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Cahier, Charles; Martin, Arthur
Mélanges d'archéologie, d'histoire et de littérature (Band 3,1): Nouveaux mélanges ... sur le moyen âge : curiosités mysterieuses ; 1 — Paris, 1874

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https://doi.org/10.11588/diglit.33620#0187
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DU BESTIAIRE : STRASBOURG.

157

L’espèce de sirène ailée qui court la lance en arrêt (N) sur un chevalier (ou moine), à
croupe de quadrupède et à visage presque bestial (dans la photographie), ne peint-elle pas
le moment où la passion sollicite un cœur qui ne se met en garde que sans véritable
répugnance pour le mal, et comme par manière d’acquit? — La centauresse qui ne fait
qu’un avec le corps d’une sorte de lion ou de pourceau (figure O)1 semble s’intéresser
aussi à l’action du groupe vers lequel elle se tourne. Là (groupe P, p. 159), l’homme qui
chevauche un lion décoche une flèche contre la sirène qui porte entre ses bras son
siréneau. Il serait permis d’y lire la tentation abordée imprudemment par le cœur qui
devrait s’en garer, sous prétexte de lutte où l’on se fait fort de vaincre; tandis que tout
à l’heure c’était l’attaque mal repoussée. Car toute cette série de hauts-reliefs qui
fait suite aux prophéties historiques {types) de Notre-Seigneur et aux symboles les
plus graves du Bestiaire, se propose sans contredit le péril quotidien de la vie sensuelle.
En cela, chaque fidèle avisé doit savoir que le triomphe est pour qui sait fuir à propos.
Assez de dangers entourent notre pauvre nature humaine dans la vie de tous les jours,
sans qu’elle aille encore se jeter de gaieté de cœur au milieu du feu qui ne serait point
sous ses pas.
Une sorte d’espièglerie quasi brutale, donnant la forme à ces doctrines sous la main des
artistes du moyen âge, peut servir d’excuse acceptable aux spectateurs modernes qui
se sont imaginé y voir un sabbat de sorcières2. Des Allemands surtout, et sous l’empire
du luthéranisme, devaient chercher ce commentaire baroque pour des enseignements
passés à l’état d’énigmes. Ayant perdu peu à peu la jovialité populaire dont s’accom-
modait la vieille foi (comme une bonne mère qui sait folâtrer avec ses petits enfants), et
trop heureux de bafouer l’Eglise catholique sous prétexte de superstition papiste, les
protestants auront trouvé bon de ridiculiser prêtres et évêques comme auteurs ou
fauteurs de ces soi-disant farces ou exhibitions scandaleuses. Pour moi, sans avoir
jamais lu ni même parcouru la Notre-Dame de Paris mise en roman par M. Victor Hugo,
j’entends dire qu’il s’y rencontre telle et telle traduction de sculptures qui ne l’emporte
guère sur le sens prêté par les Alsaciens du xvne siècle à leur frise.
Mais puisqu’une pause est intervenue dans l’énumération des parties successives de ces
figures symboliques, ne laissons pas croire que leur bizarrerie apparente fût une innovation
au xive siècle. Deux cents ans plus tôt, dans sa philippique contre Gluny3, saint Bernard se
scandalisait déjà des monstruosités qu’on voyait dans les cloîtres. Il les qualifie d’élégances

1. La gravure du P. A. Martin donne une crinière au
quadrupède dont les pieds de devant indiqueraient quel-
que oiseau aquatique. Mais la photographie (A 2) repré-
sente plutôt une femme velue dont les longs poils tom-
bent sur l’encolure de la bête quelconque qui la porte. De
même, dans la photographie, cette femme paraît tenir une
torche ou une branche garnie de rameaux à son extrémité
supérieure. Il faudrait, pour se prononcer, savoir mieux
que moi si plusieurs de ces sculptures n’ont pas été rema-
niées depuis l’époque où mon ancien collaborateur exé-
cutait ses dessins à l’aide d’une longue-vue. D’autre part,
le groupe précédent n’a pas la lance complète. Le seul fer
se voit fixé sur le bouclier de l’homme, mais rien n’in-
dique que son ennemie ait jamais porté un arc. Il ne s’agis-
sait donc pas d’une flèche réellement, et le P. À. Martin
aura pu se croire le droit de compléter une lance en

dessinant la hampe tout entière, depuis la main de l’as-
saillante jusqu’à l’écu du champion (ou soutenant).
2. Grandidier, loc. cit., p. 222.
3. Apologia ad Guillelm. sancti Theoderici abbatem,
c. xi : «In claustris coram legentibus fratribus quid facit
» ilia ridicula monstruositas, mira quædam deformis for-
» mositas, ac formosa deformitas ! Quid ibi immundæ si-
» miæ?Quid feri leones ? Quid monstruosi centauri ?Quid
» semihomines? Quid maculosæ tigrides ? Quid milites
» pugnantes ? Quid venatores tubicinantes ? Videas sub uno
» capite multa corpora, et rursus in uno corpore capita
» multa. Cernitur hinc in quadrupède cauda serpentis
» illinc in pisce caput quadrupedis. Ibi bestia præfert
» equum, capram trahens rétro dimidiam; hic cornutum
» animal, equum gestat posterius. Tarn multa denique
» tamque mira diversarum formarum ubique varietas
 
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