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MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
flatte qu'aujourd'hui, si elle revenait aux enchères, nos directeurs de musées seraient
assez intelligents pour ne pas en priver leur patrie.
Qu'est-ce donc que ce reste des premiers siècles ? C'est presque indubitablement une
de ces tours d'ivoire qui servaient de tabernacle pour conserver la sainte Eucharistie
d'une messe à l'autre*. A diverses époques, cette prit d'autres formes
et accueillit d'autres matières^, mais la tour est mentionnée de très-bonne heure, et ce
semble être surtout l'ivoire qu'on choisissait pour matière employée à cet effet. Venance
Fortunat avait probablement en vue quelque chose de semblable lorsqu'il envoyait un
compliment, ou peut-être une inscription, à Félix de Bourges, pour une occasion de ce
genre h
Quand je crois que nous avons ici une tour eucharistique, la forme seule est déjà bien
de quelque autorité. Cette espèce de cône tronqué a dû être un peu réduit pour que sa
représentation s'adaptât à nos pages, en sorte que le P. Martin ne s'est pas imposé de
conserver la grandeur d'exécution. Sa gravure, du reste, déploie le sujet, en manière de
cylindre développé, sans en donner le coup d'œil spécial sous une de ses faces quelcon-
ques, et les raccordements des deux extrémités se comprendront sans peine par la répé-
tition de certaines parties h La porte, qui appartient évidemment à l'état primitif, a été
jadis garnie d'argent; et, à partir de la charnière, quelque chaudronnier du pays aura
reçu la tâche d'y adapter une petite valve de cuivre jaune qui se voit encore sans que je
puisse assigner sa date. Qu'étaient les fermetures inférieure ou supérieure, je demande
qu'on me dispense de me prononcer là-dessus**. Nous sommes trop éloignés de l'époque
où ce meuble ecclésiastique était d'usage ordinaire.
Ce qui échappe à toute contestation , c'est qu'il s'agit d'Orphée. On le reconnaît sans
peine assis au-dessus de l'arceau qui figure une porte dans notre tour. Il fait résonner sa
1. Que l'on gardât te Saint Sacrement, même sous tes
deux espèces, dès tes premiers temps de l'Église, c'est ce
dont il y a des preuves à satiété. Cf. Le Cointe, AwMtZ. eccZ.
/Tcnc., t. H, p. 68. — Gregor. Turoti., De gZorta wmrtgrMm,
cap. 86. — Mondetli, ap. Zaccaria, RaccoZZa, t. IX, p. 261,
sgg.; et 273, sg. — MéZnwges (Z'arcZtëoZogte, 1"= série, t. It,
p. 53, sv. ; etc.
Le savant Dominique Giorgi (De ZZZwrgfc Romum. PowMjicis...,
t. !, p. xciij-xcix) en parle fort au long, et montre combien
Daillé s'était mis à l'aise pour nier le fait patent de la con-
servation des saintes espèces aux premiers siècles de nos
diocèses. — Cf. C. Cavedoni, Cre&Mzn...<%eZsacrumeHto (ZeZZ*
ÆwcarMtM co?nprtwnZa.
2. Cf. Gregor. Turon., LR'sf. Franc., X, 13 : ((Fuit faber
lignarius, faciens etiam turres holochryso tectas, etc. n. H
s'agit en cet endroit d'un abbé de Saint-Martin qui de-
vint évêque; et l'historien parle ailleurs encore de ce même
vase eucharistique, comme étant assez commun de son
temps.
3. Cf. Venant., opp. ed. Luchi, P. 1, p. 108, sq.—Le Blant,
DMcripHoMS chrétiennes & Zc Gante, t. H, p. 313, sv. — Pa-
ciaudi, De caZZw s. J. Æaptist., p. 393. — Giorgi, Z. e. —
Chronica... monast. Cassinensis, ed. AngelodeNuce, p. 146,
§ 629. — Etc.
Qui sait même si ce n'est pas ce souvenir qui a fait rappro-
cher l'un de l'autre dans les litanies de la Sainte Vierge ces
titres : Domws anrea, Twrris eiwnea et Fasderfsarca? La tour
d'ivoire, comme expression de beauté, remonte jusqu'au Can-
tique des cantiques; mais ici l'on aura voulu apparemment
rappeler le séjour du Verbe divin dans les entrailles de Marie.
Tours d'or, d'ivoire ou d'argent, employées pour ce qu'on
appelle aujourd'hui tabernacle en style liturgique, étaient
locutions bien connues du moyen âge ; et les biographes
des papes en parlent tout comme d'autres auteurs qu'on
pourrait soupçonner d'être provinciaux. Cf. Anastas., Du
Cange, etc.
L'usage en a même persisté avec fort peu de modification,
jusqu'à des temps assez voisins du nôtre. Cf. Molan., Rtstor.
SS. MKcpmMm (ed. Paquot), IV, 17.
4, Ainsi, à droite du spectateur, une bête farouche ou un
molosse se précipite, comme en plongeant dans un ravin,
entre la croupe d'un cheval et la tête d'un autre. Son ar-
rière-train semble masqué par un jet de draperie que rien
n'expliquerait si l'on ne recourt au côté gauche. Là il sera
facile de reconnaître que c'est l'extrémité d'une chlamyde
flottant en arrière du cavalier qui galope sans armes, et
qui, comme simple amateur, se retourne pour considérer
l'alarme répandue parmi les habitants du bois. Peut-être
faut-il lui supposer un couteau de chasse pendant sur la
cuisse gauche.
5. Je n'en dirai qu'un mot tout à l'heure, et sans autres
données que celles de la gravure. Car, à première vue, je
n'avais qu'un seul instant pour juger cette tour comme en
gros, et plus tard je croyais pouvoir compter sur une repro-
duction moins brusque. D'ailleurs, il s'est passé bien du
temps et bien des choses depuis lors.
MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
flatte qu'aujourd'hui, si elle revenait aux enchères, nos directeurs de musées seraient
assez intelligents pour ne pas en priver leur patrie.
Qu'est-ce donc que ce reste des premiers siècles ? C'est presque indubitablement une
de ces tours d'ivoire qui servaient de tabernacle pour conserver la sainte Eucharistie
d'une messe à l'autre*. A diverses époques, cette prit d'autres formes
et accueillit d'autres matières^, mais la tour est mentionnée de très-bonne heure, et ce
semble être surtout l'ivoire qu'on choisissait pour matière employée à cet effet. Venance
Fortunat avait probablement en vue quelque chose de semblable lorsqu'il envoyait un
compliment, ou peut-être une inscription, à Félix de Bourges, pour une occasion de ce
genre h
Quand je crois que nous avons ici une tour eucharistique, la forme seule est déjà bien
de quelque autorité. Cette espèce de cône tronqué a dû être un peu réduit pour que sa
représentation s'adaptât à nos pages, en sorte que le P. Martin ne s'est pas imposé de
conserver la grandeur d'exécution. Sa gravure, du reste, déploie le sujet, en manière de
cylindre développé, sans en donner le coup d'œil spécial sous une de ses faces quelcon-
ques, et les raccordements des deux extrémités se comprendront sans peine par la répé-
tition de certaines parties h La porte, qui appartient évidemment à l'état primitif, a été
jadis garnie d'argent; et, à partir de la charnière, quelque chaudronnier du pays aura
reçu la tâche d'y adapter une petite valve de cuivre jaune qui se voit encore sans que je
puisse assigner sa date. Qu'étaient les fermetures inférieure ou supérieure, je demande
qu'on me dispense de me prononcer là-dessus**. Nous sommes trop éloignés de l'époque
où ce meuble ecclésiastique était d'usage ordinaire.
Ce qui échappe à toute contestation , c'est qu'il s'agit d'Orphée. On le reconnaît sans
peine assis au-dessus de l'arceau qui figure une porte dans notre tour. Il fait résonner sa
1. Que l'on gardât te Saint Sacrement, même sous tes
deux espèces, dès tes premiers temps de l'Église, c'est ce
dont il y a des preuves à satiété. Cf. Le Cointe, AwMtZ. eccZ.
/Tcnc., t. H, p. 68. — Gregor. Turoti., De gZorta wmrtgrMm,
cap. 86. — Mondetli, ap. Zaccaria, RaccoZZa, t. IX, p. 261,
sgg.; et 273, sg. — MéZnwges (Z'arcZtëoZogte, 1"= série, t. It,
p. 53, sv. ; etc.
Le savant Dominique Giorgi (De ZZZwrgfc Romum. PowMjicis...,
t. !, p. xciij-xcix) en parle fort au long, et montre combien
Daillé s'était mis à l'aise pour nier le fait patent de la con-
servation des saintes espèces aux premiers siècles de nos
diocèses. — Cf. C. Cavedoni, Cre&Mzn...<%eZsacrumeHto (ZeZZ*
ÆwcarMtM co?nprtwnZa.
2. Cf. Gregor. Turon., LR'sf. Franc., X, 13 : ((Fuit faber
lignarius, faciens etiam turres holochryso tectas, etc. n. H
s'agit en cet endroit d'un abbé de Saint-Martin qui de-
vint évêque; et l'historien parle ailleurs encore de ce même
vase eucharistique, comme étant assez commun de son
temps.
3. Cf. Venant., opp. ed. Luchi, P. 1, p. 108, sq.—Le Blant,
DMcripHoMS chrétiennes & Zc Gante, t. H, p. 313, sv. — Pa-
ciaudi, De caZZw s. J. Æaptist., p. 393. — Giorgi, Z. e. —
Chronica... monast. Cassinensis, ed. AngelodeNuce, p. 146,
§ 629. — Etc.
Qui sait même si ce n'est pas ce souvenir qui a fait rappro-
cher l'un de l'autre dans les litanies de la Sainte Vierge ces
titres : Domws anrea, Twrris eiwnea et Fasderfsarca? La tour
d'ivoire, comme expression de beauté, remonte jusqu'au Can-
tique des cantiques; mais ici l'on aura voulu apparemment
rappeler le séjour du Verbe divin dans les entrailles de Marie.
Tours d'or, d'ivoire ou d'argent, employées pour ce qu'on
appelle aujourd'hui tabernacle en style liturgique, étaient
locutions bien connues du moyen âge ; et les biographes
des papes en parlent tout comme d'autres auteurs qu'on
pourrait soupçonner d'être provinciaux. Cf. Anastas., Du
Cange, etc.
L'usage en a même persisté avec fort peu de modification,
jusqu'à des temps assez voisins du nôtre. Cf. Molan., Rtstor.
SS. MKcpmMm (ed. Paquot), IV, 17.
4, Ainsi, à droite du spectateur, une bête farouche ou un
molosse se précipite, comme en plongeant dans un ravin,
entre la croupe d'un cheval et la tête d'un autre. Son ar-
rière-train semble masqué par un jet de draperie que rien
n'expliquerait si l'on ne recourt au côté gauche. Là il sera
facile de reconnaître que c'est l'extrémité d'une chlamyde
flottant en arrière du cavalier qui galope sans armes, et
qui, comme simple amateur, se retourne pour considérer
l'alarme répandue parmi les habitants du bois. Peut-être
faut-il lui supposer un couteau de chasse pendant sur la
cuisse gauche.
5. Je n'en dirai qu'un mot tout à l'heure, et sans autres
données que celles de la gravure. Car, à première vue, je
n'avais qu'un seul instant pour juger cette tour comme en
gros, et plus tard je croyais pouvoir compter sur une repro-
duction moins brusque. D'ailleurs, il s'est passé bien du
temps et bien des choses depuis lors.