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MÉLANGES ü'ARGHËOLOGIE.
générale de la composition et des contours est presque calme au prix des contorsions quasi
enragées qu'affectionnent les cahigraphes de la Grande-Bretagne. L'Allemagne, du reste,
dans plusieurs manuscrits de Munich, d'Aix-la-Chapelle et de Cologne, arrive souvent à
des résultats qui approchent du style de notre coffret. C'est ce que l'on reconnaîtra dans
plusieurs lettres ornées du volume suivant, où nous les jetterons un peu au hasard parmi
nos recherches sur les bibliothèques du moyen âge.
Ici, où presque toutes les scènes sont censées avoir lieu dans un bois, des luttes d'animaux
se plaçaient assez naturellement au milieu de riches feuillages ; mais l'artiste en prend sur-
tout prétexte comme moyens de décoration, pour former des médaillons divers qui détachent
élégamment chaque sujet. Outre ce style d'ornementation qui accuse assez bien l'époque
romane dans un de ses plus beaux moments, on voit sans peine, à l'équipage du cavalier,
que nous ne sommes pas encore au siècle où la selle, enchâssant pour ainsi dire les hanches,
donnait une assiette artificielle, comme ferait un siège à dossier '. On comprend aussi sans
peine pourquoi le chasseur ne porte nulle arme (épieu, couteau, etc.); tout son espoir de
prendre le gibier repose sur son équipage d'oiseaux dressés, de chiens, etc.
La gravure A (p. 246) nous mon tre au fronton un de ces personnages quasi classiques qui se
jouent au milieu des animaux farouches et que l'on a pu voir sous diverses formes dans des
candélabres du xi° siècle ; par exemple sur les planches XXX-XXXIII du iv° volume de nos
ÆilAwyay (P° série) et dont la description a été donnée par le P. A. Martin aux pages 276-281.
C'était un des genres qui excitaient la bile de saint Bernard, et l'on pourrait absolument
lui passer son antipathie lorsque cette espèce de sujet s'introduisait dans les églises comme
simple remplissage d'ornemaniste; mais il nous faudrait savoir aussi, en bien des cas, si
l'on n'y avait pas prétendu voiler des instructions utiles sous forme allégorique passable-
ment intelligible aux contemporains L
Sur un meuble presque évidemment destiné à l'usage des laïques, il est plus aisé d'ima-
giner que la fantaisie presque toute pure se substituât au désir de donner un enseignement
sérieux. Néanmoins cette ornementation conservait quelque trace de son origine grave, et
je ne serais pas étonné qu'elle répondît en général à la leçon que nous avons montrée dans
le bas-relief du à Fribourg en Brisgau (Mélanges d'archéologie, t. I,
pl. XXIV; etp. 124, svv.). Départ et d'autre, on voit la Force chrétienne sous l'emblème
1. Au xm" siècle, la selle donnant aux reins un appui
assez élevé, on s'explique que les peintres représentent fré-
quemment les pieds du cavalier portés en avant du poitrail
de sa monture ; lors même qu'il charge, la lance en arrêt.
Ici on voit que les jambes tombent verticalement, aussi la
selle se relève-t-elle à peine soit en avant, soit en arrière.
2. J'ai eu l'occasion de faire voir à diverses reprises que
ces enseignements avaient été compris durant quelques
siècles. Il n'est pas bien sur, toutefois, que les décorateurs
n'en aient point gardé la tradition comme cctrhm d'atelier,
lorsque déjà les fidèles n'y voyaient plus que l'extérieur.
Saint Bernard se trouvait peut-être au point où l'affabula-
tion allait se perdant; et d'ailleurs sa jeunesse religieuse ne
lui avait pas laissé grand loisir pour étudier d'autre texte
que l'Écriture sainte. Le reste lui importait assez peu; et
avec sa faconde naturelle aidée de la méditation solitaire, il
se mettait médiocrement en peine de ce qui n'était pas im-
pression personnelle. D'autres étaient pourtant fort excu-
sables, tout au moins, pour prétendre maintenir ce qui s'était
fait et dit avant eux. Aussi saint Bernard lient-il souvent
trop peu compte de bien des enseignements utiles qu'il aurait
pu emprunter à saint Augustin, par exemple.
3. Les leçons de lecture reçues par le loup de la forêt
Noire badoise avaient-elles réussi, ou non? Je crois du moins
que le moyen âge ne tenait pas l'entreprise pour inexécu-
table, moyennant patience et force. En tout cas, l'épopée
des animaux (Romans du renard, fabliaux, etc.) gardait
souvenir de l'initiation subie par tsengrin; et c'est sans doute
en mémoire de ce séjour du loup à l'école, que La Fontaine
(après ces auteurs du vieux temps qu'il connaissait fort bien)
prête au renard cette excuse pour ne pas inspecter le fer du-
cheval et renvoyer la tâche à son compagnon. 11 dit donc,
en personnage habile qui entend tirer son épingle du jeu :
« Ses parents, gros messieurs, l'ont fait apprendre à tire, a
Dans les textes flamands, le loup hâbleur se vante même
d'avoir pris ses grades à plusieurs universités, et de pouvoir
déchiffrer n'importe quel texte.
MÉLANGES ü'ARGHËOLOGIE.
générale de la composition et des contours est presque calme au prix des contorsions quasi
enragées qu'affectionnent les cahigraphes de la Grande-Bretagne. L'Allemagne, du reste,
dans plusieurs manuscrits de Munich, d'Aix-la-Chapelle et de Cologne, arrive souvent à
des résultats qui approchent du style de notre coffret. C'est ce que l'on reconnaîtra dans
plusieurs lettres ornées du volume suivant, où nous les jetterons un peu au hasard parmi
nos recherches sur les bibliothèques du moyen âge.
Ici, où presque toutes les scènes sont censées avoir lieu dans un bois, des luttes d'animaux
se plaçaient assez naturellement au milieu de riches feuillages ; mais l'artiste en prend sur-
tout prétexte comme moyens de décoration, pour former des médaillons divers qui détachent
élégamment chaque sujet. Outre ce style d'ornementation qui accuse assez bien l'époque
romane dans un de ses plus beaux moments, on voit sans peine, à l'équipage du cavalier,
que nous ne sommes pas encore au siècle où la selle, enchâssant pour ainsi dire les hanches,
donnait une assiette artificielle, comme ferait un siège à dossier '. On comprend aussi sans
peine pourquoi le chasseur ne porte nulle arme (épieu, couteau, etc.); tout son espoir de
prendre le gibier repose sur son équipage d'oiseaux dressés, de chiens, etc.
La gravure A (p. 246) nous mon tre au fronton un de ces personnages quasi classiques qui se
jouent au milieu des animaux farouches et que l'on a pu voir sous diverses formes dans des
candélabres du xi° siècle ; par exemple sur les planches XXX-XXXIII du iv° volume de nos
ÆilAwyay (P° série) et dont la description a été donnée par le P. A. Martin aux pages 276-281.
C'était un des genres qui excitaient la bile de saint Bernard, et l'on pourrait absolument
lui passer son antipathie lorsque cette espèce de sujet s'introduisait dans les églises comme
simple remplissage d'ornemaniste; mais il nous faudrait savoir aussi, en bien des cas, si
l'on n'y avait pas prétendu voiler des instructions utiles sous forme allégorique passable-
ment intelligible aux contemporains L
Sur un meuble presque évidemment destiné à l'usage des laïques, il est plus aisé d'ima-
giner que la fantaisie presque toute pure se substituât au désir de donner un enseignement
sérieux. Néanmoins cette ornementation conservait quelque trace de son origine grave, et
je ne serais pas étonné qu'elle répondît en général à la leçon que nous avons montrée dans
le bas-relief du à Fribourg en Brisgau (Mélanges d'archéologie, t. I,
pl. XXIV; etp. 124, svv.). Départ et d'autre, on voit la Force chrétienne sous l'emblème
1. Au xm" siècle, la selle donnant aux reins un appui
assez élevé, on s'explique que les peintres représentent fré-
quemment les pieds du cavalier portés en avant du poitrail
de sa monture ; lors même qu'il charge, la lance en arrêt.
Ici on voit que les jambes tombent verticalement, aussi la
selle se relève-t-elle à peine soit en avant, soit en arrière.
2. J'ai eu l'occasion de faire voir à diverses reprises que
ces enseignements avaient été compris durant quelques
siècles. Il n'est pas bien sur, toutefois, que les décorateurs
n'en aient point gardé la tradition comme cctrhm d'atelier,
lorsque déjà les fidèles n'y voyaient plus que l'extérieur.
Saint Bernard se trouvait peut-être au point où l'affabula-
tion allait se perdant; et d'ailleurs sa jeunesse religieuse ne
lui avait pas laissé grand loisir pour étudier d'autre texte
que l'Écriture sainte. Le reste lui importait assez peu; et
avec sa faconde naturelle aidée de la méditation solitaire, il
se mettait médiocrement en peine de ce qui n'était pas im-
pression personnelle. D'autres étaient pourtant fort excu-
sables, tout au moins, pour prétendre maintenir ce qui s'était
fait et dit avant eux. Aussi saint Bernard lient-il souvent
trop peu compte de bien des enseignements utiles qu'il aurait
pu emprunter à saint Augustin, par exemple.
3. Les leçons de lecture reçues par le loup de la forêt
Noire badoise avaient-elles réussi, ou non? Je crois du moins
que le moyen âge ne tenait pas l'entreprise pour inexécu-
table, moyennant patience et force. En tout cas, l'épopée
des animaux (Romans du renard, fabliaux, etc.) gardait
souvenir de l'initiation subie par tsengrin; et c'est sans doute
en mémoire de ce séjour du loup à l'école, que La Fontaine
(après ces auteurs du vieux temps qu'il connaissait fort bien)
prête au renard cette excuse pour ne pas inspecter le fer du-
cheval et renvoyer la tâche à son compagnon. 11 dit donc,
en personnage habile qui entend tirer son épingle du jeu :
« Ses parents, gros messieurs, l'ont fait apprendre à tire, a
Dans les textes flamands, le loup hâbleur se vante même
d'avoir pris ses grades à plusieurs universités, et de pouvoir
déchiffrer n'importe quel texte.