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MÉLANGES DARCHÉOLOGIE.
relief qui a son prix. Il s'agât évidemment d'une leçon de musique, et l'antiquité nous en a
transmis plus d'un exemple qui aide à comprendre celui-là. Dans un des diptyques de
Monza que renferme l'ouvrage de Gori*, l'éditeur suppose qu'il s'agit d'une muse qui con-
sole Boèce dans son affliction. Je crois qu'on peut ne pas être de cet avis. Quand même le
placement des charnières serait primitif, on est en droit de supposer que le respect pour la
jeune femme, ou le désir de s'isoler davantage pour apprécier avec réflexion le jeu de la
musicienne, a fait tourner le dos à notre amateur (qui ne serait pas le gTand philosophe
chrétien, mais un simple maître de chant). Dans l'ivoire que je présente (p. 75), le maître est
debout devant son élève qui est assise, contrairement au diptyque de Monza ; mais il a
un témoin : un amateur peut-être ou quelque membre de la famille qui vient jug^r des
progrès obtenus sous la direction de cet habile homme. Le costume du professeur est d'une
simplicité quasi brutale et rappelle ce que les auteurs anciens disent souvent des
ptrim/aA et HMjù'în. Juvénal, dans sa septième satire, nous montre au long* la misère
de ces pauvres Grecs venus à Rome pour enseigmer les beaux-arts et menant à peu près
une vie de gaieux^; et Lucien, tout Grec qu'il est, mais en homme au fait du monde romain,
consacre un de ses traités à déplorer le sort de ses infortunés compatriotes, virtuoses en
musique, en littérature, en philosophie, etc., qui, sous le nom d'instituteurs, se font esclaves
chez les grands. Résultat d'une civilisation rude et hautaine pour laquelle était devenue à
peu près servile toute occupation qui n'allait pas droit au métier de la guerre ou à l'ap-
prentissagu de l'homme d'État.
Les rigueurs de la fortune, pour cette triste condition de mercenaires, lui semblent pires
que l'état précaire du simple mendiant. Il les peint revêtus du manteau des Grecs au milieu
d'un peuple dont ils estropient le langugu, mis chaque jour en parallèle avec toute espèce
de parasites, de charlatans, de bouffons (g'ens du même cru, d'ailleurs) ; portant avec la
barbe touffue une sorte d'enseigue qui les annonce comme grammairien, rhéteur, philo-
sophe ou artiste, et enrôlés à ce titre comme autant de valets pour rehausser le faste ou la
réputation du maître qui s'en entoure quand il veut paraître en public. Obliges d'étudier les
faiblesses du patron ou de sa femme, afin de les ménager avec un soin jaioux, ou pour
acclamer à propos les favoris quelconques par des flatteries éhontées; soudoyés maigrement
pour suivre la litière du maître ou de la maîtresse, et traînés ainsi par les rues comme une
troupe à g^gr ; donnant leurs leçons pendant que madame fait faire sa toilette, parce
qu'elle n'aurait pas assez de loisir en un autre moment de la journée, etc., etc. Souvent,
dit-il, tandis que le philosophe traite à fond quelque haute question de morale, un jeune
esclave favori survient pour remettre un billet doux, et les leçons de sagesse sont suspen-
dues jusqu'à ce qu'il ait été fait réponse à ce messag-e. Encore si l'on y g'agmait de quoi
vivre ! Mais, après avoir avalé mainte couleuvre, vous serez éconduit brusquement sur vos
vieux jours, comme une tunique usée que l'on jette au coin de la borne ; votre sort devien-
dra celui du cheval brisé par l'ag^e et la fatigue, dont la peau même n'intéresse gmère le
tanneur. Pour s'excuser de vous réduire à pareille fin, on vous qualifiera d'entremetteur,
d'empoisonneur, d'homme qui a trahi les lois de l'hospitalité (or, ce n'était pas toujours
chose inouïe, ni incroyable). Vous sortirez par la porte du désespoir : vêtu à peine, charg-é
1. Thesaur. vett. diptychor., t. H, p. 246-248. mains. Arts d'agrément, mais surtout musique et danse, les
2. On sait que, dès les derniers temps de la république ro- occupaient beaucoup plus qu'aiguille ou fuseau. Sousl'em-
maine, les jeunes Hiles et les femmes de haut rang se pi- pire, les vieilles coutumes domestiques étaient bien plus gé-
quaient peu d'imiter leurs aïeules en faisant œuvre de leurs néralement abandonnées encore.
MÉLANGES DARCHÉOLOGIE.
relief qui a son prix. Il s'agât évidemment d'une leçon de musique, et l'antiquité nous en a
transmis plus d'un exemple qui aide à comprendre celui-là. Dans un des diptyques de
Monza que renferme l'ouvrage de Gori*, l'éditeur suppose qu'il s'agit d'une muse qui con-
sole Boèce dans son affliction. Je crois qu'on peut ne pas être de cet avis. Quand même le
placement des charnières serait primitif, on est en droit de supposer que le respect pour la
jeune femme, ou le désir de s'isoler davantage pour apprécier avec réflexion le jeu de la
musicienne, a fait tourner le dos à notre amateur (qui ne serait pas le gTand philosophe
chrétien, mais un simple maître de chant). Dans l'ivoire que je présente (p. 75), le maître est
debout devant son élève qui est assise, contrairement au diptyque de Monza ; mais il a
un témoin : un amateur peut-être ou quelque membre de la famille qui vient jug^r des
progrès obtenus sous la direction de cet habile homme. Le costume du professeur est d'une
simplicité quasi brutale et rappelle ce que les auteurs anciens disent souvent des
ptrim/aA et HMjù'în. Juvénal, dans sa septième satire, nous montre au long* la misère
de ces pauvres Grecs venus à Rome pour enseigmer les beaux-arts et menant à peu près
une vie de gaieux^; et Lucien, tout Grec qu'il est, mais en homme au fait du monde romain,
consacre un de ses traités à déplorer le sort de ses infortunés compatriotes, virtuoses en
musique, en littérature, en philosophie, etc., qui, sous le nom d'instituteurs, se font esclaves
chez les grands. Résultat d'une civilisation rude et hautaine pour laquelle était devenue à
peu près servile toute occupation qui n'allait pas droit au métier de la guerre ou à l'ap-
prentissagu de l'homme d'État.
Les rigueurs de la fortune, pour cette triste condition de mercenaires, lui semblent pires
que l'état précaire du simple mendiant. Il les peint revêtus du manteau des Grecs au milieu
d'un peuple dont ils estropient le langugu, mis chaque jour en parallèle avec toute espèce
de parasites, de charlatans, de bouffons (g'ens du même cru, d'ailleurs) ; portant avec la
barbe touffue une sorte d'enseigue qui les annonce comme grammairien, rhéteur, philo-
sophe ou artiste, et enrôlés à ce titre comme autant de valets pour rehausser le faste ou la
réputation du maître qui s'en entoure quand il veut paraître en public. Obliges d'étudier les
faiblesses du patron ou de sa femme, afin de les ménager avec un soin jaioux, ou pour
acclamer à propos les favoris quelconques par des flatteries éhontées; soudoyés maigrement
pour suivre la litière du maître ou de la maîtresse, et traînés ainsi par les rues comme une
troupe à g^gr ; donnant leurs leçons pendant que madame fait faire sa toilette, parce
qu'elle n'aurait pas assez de loisir en un autre moment de la journée, etc., etc. Souvent,
dit-il, tandis que le philosophe traite à fond quelque haute question de morale, un jeune
esclave favori survient pour remettre un billet doux, et les leçons de sagesse sont suspen-
dues jusqu'à ce qu'il ait été fait réponse à ce messag-e. Encore si l'on y g'agmait de quoi
vivre ! Mais, après avoir avalé mainte couleuvre, vous serez éconduit brusquement sur vos
vieux jours, comme une tunique usée que l'on jette au coin de la borne ; votre sort devien-
dra celui du cheval brisé par l'ag^e et la fatigue, dont la peau même n'intéresse gmère le
tanneur. Pour s'excuser de vous réduire à pareille fin, on vous qualifiera d'entremetteur,
d'empoisonneur, d'homme qui a trahi les lois de l'hospitalité (or, ce n'était pas toujours
chose inouïe, ni incroyable). Vous sortirez par la porte du désespoir : vêtu à peine, charg-é
1. Thesaur. vett. diptychor., t. H, p. 246-248. mains. Arts d'agrément, mais surtout musique et danse, les
2. On sait que, dès les derniers temps de la république ro- occupaient beaucoup plus qu'aiguille ou fuseau. Sousl'em-
maine, les jeunes Hiles et les femmes de haut rang se pi- pire, les vieilles coutumes domestiques étaient bien plus gé-
quaient peu d'imiter leurs aïeules en faisant œuvre de leurs néralement abandonnées encore.