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La chronique des arts et de la curiosité — 1912

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Nr. 18 (4 Mai)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19769#0149
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ET DE LA CURIOSITÉ

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pas seulement de l'àprelé du sile, du mystère de
l'heure, mais du trouble de l'artiste, de sa pitié
qui s'émeut au spectacle, monotone, semble-t-il,
et toujours divers, de la terre natale. On verra pa-
reillement la plus humble plante s'instituer, sous
les pinceaux de M. Quost, la coniidenle d'une dé-
v'otion passionnée à la nature et de la candeur tou-
chante d'une àme virgilienne. Ainsi l'art est le
miroir du monde et de la vie pour qui sait percer
le voile des apparences et déchiffrer l'énigme, mais là
crainte viendrait plutôt, à cette heure, que certains
sa prissent à verser dans un naturalisme de con-
vention, tandis que le penchant de leur instinct les
porterait plutôt vers la poésie et le rêve, qu'ils cè-
dent à la vocation comme SL. Jean-Paul Lau-
rens ou M. Fouqueray, comme M. Clément
Gontier, NT. Glovis Cazes, ou M. Monchablon.
Las des réalités trop souvent mesquines, nous
avons soif de beaux mensonges, nous nous
sommes repris d'amour pour les légendes del'his-
toire, pour les fables de la mythologie, qui empor-
tent la pensée loin de la vie et la font oublier.

Naguère, àpropos du« cubisme », on remarquait
ici comment une recherche d'ail légitime dans son
principe pouvait devenir heureuse dans ses consé-
quences, même si les créations par où elle
s'exprime ne trouvaient pas, dans leur forme pre-
mière, à satisfaire toutes les sensibilités. Tel semble
le destin réservé aux évolutions de la peinture
lorsqu'elles se produisent à la requête de l'esprit
scientilique. Le néo-impressionnisme a provoqué
des discussions sans fin et certains ne reconnais-
sent pas encore le bienfait de ses mérites; mais
un point demeure hors de litige : sans lui nous
n'aurions ni M. Ernest Laurent, ni M. Henri
Martin, de qui nous viennent, à ce Salon, les plus
pures et les meilleures joies.

I n portrait de M. Eruest Laurent, c'est toujours
pmrles yeux la certitude d'une dél-ctation et, pour
l'esprit, l'invite à la réflexion ou à la rêverie.
L'après-midi était clair dans le pire printanier;
une vapeur légère flottait autour des arbres dont
la brise tiède fait trembler le feuillage; sur le banc
deux promeneuses ont fait halte ; elles sont nu-
tète et habillées de robes blanches ou mauves ;
elles vous regardent, et votre regard sollicité
les dévisage à son tour : proches par le sang,
différentes par l'âge, l'une flatte un griffon
beige posé sur ses genoux, tandis que la plus
jeune laisse se flétrir entre ses mains un ée I
let rouge ; leur pensée erre au, loin sans effort,
sans objet, sans but; elles s'abandonnent à la féli-
cité de vivre dans la campagne paisible, d'aspirer
le parfum qui monte de la terre fertile ; l'heure
est douce, silencieuse, favorable à la bonne détente
où Tàme se laisse plus volontiers approcher et
surprendre. 11 n'est point d'instant pour mieux
répondre aux curiosités de M. Ernest Laurent.
<Juoi que ses modèles en aient, il devient toujours
leur conlident ; la ressemblance où il veut attein-
dre ne se co.itente pas de fixer les traits d'un
moment ; elle veut découvrir le secret d'une vie
intérieure peut-être, moins variable ; — conception
d'un philosophe ou plutôt d'un croyant qui s'oblige
à l'aire paraître, avec le corps, l'esprit qui survit à
la matière. Sous un autre rapport, M. Ernest
Laurent estime qu'autour du modèle il n'est point
<Je contingence indifférente : décor, accessoire, tout
explique, tout commente, tout concourt à rensei-
gner ; mais que de qualités requises chez l'artiste
MiuVexige <lb chaque détail le sens d'un symbole

N'ayez crainte : M. Ernest Laurent saura nous
satisfaire, grâce aux privilèges singuliers que con-
fèrent une haute intelligence, un goût et un tact infi-
nis... Ainsi, comme tout chacun, nous avions cédé
d'abord à l'attirance de ce double portrait,
gagné par l'agrément exquis des nuances dé
cendre et de perle, intrigué par l'énigme
vague dos sourires attendris ; après examen,
il s'avère que, sous le voile de tant de charmes,
une œuvre de scrutation profonde s'est accom-
plie : l'intimité des caractères s'est révélée, et
nous savons maintenant que, si les êtres s'accor-
dent à souhait avec le milieu où l'artiste les situe,
cela tient à ce que ce milieu même fut délibéré-
ment choisi pour aider à les mieux définir.

Loin do disconvenir à l'art du portrait, la techni-
que du néo-impressionnisme y seconderait plutôt
la subtilité de la notation; de même, l'emploi de
touches menues, juxtaposées, et pareilles au point
des tapisseries, la rend parfaitement applicable à
la décoration. Deux envois de M. Henri Martin en
font foi. L'artiste possède sa poétique propres
très différente de celle d'un Puvis de Chavannes,
d'un Aibert Besnard ou d'un' Maurice Denis,
ou la sent pourtant très contemporaine; elle
ne proscrit pas les ligures de rêve; elle élève
volontiers à la généralisation l'épisode familier ; le
culte de la nature y garde l'empreinte d'une rusti-
cité plus fruste que chez nul autre. Dtmande-l on
à M. Henri Martin d'orner quelque paroi, il ne
renonce pas à la diaprure du rayon, aux jeux con-
trastés des clartés et de l'ombre ; s'il peut s'all'ran-
chir impunément des règles imposées à la pein-
ture murale, n'est-ce pas grâce aux procédés dont
il use et qui garantissent, par l'égalité d'une
facture semblable en toutes ses parties, le respect
de l'unité décorative?

D^s deux envois de M. Henri Martin l'un. Au-
tomne, n'est pas inconnu; déjà on l'a-aimé à la
« Société nouvelle » et l'on se souvient de la terrasse
bleue avec ses hantes colonnes que relie, à leur
faîte, une opulente tenture de vigne vierge ; le
soleil cerne d'or le feuillage rose, dont les pampres
retombent et s'eflilent sur l'horizon violet comme
la frange d'un lambrequin ajouré ; dans l'ombre
diaphane, des femmes de clair vêtues s'ocupcnl.
portent dos corbeilles ou tendent l'herbe folle à la
chèvre qu'on trait ; c'est une bucolique moderne,
simple, exempte de toute grâce affectée et de tout
apprêt, et l'on pressent la joie du coloriste à accor-
der les tons assourdis et rompus parmi les clar-
tés discrètes que laisse liltrer un dais transparent.
M. Henri Martin nous a accoutumés à ces réussites.
Le souci de renouvellement apparaît plus net dans
un second tableau, Lta Décideuses : elles sont
assises, face à face, sur la rampe d'une balustrade
qui surplombe et domine une vaste échappée de
campagne; leur geste lent s'harmonise avec le calme
de la nature, avec la gravité de l'ombre qui descend;
ici, l'impression de recueillement n'est pas obtenue
par la seule équivalence de la couleur ; elle est
favorisée par le parallélisme des lignes — lignes
horizontales du sol, du balcon, de la colline et du
ciel; lignes verticales que dressent les lorses élan-
cés des jeunes iilles, les lauriers blancs en caisse,
les géraniums en pots et les balustres dans Tinter
valle desquels rutilent, sous le feu du rayon, les
toits rouges du village tapi au creux de la vallée.
51. Henri Martin a signé' des morceaux de plus
ample envergure ; je n'en sais aucun d'où se
dégage une émotion plus riche et plus forte. Si
 
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