ET DE LA CURIOSITE
61
Ça a été une heureuse pensée que de ras-
sembler quelques-unes des œuvres de Cordier,
ce sculpteur qui eut le sens ethnographique
et celui do la polychromie et qui, dans la
recherche du type, fut toujours soucieux et
respectueux de la plastique.
Parmi les expositions de cercles, celle de
l'Automobile-Club se distingue par un souci
moins exclusif de mondanité, par une saveur
d'art plus libre. M. Roll témoigne, dans son
E/fel d'orage, un effort inquiet de renouvelle-
ment; M. Cormon expose des études très sin-
cères ; M. Devambez, qui donne à des qualités
de premier ordre une application trop exclu-
sive, recommence constamment le même tour
de force avec le même bonheur ; la verve de
M. Jean Veber se fatigue; M. Gagliardini,
sans renoncer à l'éclat, tente des notations
plus chaudes. Le clou de l'exposition, c'est la
section de l'art précieux. M. Falize, avec ses
bijoux historiques, y côtoie M. Lucien Gail-
lard, qui expose des peignes d'une rare légè-
reté de formes et de coloris et des coffres la-
qués qui constituent une nouveauté véritable.
M, Lalique, par un contraste violent, oppose
des bijoux puissants, d'une splendeur étrange,
à des colliers dont les lignes et les tons ont
une mesure et une sobriété classiques, et
M. Dammouse, avant tout, excite les sensa-
tions les plus rares avec ses coupes, ses vases
et ses plaques de pâte de verre, où des pois-
sons se jouent dans des eaux mystérieuses
parmi des algues.
Aux Aquarellistes, parmi des productions
faciles, inconsistantes ou mièvres, on regarde
les fusains de M. Lhermitte, les études minus-
cules de M. R. Binet, moins bien inspiré par
Versailles que par Assise, les aquarelles
froides mais classiques de M. Zuber, les vues
prestigieuses de M. Luigi Loir et les impres-
sions discrètes et voilées de M. Duhem.
M. Delamarre rapporte de Belgique, de
Hollande et d'Italie des études où il a cherché
la note franche et vigoureuse. Le rouge un
peu brutal qu'il affectionne le sert mieux
pour traduire les vibrations du Nord que
celles du Midi et les meilleures de ses toiles
sont, sans doute, celles qu'il a brossées à
Bruges.
Léon RoSEN'tiial.
Les Musées d'art aux États-Unis
L'année qui vient de commencer paraît devoir
être « marquée d'un caillou blanc » dans l'histoire
des collections d'art américaines. Nos lecteurs
savent qu'en 1905, après la mort de Palma di Ces-
nola, directeur ;ï vie du Musée métropolitain de
New-York, ce poste important, jusque-là si singu-
gulièrement occupé, fut confié à sir Purdon Clarke,
qui a montré, au Victoria and Albert Muséum de
Londres, ses talents d'organisateur et de connais-
seur. Il manquait deux conservateurs compétents
pour les sections des antiques et de la peinture,
l'une et l'autre encombrées d'objets faux ou de
dixième ordre, où les belles choses ont besoin d'être
mises en valeur et délivrées de ce fâcheux voisi-
nage. La bonne fortune du Musée métropolitain a
fait découvrir ces deux right men. L'un, M. Robin-
son, a créé, classé, catalogué et rendu célèbre le
Musée d'archéologie classique do Boston, le seul
des États-Unis que M. Furtwaengler, au cours
d'une récente visite dans ce pays, ait cru pouvoir
louer sans réserves. Certaines difficultés, survenues
au mois d'août 1905, ont poussé M. Robinson à
donner sa démission ; son œuvre sera continuée, à
Boston, par M. Hill, curator dos antiquités grec-
ques, et M. Robinson prend la direction du Musée
d'art de New-York, comme auxiliaire de sir Pur-
don Gharke, au traitement do quarante mille
francs par an. Il aura fort à faire; mais je suis
ses travaux ctepuis vingt ans et je lo crois à la
hauteur de n'importe quelle tâche exigeant de la
science, du dévouement et du goût.
Pour le département de la peinture, les trustées,
dont l'un des plus influents est M. Pierpont-Mor-
gan, ont eu la main heureuse: ils ont choisi un
peintre anglais doublé d'un critique d'art, M. B,oger
Fry, auteur d'un excellent livre sur Bellini, d'une
édition modèle des Discours de Reynolds et de
nombreux articles très remarqués sur les Primitifs
français et flamands. M. Fry a eu jusqu'à présent
une grande part dans ia direction et la rédaction
du Burlington Magazine of art.
Enfin, lo défunt millionnaire do Chicago, bien
connu en Franco par lo portrait de Bonnat, Mar-
shall Field, a légué la somme énorme de quarante
millions au Field Columbiau Muséum. Du coup,
cette institution se trouve être la plus riche du
monde ; quand même les frais généraux absorbe-
raient la moitié de ses revenus, c'est-à-dire un
million, il resterait disponible un budget d'acqui-
sition égal à ceux des musées du Louvre et de
Berlin réunis. Si le maniement de celte fortune
est confié à do vrais connaisseurs, qui ne se préoc-
cupent pas d'acheter des œuvres de maîtres à la
mode, mais do belles œuvres, le Field Muséum a
devant lui un avenir que pourraient lui envier
beaucoup de vieilles et riches -collections euro-
péennes.
Salomon Reinach.
-<• c^. n ■ n n —ï>-
CORRESPONDANCE D'ANGLETERRE
Une véritable surprise s'est produite tout récem-
ment à la National Gallery : on vient de découvrir
dans ses réserves une vingtaine de tableaux de
Turner. Ce sont des pièces de toute beauté, datant
des dernières années de l'artiste, d'une fraîcheur
et d'une délicatesse surprenantes. Aussi la nou-
velle salle de la ïate Gallery, à Millbank, où sont
exposés ces trésors, nous révèle Turner dans toute
sa splendeur, et attire tous les jours uno foule
immense.
L'histoire de cette découverte — ou plutôt réha-
bilitatiou — suscite des réflexions pou à l'honneur
do l'administration de la National Gallery. Ces
toiles sont restées cachées depuis 1851, date de la
mort de Turner, qui les avait léguées à l'Angle-
terre. On no s'en était plus occupé ensuite et per-
sonne ne savait que ces toiles existaient encore
sous le toit même de la National Gallery.
61
Ça a été une heureuse pensée que de ras-
sembler quelques-unes des œuvres de Cordier,
ce sculpteur qui eut le sens ethnographique
et celui do la polychromie et qui, dans la
recherche du type, fut toujours soucieux et
respectueux de la plastique.
Parmi les expositions de cercles, celle de
l'Automobile-Club se distingue par un souci
moins exclusif de mondanité, par une saveur
d'art plus libre. M. Roll témoigne, dans son
E/fel d'orage, un effort inquiet de renouvelle-
ment; M. Cormon expose des études très sin-
cères ; M. Devambez, qui donne à des qualités
de premier ordre une application trop exclu-
sive, recommence constamment le même tour
de force avec le même bonheur ; la verve de
M. Jean Veber se fatigue; M. Gagliardini,
sans renoncer à l'éclat, tente des notations
plus chaudes. Le clou de l'exposition, c'est la
section de l'art précieux. M. Falize, avec ses
bijoux historiques, y côtoie M. Lucien Gail-
lard, qui expose des peignes d'une rare légè-
reté de formes et de coloris et des coffres la-
qués qui constituent une nouveauté véritable.
M, Lalique, par un contraste violent, oppose
des bijoux puissants, d'une splendeur étrange,
à des colliers dont les lignes et les tons ont
une mesure et une sobriété classiques, et
M. Dammouse, avant tout, excite les sensa-
tions les plus rares avec ses coupes, ses vases
et ses plaques de pâte de verre, où des pois-
sons se jouent dans des eaux mystérieuses
parmi des algues.
Aux Aquarellistes, parmi des productions
faciles, inconsistantes ou mièvres, on regarde
les fusains de M. Lhermitte, les études minus-
cules de M. R. Binet, moins bien inspiré par
Versailles que par Assise, les aquarelles
froides mais classiques de M. Zuber, les vues
prestigieuses de M. Luigi Loir et les impres-
sions discrètes et voilées de M. Duhem.
M. Delamarre rapporte de Belgique, de
Hollande et d'Italie des études où il a cherché
la note franche et vigoureuse. Le rouge un
peu brutal qu'il affectionne le sert mieux
pour traduire les vibrations du Nord que
celles du Midi et les meilleures de ses toiles
sont, sans doute, celles qu'il a brossées à
Bruges.
Léon RoSEN'tiial.
Les Musées d'art aux États-Unis
L'année qui vient de commencer paraît devoir
être « marquée d'un caillou blanc » dans l'histoire
des collections d'art américaines. Nos lecteurs
savent qu'en 1905, après la mort de Palma di Ces-
nola, directeur ;ï vie du Musée métropolitain de
New-York, ce poste important, jusque-là si singu-
gulièrement occupé, fut confié à sir Purdon Clarke,
qui a montré, au Victoria and Albert Muséum de
Londres, ses talents d'organisateur et de connais-
seur. Il manquait deux conservateurs compétents
pour les sections des antiques et de la peinture,
l'une et l'autre encombrées d'objets faux ou de
dixième ordre, où les belles choses ont besoin d'être
mises en valeur et délivrées de ce fâcheux voisi-
nage. La bonne fortune du Musée métropolitain a
fait découvrir ces deux right men. L'un, M. Robin-
son, a créé, classé, catalogué et rendu célèbre le
Musée d'archéologie classique do Boston, le seul
des États-Unis que M. Furtwaengler, au cours
d'une récente visite dans ce pays, ait cru pouvoir
louer sans réserves. Certaines difficultés, survenues
au mois d'août 1905, ont poussé M. Robinson à
donner sa démission ; son œuvre sera continuée, à
Boston, par M. Hill, curator dos antiquités grec-
ques, et M. Robinson prend la direction du Musée
d'art de New-York, comme auxiliaire de sir Pur-
don Gharke, au traitement do quarante mille
francs par an. Il aura fort à faire; mais je suis
ses travaux ctepuis vingt ans et je lo crois à la
hauteur de n'importe quelle tâche exigeant de la
science, du dévouement et du goût.
Pour le département de la peinture, les trustées,
dont l'un des plus influents est M. Pierpont-Mor-
gan, ont eu la main heureuse: ils ont choisi un
peintre anglais doublé d'un critique d'art, M. B,oger
Fry, auteur d'un excellent livre sur Bellini, d'une
édition modèle des Discours de Reynolds et de
nombreux articles très remarqués sur les Primitifs
français et flamands. M. Fry a eu jusqu'à présent
une grande part dans ia direction et la rédaction
du Burlington Magazine of art.
Enfin, lo défunt millionnaire do Chicago, bien
connu en Franco par lo portrait de Bonnat, Mar-
shall Field, a légué la somme énorme de quarante
millions au Field Columbiau Muséum. Du coup,
cette institution se trouve être la plus riche du
monde ; quand même les frais généraux absorbe-
raient la moitié de ses revenus, c'est-à-dire un
million, il resterait disponible un budget d'acqui-
sition égal à ceux des musées du Louvre et de
Berlin réunis. Si le maniement de celte fortune
est confié à do vrais connaisseurs, qui ne se préoc-
cupent pas d'acheter des œuvres de maîtres à la
mode, mais do belles œuvres, le Field Muséum a
devant lui un avenir que pourraient lui envier
beaucoup de vieilles et riches -collections euro-
péennes.
Salomon Reinach.
-<• c^. n ■ n n —ï>-
CORRESPONDANCE D'ANGLETERRE
Une véritable surprise s'est produite tout récem-
ment à la National Gallery : on vient de découvrir
dans ses réserves une vingtaine de tableaux de
Turner. Ce sont des pièces de toute beauté, datant
des dernières années de l'artiste, d'une fraîcheur
et d'une délicatesse surprenantes. Aussi la nou-
velle salle de la ïate Gallery, à Millbank, où sont
exposés ces trésors, nous révèle Turner dans toute
sa splendeur, et attire tous les jours uno foule
immense.
L'histoire de cette découverte — ou plutôt réha-
bilitatiou — suscite des réflexions pou à l'honneur
do l'administration de la National Gallery. Ces
toiles sont restées cachées depuis 1851, date de la
mort de Turner, qui les avait léguées à l'Angle-
terre. On no s'en était plus occupé ensuite et per-
sonne ne savait que ces toiles existaient encore
sous le toit même de la National Gallery.