases, de
dimensions restreintes, est admirablement cuit et
peut passer pour un des meilleurs spécimens de ce
type de céramique. A proximité des vases se trou-
vaient quatre objets curieux en terre cuite. Ce
sont des espèces de grelots ou sonnailles plus ou
moins en forme de fruits et qui contiennent des
pierres produisant du bruit lorsqu’on les remue. Je
ne pense pas qu’on ait signalé jusqu’à présent dans
les tombes préhistoriques des objets de l’espèce,
qu’on serait tenté de comparer aux hochets des
féticheurs congolais.
Ainsi que le renseignent les auteurs de la décou-
verte, ce sont peut-être aussi des ustensiles du ma-
tériel d’un « homme médecine », ou plus prosaï-
quement des sonnettes de chèvres ou de brebis.
J’avoue que, dans cette dernière hypothèse, je ne
m’expliquerais pas aisément pour quelle raison on
les a déposés dans le tombeau.
Un grand peigne en ivoire, surmonté d’une
figure d’antilope (la tête de l’animal manque), se
trouvait également à la tête du tombeau.
Un des squelettes présentait une caractéristique
remarquable. On lui avait, en effet, donné pour
compagne une femme en terre cuite, placée, elle
aussi, dans la position accroupie.il est fâcheux que
les explorateurs n’aient pas déterminé si c’est à
côté du squelette d’un homme ou d’une femme
que cette figurine a été trouvée; peut-être le notè-
rent ils dans le mémoire sur les fouilles. En effet,
l'interprétation doit être différente dans les deux
cas. Si c’est un homme, on comprend que l'on ait
voulu lui donner dans le tombeau une épouse;
faute de sacrifier la veuve on la remplace par une
statuette et l’usage, compris de la sorte, se retrouve
pendant toute la durée de l’époque égyptienne
classique. Au contraire, s’il s’agit d’un corps de
femme, la figurine est une véritable statue de
double,support de l’âme, analogue aux statues queles
Egyptiens des âges postérieurs placèrent dans pres-
que tous les tombeaux. En tous cas, on ne semble
pas avoir cherché à donner à cette figure de femme
une solidité extrême ; on l’a faite simplement en
terre séchée au soleil et c’est miracle qu’on ait pu
en conserver la majeure partie.
L’abondance des objets de parure semble démon-
trer qu’un des corps de la sépulture était celui
d’une femme et l’on serait tenté de faire la suppo-
sition suivante : d’abord on enterra le mari, qui fut
accompagné d’une figurine de femme ; plus tard,on
rouvrit le tombeau pour y introduire le corps de la
femme. Espérons que la publication des observa-
tions faites au cours des fouilles apportera des élé-
ments pour élucider ce petit problème.
La parure est remarquablement riche : les col-
liers de perles sont nombreux et montrent des
matériaux divers dont plusieurs devaient être pré-
cieux pour l’époque. A côté des colliers de coquil-
lages, de coralities, de schiste émaillé, de grenats,
on voit apparaître des perles en or, en argent et en
hématite. On doit y ajouter plusieurs bracelets en
ivoire, un pendant en os. Une plaque irrégulière
en une pierre transparente, fragment de gypse
cristallisé, a peut-être été ajoutée au mobilier funé-
raire comme une pierre rare, et particulièrement
précieuse. Si le mort était sorcier, comme on pour-
rait le soupçonner par la présence des sonnailles,
le fragment de gypse doit avoir été une des pièces
les plus importantes de son matériel.
Les morts avaient emporté dans ce tombeau un
objet de nature à les aider à charmer les loisirs de
l’au-delà : une sorte de damier ou plutôt de jeu que
l’on jouait avec des pions de deux grandeurs diffé-
rentes. Il est constitué d'un espèce de tabouret
en terre, supporté sur quatre pieds ; la face supé-
rieure est divisée par des lignes pointillées en trois
rangées de six cases. Les pions, au nombre de
douze, forment deux groupes, l’un de deux gros,
l’autre de dix petits. Les deux joueurs, commen-
çant l’un avec les gros,, l’autre avec les petits, aux
deux extrémités du damier, devaient, en suivant
certaines règles, faire chevaucher les pions les uns
au-dessus des autres et chercher à gagner les cases
primitivement occupées par leur partenaire. C’est
au moins de la sorte que l’on a expliqué les exem-
plaires analogues, découverts beaucoup plus tard à
l’époque pharaonique. On peut voir dans le mastaba
de notre Musée deux graves Egyptiens absorbés
par une partie de ce jeu. La tombe de Mahasnah
nous fournit le plus ancien exemple qu’on en con-
naisse.
Des bouquets d’ail, imités en terre cuite, et plu-
sieurs objets d’un usage indéterminé complètent le
mobilier de ce tombeau, un des plus intéressants
que nous aient livrés les nécropoles préhistoriques
de l’Egypte. J’espère, lors de la réorganisation
prochaine des salles égyptiennes, pouvoir en pré-
senter une reconstitution qui ne manquera pas
d’être des plus instructives pour les visiteurs de nos
collections.
Jean Capart.
IMP. VROMANT ET C°, 3, RUE DE LA CHAPELLE, BRUXELLES. i2.O9.l839.