MANUSCRIT DU NIEDERMUENSTER, PL. III.
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découragé pour longtemps les peintres de leur pays, qui devaient se porter avec joie vers
des nations neuves et simples où l’on ne se chamaillait pas sur la pointe d’une aiguille,
et qui ne possédaient plus guère qu’un art demeuré dans les langes. L’invasion magyare,
après les dévastations normandes, interrompit tellement les traditions carlovingiennes,
que nous nous trouvions réduits alors aux bégaiements de l’enfance. Aussi les Grecs, avec
leur traditions de procédés techniques et artistiques, étaient-ils sûrs de rencontrer bon
accueil en Allemagne. Ils poussèrent plus tard jusqu’en France, au moins par leurs
élèves ; et nos provinces de l’Est montrent encore des vestiges remarquables de ce que
cette école savait faire dans la décoration monumentale L Qui dira ce que nos contrées du
Midi leur doivent? Là les vaisseaux du commerce les portaient sans peine, et ces exilés
y rencontraient un ciel plus clément que celui de l’Allemagne. Il est à peu près certain
que le bassin du Rhône en aura gardé une empreinte éclatante; si bien que, malgré
l’éloignement de l’Eglise grecque pour le haut-relief, Arles, Saint-Gilles, et la Bourgogne
proprement dite, produisent vers ce temps-là des sculptures que l’on croirait nées satis
père ni mère (prolem sine mettre creatam). La véritable mère paraît bien avoir été la Grèce
chrétienne, qui n’était pas encore éloignée de nous par les tristes conséquences du
schisme de Photius. Nous avions, de part et d’autre, beaucoup à nous prêter mutuelle-
ment; pourquoi des fautes réciproques ont-elles interrompu cette entente où l’on avait
tous deux à gagner !
Du reste, l’art grec proprement dit, mais surtout la liturgie grecque, n’entre ici pour
presque rien. L’espèce d’ornement qui se superpose à la chasuble de S. Erhard peut être
pris comme une sorte de signe abstrait qui désigne la dignité pastorale. Aussi peut-on y
lire diverses paroles qui indiquent les privilèges et la fonction de l’épiscopat. C’est, sur
la poitrine, Sacer principatas ; de la poitrine aux pieds, Or do semetorum ; pour nous faire voir
que les dignités ecclésiastiques sont établies en faveur du peuple chrétien. Saint Paul
l’avait dit (Eplies. îv, 1-14) : « Je vous conjure, mes frères, de marcher chacun dans la
route que sa vocation lui trace... Gardons tous l’unité du Saint-Esprit, dans les liens
de la paix. Il n’y a qu’un Dieu, une foi, un baptême... Mais Jésus-Christ a varié les
dons... Il a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d’autres pasteurs et docteurs. Tout
cela pour faire de nous tous un seul ensemble qui est Jésus-Christ lui-même, et qui con-
duira l’Église à l’âge parfait, exempt des enfantillages, de la malice humaine, des erreurs
et de la ruse. »
Je ne cherche point par le me nu ce que disent tous les mots tracés sur cet ornement
épiscopal. Ils peuvent être beaucoup plus clairs dans l’original de Munich, mais je 11e
suis pas toujours sûr de m’en rendre compte exactement au moyen de la copie; et il
suffira probablement au lecteur d’en interpréter le sens général2.
1. Je me rappelle que M. Iiippolyte Flandrin, à qui je
montrais des calques à peine passables de l’art grec du
xic siècle, sans trop espérer qu’il y prendrait goût, décla-
rait trouver dans ces silhouettes vigoureuses un merveil-
leux sentiment de l’antique.- Aussi accepta-t-il avec joie les
copies que je lui en offrais. Malgré bien des affaiblissements
qui signalent plusieurs degrés de baisse dans l’art grec
depuis le xe siècle, qui fut une de ses belles époques, la
peinture y a maintenu des lignes qui parlent encore à l’es-
prit, même sous la main de bien des artistes maladroits.
2. On pourrait demander ce que signifie un triangle
d’or qui se voit sur le front de l’évêque. Ce peut être le sou-
venir de la tiare que portait Aaron (Exod. xxvm, 36-38 ;
Levü. vin, 9), et qui nous montre le sacerdoce chrétien
substitué à celui de l’ancienne loi. En mémoire de ce rite
mosaïque, les vieilles légendes prétendent que S. Jacques
le Mineur, premier évêque de Jérusalem, portait sur son
front une lame d’or. On suppose qu’il voulait se montrer
ainsi comme le véritable remplaçant de l’ancien sacer-
doce, et quelque vieille estampe s’y conforme.
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découragé pour longtemps les peintres de leur pays, qui devaient se porter avec joie vers
des nations neuves et simples où l’on ne se chamaillait pas sur la pointe d’une aiguille,
et qui ne possédaient plus guère qu’un art demeuré dans les langes. L’invasion magyare,
après les dévastations normandes, interrompit tellement les traditions carlovingiennes,
que nous nous trouvions réduits alors aux bégaiements de l’enfance. Aussi les Grecs, avec
leur traditions de procédés techniques et artistiques, étaient-ils sûrs de rencontrer bon
accueil en Allemagne. Ils poussèrent plus tard jusqu’en France, au moins par leurs
élèves ; et nos provinces de l’Est montrent encore des vestiges remarquables de ce que
cette école savait faire dans la décoration monumentale L Qui dira ce que nos contrées du
Midi leur doivent? Là les vaisseaux du commerce les portaient sans peine, et ces exilés
y rencontraient un ciel plus clément que celui de l’Allemagne. Il est à peu près certain
que le bassin du Rhône en aura gardé une empreinte éclatante; si bien que, malgré
l’éloignement de l’Eglise grecque pour le haut-relief, Arles, Saint-Gilles, et la Bourgogne
proprement dite, produisent vers ce temps-là des sculptures que l’on croirait nées satis
père ni mère (prolem sine mettre creatam). La véritable mère paraît bien avoir été la Grèce
chrétienne, qui n’était pas encore éloignée de nous par les tristes conséquences du
schisme de Photius. Nous avions, de part et d’autre, beaucoup à nous prêter mutuelle-
ment; pourquoi des fautes réciproques ont-elles interrompu cette entente où l’on avait
tous deux à gagner !
Du reste, l’art grec proprement dit, mais surtout la liturgie grecque, n’entre ici pour
presque rien. L’espèce d’ornement qui se superpose à la chasuble de S. Erhard peut être
pris comme une sorte de signe abstrait qui désigne la dignité pastorale. Aussi peut-on y
lire diverses paroles qui indiquent les privilèges et la fonction de l’épiscopat. C’est, sur
la poitrine, Sacer principatas ; de la poitrine aux pieds, Or do semetorum ; pour nous faire voir
que les dignités ecclésiastiques sont établies en faveur du peuple chrétien. Saint Paul
l’avait dit (Eplies. îv, 1-14) : « Je vous conjure, mes frères, de marcher chacun dans la
route que sa vocation lui trace... Gardons tous l’unité du Saint-Esprit, dans les liens
de la paix. Il n’y a qu’un Dieu, une foi, un baptême... Mais Jésus-Christ a varié les
dons... Il a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d’autres pasteurs et docteurs. Tout
cela pour faire de nous tous un seul ensemble qui est Jésus-Christ lui-même, et qui con-
duira l’Église à l’âge parfait, exempt des enfantillages, de la malice humaine, des erreurs
et de la ruse. »
Je ne cherche point par le me nu ce que disent tous les mots tracés sur cet ornement
épiscopal. Ils peuvent être beaucoup plus clairs dans l’original de Munich, mais je 11e
suis pas toujours sûr de m’en rendre compte exactement au moyen de la copie; et il
suffira probablement au lecteur d’en interpréter le sens général2.
1. Je me rappelle que M. Iiippolyte Flandrin, à qui je
montrais des calques à peine passables de l’art grec du
xic siècle, sans trop espérer qu’il y prendrait goût, décla-
rait trouver dans ces silhouettes vigoureuses un merveil-
leux sentiment de l’antique.- Aussi accepta-t-il avec joie les
copies que je lui en offrais. Malgré bien des affaiblissements
qui signalent plusieurs degrés de baisse dans l’art grec
depuis le xe siècle, qui fut une de ses belles époques, la
peinture y a maintenu des lignes qui parlent encore à l’es-
prit, même sous la main de bien des artistes maladroits.
2. On pourrait demander ce que signifie un triangle
d’or qui se voit sur le front de l’évêque. Ce peut être le sou-
venir de la tiare que portait Aaron (Exod. xxvm, 36-38 ;
Levü. vin, 9), et qui nous montre le sacerdoce chrétien
substitué à celui de l’ancienne loi. En mémoire de ce rite
mosaïque, les vieilles légendes prétendent que S. Jacques
le Mineur, premier évêque de Jérusalem, portait sur son
front une lame d’or. On suppose qu’il voulait se montrer
ainsi comme le véritable remplaçant de l’ancien sacer-
doce, et quelque vieille estampe s’y conforme.