BAS—RELIEFS MYSTÉUIELX : VÉZELAY.
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absolument moyen de voir une vipère femelle dans ce qui nous a semblé un sphinx.
A propos d’œufs glanera encore qui voudra quelques textes de saint Grégoire1, si l’on
y tient beaucoup; mais c’est de l’autruche qu’il s’agit là, et il ne semble pas en être
question le moins du monde pour notre affaire actuelle.
La monture extraordinaire qui porte notre assaillant (si c’est un assaillant), et le talisman
qu’on lui oppose, seraient-ils par hasard le souvenir confus de Persée ou de Bellérophon?
En ce cas, le sphinx présenterait peut-être un miroir, comme les anciens racontent que
l’aspect de Méduse ne nuisait point à celui qui n’en voyait que l’image2. Qui voudrait
s’emparer de cette ressource, à laquelle je ne crois guère pour le cas présent, s’aiderait
au besoin d’un article qui se rencontre dans la chronique d’Adon3. Sous l’année 3797, il
raconte à la fois les fables de Triptolème chevauchant des serpents ailés, des hippocen-
taures, de Phryxus et d’Hellé traversant les airs sur le dos d’un bélier, de la Gorgone dont
la vue pétrifiait les gens, de Bellérophon transporté par Pégase, etc. Tout cela s’est-il
réuni dans la tête d’un symboliste qui aura dirigé le sculpteur bourguignon? Je n’ose le
croire, et tenterai seulement un dernier moyen de sauvetage pour l’acquit de ma con-
science4.
Une histoire que raconte saint Isidore, d’après Pline et Dion revus et augmentés5,
nous montre l’empereur Tibère punissant de mort un habile ouvrier qui lui avait présenté
du verre malléable. Le Violier des histoires romainesc, qui moralisait toutes sortes de récits
du moyen âge, dit : « L’empereur print son voirre, puis le gecta contre la muraille... »
L’interprétation édifiante voit dans cet acte de Tibère « que les honneurs muent les
1. Greg. M. ibid., libr. XXX, cap. ix; et libr. XXXI,
cap. xx-xxm (Opp. t. III, p. 272, sqq.; et 283-285). — Cf.
Hieronym. In Isaï. lix (Opp. ed. Martianay, t. III, p. 438).
2. Cf. Violier des histoires romaines, éd. G. Brunet,
p. 310, sv. Cependant ce préservatif contre le regard du
basilic n’aura probablement pas été rappelé deux fois en
une même église; et nous l’y avons déjà vu, ou peu s’en
faut, dans la Iie série de ces Mélanges.
3. Adon. Chronic., ælas III (Bibl. PP., t. XVI, p. 773).
l\. Certaines expressions du Policraticus (libr. II, ed.
Giles, t. I, p. 136-150 ; 155, sq.; et 285, sq.) sur la magie
et les devins, prêteraient à soupçonner qu’on aura voulu
ici mettre les spectateurs en garde contre les sorciers. Ce
serait pourtant là encore une interprétation bien tirée par
les cheveux; et puis, quelle apparence que Jean de Salis-
bury ait exercé grande action à Vézelay !
5. Isid. Etymolog., libr. XVI, cap. xvi(0pp. ed. Arevalo,
t. IV, p. 285): -(Ferunt autem, sub Tiberio Cæsare quem-
» dam artificem excogitasse vitri temperamentum, ut
» flexibile esset et ductile. Qui dum admissus fuisset ad
» Cæsarem, porrexit phialam Cæsari ; quam ille indigna-
» tus in pavimentum projecit. Artifex autem sustulit
» phialam e pavimento, quæ complicaverat se tanquam
» vas æreum; deinde martulum de sinu protulit et phia-
» lam correxit. lloc facto, Cæsar dixit artifici : Numquid
» abus scit hanc condituram vitrorum? Postquam ille
» jurans negavit..., jussit ilium Cæsar decollari; ne....
» aurum pro luto haberetur, et omnium metallorum
» pretia abstraherentur. Etc. »
6. Ed. G. Brunet (1858), chap. xuir, p. 10Zi, sv.
Pour ne pas laisser croire à quelque lecteur novice que
la compilation du Violier soit œuvre personnelle qui n’aurait
ni tenants ni aboutissants, empruntons encore une forme
ancienne de cette anecdote au poëme d’Hildebert du
Mans, contre l’envie (ap.Otto, Codices... biblioth. gissensis,
p. 171, sq.). C’est même récit et même moralité :
« Quid loquar invidiam, furia quæ sævior omni
Spirat Letiferuni viperea sanie.
Solis læta malis, hæc uritur igné doloris
Audierit si quem prosperitate frui.
Artes, heu* multæ penitus jacuere sepultæ,
Quuni virlus furiæ cessent invidiæ.
Livor edax! jocunda tuo dictante veneno,
Vitri flexibilis ars homini periit.
Livor livori collisa, velutpetra petræ ;
Ars mors auctori quod fuit, auctor ei as.
Quidam tune solus, primus, sed postea nullus,
Vitri naturam flexerat arte nova;
Cederet utflexu sinuoso, more melalli,
Quod modo percussum dissilit ut glacies ;
Quaslibet ut formas imbutum mente magislri,
Susciperet, docti pollicis arbitrio.
Quid sibi pauper homo promittet tempore longo,
Incertus certum quid sibi mundus habet !
Auctor hic ut summus ....
Tune procuranti publica Tiberio,
Magnus ut magno, pro magnis magna volendc,
Ejusdem vitri detulerat phialam.
Quum perspexisset Cæsar quod mox retulisset
Auctor cum vitro laudis hic hoc pretii;
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absolument moyen de voir une vipère femelle dans ce qui nous a semblé un sphinx.
A propos d’œufs glanera encore qui voudra quelques textes de saint Grégoire1, si l’on
y tient beaucoup; mais c’est de l’autruche qu’il s’agit là, et il ne semble pas en être
question le moins du monde pour notre affaire actuelle.
La monture extraordinaire qui porte notre assaillant (si c’est un assaillant), et le talisman
qu’on lui oppose, seraient-ils par hasard le souvenir confus de Persée ou de Bellérophon?
En ce cas, le sphinx présenterait peut-être un miroir, comme les anciens racontent que
l’aspect de Méduse ne nuisait point à celui qui n’en voyait que l’image2. Qui voudrait
s’emparer de cette ressource, à laquelle je ne crois guère pour le cas présent, s’aiderait
au besoin d’un article qui se rencontre dans la chronique d’Adon3. Sous l’année 3797, il
raconte à la fois les fables de Triptolème chevauchant des serpents ailés, des hippocen-
taures, de Phryxus et d’Hellé traversant les airs sur le dos d’un bélier, de la Gorgone dont
la vue pétrifiait les gens, de Bellérophon transporté par Pégase, etc. Tout cela s’est-il
réuni dans la tête d’un symboliste qui aura dirigé le sculpteur bourguignon? Je n’ose le
croire, et tenterai seulement un dernier moyen de sauvetage pour l’acquit de ma con-
science4.
Une histoire que raconte saint Isidore, d’après Pline et Dion revus et augmentés5,
nous montre l’empereur Tibère punissant de mort un habile ouvrier qui lui avait présenté
du verre malléable. Le Violier des histoires romainesc, qui moralisait toutes sortes de récits
du moyen âge, dit : « L’empereur print son voirre, puis le gecta contre la muraille... »
L’interprétation édifiante voit dans cet acte de Tibère « que les honneurs muent les
1. Greg. M. ibid., libr. XXX, cap. ix; et libr. XXXI,
cap. xx-xxm (Opp. t. III, p. 272, sqq.; et 283-285). — Cf.
Hieronym. In Isaï. lix (Opp. ed. Martianay, t. III, p. 438).
2. Cf. Violier des histoires romaines, éd. G. Brunet,
p. 310, sv. Cependant ce préservatif contre le regard du
basilic n’aura probablement pas été rappelé deux fois en
une même église; et nous l’y avons déjà vu, ou peu s’en
faut, dans la Iie série de ces Mélanges.
3. Adon. Chronic., ælas III (Bibl. PP., t. XVI, p. 773).
l\. Certaines expressions du Policraticus (libr. II, ed.
Giles, t. I, p. 136-150 ; 155, sq.; et 285, sq.) sur la magie
et les devins, prêteraient à soupçonner qu’on aura voulu
ici mettre les spectateurs en garde contre les sorciers. Ce
serait pourtant là encore une interprétation bien tirée par
les cheveux; et puis, quelle apparence que Jean de Salis-
bury ait exercé grande action à Vézelay !
5. Isid. Etymolog., libr. XVI, cap. xvi(0pp. ed. Arevalo,
t. IV, p. 285): -(Ferunt autem, sub Tiberio Cæsare quem-
» dam artificem excogitasse vitri temperamentum, ut
» flexibile esset et ductile. Qui dum admissus fuisset ad
» Cæsarem, porrexit phialam Cæsari ; quam ille indigna-
» tus in pavimentum projecit. Artifex autem sustulit
» phialam e pavimento, quæ complicaverat se tanquam
» vas æreum; deinde martulum de sinu protulit et phia-
» lam correxit. lloc facto, Cæsar dixit artifici : Numquid
» abus scit hanc condituram vitrorum? Postquam ille
» jurans negavit..., jussit ilium Cæsar decollari; ne....
» aurum pro luto haberetur, et omnium metallorum
» pretia abstraherentur. Etc. »
6. Ed. G. Brunet (1858), chap. xuir, p. 10Zi, sv.
Pour ne pas laisser croire à quelque lecteur novice que
la compilation du Violier soit œuvre personnelle qui n’aurait
ni tenants ni aboutissants, empruntons encore une forme
ancienne de cette anecdote au poëme d’Hildebert du
Mans, contre l’envie (ap.Otto, Codices... biblioth. gissensis,
p. 171, sq.). C’est même récit et même moralité :
« Quid loquar invidiam, furia quæ sævior omni
Spirat Letiferuni viperea sanie.
Solis læta malis, hæc uritur igné doloris
Audierit si quem prosperitate frui.
Artes, heu* multæ penitus jacuere sepultæ,
Quuni virlus furiæ cessent invidiæ.
Livor edax! jocunda tuo dictante veneno,
Vitri flexibilis ars homini periit.
Livor livori collisa, velutpetra petræ ;
Ars mors auctori quod fuit, auctor ei as.
Quidam tune solus, primus, sed postea nullus,
Vitri naturam flexerat arte nova;
Cederet utflexu sinuoso, more melalli,
Quod modo percussum dissilit ut glacies ;
Quaslibet ut formas imbutum mente magislri,
Susciperet, docti pollicis arbitrio.
Quid sibi pauper homo promittet tempore longo,
Incertus certum quid sibi mundus habet !
Auctor hic ut summus ....
Tune procuranti publica Tiberio,
Magnus ut magno, pro magnis magna volendc,
Ejusdem vitri detulerat phialam.
Quum perspexisset Cæsar quod mox retulisset
Auctor cum vitro laudis hic hoc pretii;