CARICATURES
MORALES, RELIGIEUSES, POLITIQUES, LITTÉRAIRES, SCÉNIQUES, etc.
IiA CONSULTATION.
( Un hôtel de la Chaussée-d’Antin.)
—Plaisanterie à part, mon cher docteur, je suis malade , et ce n est
pas sans raison que je vous ai fait venir...
— Vous avez cependant les yeux vifs...
__ C’est la fièvre; je l’ai eue pendant toute la nuit...
— Ah!... Voyons/otrc langue?...
La jeune dame montre une petite langue rouge entre deux rangées de
dents blanches comme de l’ivoire.
— Oui, elle est un peu chargée au fond... Mais vous avez déjeuné?
_Oh! rien du tout... Une tasse de café...
— Et que sentez-vous?...
— Je ne dors pas.
— Bon.
— Je n’ai pas d’appétit...
— Bien...
— J’ai des douleurs dans la poitrine, comme çà... là...
Le médecin regarde l’endroit où madame de*** se pose la main.
— Nous verrons cela tout à l’heure...
— Et puis, docteur, il me passe des frissons par moment...
— Bien...
— J’ai des tristesses... Il y a des momens où je pense à la mort.
— Après...
— Mais je suis fatiguée aussitôt que j’ai fait la plus petite course...
— Bon...
— Il me monte des feux à la figure...
— Ah ! ah !
— Je n’ai courage à rien... Ah ! j’oubliais !... Les yeux me cuisent, et
je ressens des tressaillemens dans les nerfs de la paupière de celui-là...
(Elle montre son œil gauche. )
— Nous appelons cela un irismus...
— Ah ! cela se nomme un trismus !... Est-ce dangereux?
— Nullement.
— Je tousse. Une petite toux sèche... J’ai des inquiétudes dans les jam-
bes... Je suis sûre d’avoir un anévrisme au cœur...
— Comment vous couchez-vous?...
— En rond...
— Bien. Sur quel côté?
— Oh! toujours à gauche...
— Bien... —Bon. Combien avez-vous de matelas dans votre lit?...
—Trois...
— Avez-vous un sommier?...
— De crin...
—Bon...
— Marchez un peu devant moi ?... ( Elle marche. )
— Ne sentez-vous pas des pesanteurs dans la synovie de vos rotules?...
— Qu’est-ce que c’est, docteur, que cette synovie?...
— Ce n’est rien. Tenez , c’est une espèce de liqueur, à l’aide de la-
juelle se meuvent les cartilages que vous avez au genou, là...
—Non, docteur , je n’y sens rien. Etes-vous heureux de savoir toutes
ces choses-là!... Est-ce que si j’y avais des pesanteurs?...
— Que mettez-vous sur votre tête pendant la nuit?
— Un bonnet.
— Est-il en toile ou en coton ?...
— En batiste... Mais je mets quelquefois par dessus un foulard...
-Donnez-moi votre main... (Il tire sa montre.)
— Ah! docteur, je n’aime pas que vous comptiez les minutes... ça me
fait peur... Ah ! vous ai-je dit que j’avais des vertiges?...
—Non.
•—Eh bien, j’ai manqué de tomber hier à la renverse...
— Etait-ce le matin ?...
— Non, c’était le soir... — Mais était-ce bien le soir ?... ■—Oui.—Oui,
c’était le soir.
— Bon...
— Hé bien, que dites-vous?...
— Hé! lié!... (Silence.) Savez-vous que M. le duc de G.... est allé à
Holyrood?...
— Non... Ah! bah!... Est-ce bien vrai?
—Oui... Mais je m’amuse, et j’ai deux ou trois malades bien pressés...
— Comment, docteur, vous vous en allez... et vous ne meprescrivezrien?
— Avez-vous des nouvelles de M. le comte?
— Mon mari !... Ah bah ! est-ce qu’il pense à moi !
—Il s’amuse à Alger... Hi, hi, hi!... (Il rit.) Vous rapportera-t-il des
cachemires ?
— Il n’aura pas cet esprit là... Eh bien, docteur, voilà donc tout ce
que vous me dites?... Pas une petite ordonnance?... Si je prenais de l’eau
de tilleul?
— Mais elle vous agace les nerfs?...
— Ah ! c’est vrai ! —Eh bien, de l’eau de Seltz ?
— Non...
—De l’orangeade?... A propos, avez-vous été entendreLablache?...
—Mais vous savez bien que je n’ai pas une minute à moi !...
— C’est vrai! ce pauvre docteur!... Eh bien ! avant de me quitter ne
me prescrivez-vous pas...
— Mais je pense que vous devriez simplement vous mettre à boire de
l’eau ferrée...
— Adieu, docteur...
— Je me sauve! Voici près d’une heure que je suis ici, et j’ai chez moi
vingt personnes. C’est le jour de mes consultations gratuites.
( le Docteur dans son cabinet. )
—-Eh bien, qu’avez-vous?... Allons, mon homme, dépêchons-nous.
“—Monsieur, j’ai les fièvres depuis un mois.
—Ce n’est rien... Mais, oui, vous avez le fond du teint un peu al-
téré... Prenez du quinquina...
(A une autre. ) Et vous, la mère, pourquoi êtes-vous venue?,..
— Monsieur, c’est toujours mon squirre...
— Il faut aller à l’hôpital...
— Mais, monsieur, mes pauvres enfans !
— Ah! dame... ils se passeront de vous... Si vous mouriez, il le fau-
drait bien.
La femme pleure..,
Alfred Coudreux.
FANTAISIES.
l'OPID M.
Où était le dénouement de sa vie?... Il ne croyait pas, comme l’abbé
de Rancé, à un avenir. Quand il se serait livré à la justice humaine, elle
n’aurait pas voulu de sa tête : les preuves de son crime n’existaient plus .*
c’était un secret entre lui et Dieu ! — Ainsi le ciel et la terre lui man-
quaient à la fois!... —Il essaya de la doctrine saint-simonienne, parce
qu’il y voyait l’avantage de se faire prêtre tout de suite, sans passer par
un séminaire... Mais il méprisait l’homme, et Saint-Simon tend à le per-
fectionner. — Il avait étreint jadis la débauche comme un monstre
moins fort que lui. — La femme?... elle n’existait plus. Pour lui, l’a-
mour n’était plus qu’une fatigue, et la femme?... un jouet qu’il avait dé-
chiré, à la manière des enfans, pour en connaître les ressorts... Tout
était dit !...
Alors il se mit à manger de l’opium en compagnie d’un Anglais qui,
pour d’autres raisons, cherchait la mort, une mort voluptueuse; non
celle qui arrive à pas lents, sous forme de squelette; mais la mort des
modernes, parée des chiffons que nous nommons drapeaux!... C’est
une jeune fille couronnée de fleurs , de lauriers! Elle arrive au sein d’un
nuage de poudre, ou portée sur le vent d’un boulet. C’est une espèce de
folle souriant à un pistolet, ou couchée sur un lit entre deux courti-
sanes, ou s’élevant avec la fumée d’un bol de punch... C’est enfin une
mort toul-à-fait fashionable !...
Ils demandaient à l’opium de leur faire voir les coupoles dorées de
Constantinople, et de les rouler sur les divans du sérail, au milieu des
femmes de Mahmoud; et là, ils craignaient, enivrés déplaisir, soit le froid
du poignard, soit le sifflement du lacet de soie; et, tout en proie aux
délices de l’amour, ils pressentaieut le pal... L’opium leur livrait l’univers
entier !...
Et, pour trois francs vingt-cinq centimes , ils se transportaient à Cadix
ou à Séville, grimpaient sur des murs, y restaient couchés sous une ja-
lousie, occupés à voir deux yeux do flamme, —une Andalouse abritée
par un store de soie rouge, dont les reflets communiquaient à cette
MORALES, RELIGIEUSES, POLITIQUES, LITTÉRAIRES, SCÉNIQUES, etc.
IiA CONSULTATION.
( Un hôtel de la Chaussée-d’Antin.)
—Plaisanterie à part, mon cher docteur, je suis malade , et ce n est
pas sans raison que je vous ai fait venir...
— Vous avez cependant les yeux vifs...
__ C’est la fièvre; je l’ai eue pendant toute la nuit...
— Ah!... Voyons/otrc langue?...
La jeune dame montre une petite langue rouge entre deux rangées de
dents blanches comme de l’ivoire.
— Oui, elle est un peu chargée au fond... Mais vous avez déjeuné?
_Oh! rien du tout... Une tasse de café...
— Et que sentez-vous?...
— Je ne dors pas.
— Bon.
— Je n’ai pas d’appétit...
— Bien...
— J’ai des douleurs dans la poitrine, comme çà... là...
Le médecin regarde l’endroit où madame de*** se pose la main.
— Nous verrons cela tout à l’heure...
— Et puis, docteur, il me passe des frissons par moment...
— Bien...
— J’ai des tristesses... Il y a des momens où je pense à la mort.
— Après...
— Mais je suis fatiguée aussitôt que j’ai fait la plus petite course...
— Bon...
— Il me monte des feux à la figure...
— Ah ! ah !
— Je n’ai courage à rien... Ah ! j’oubliais !... Les yeux me cuisent, et
je ressens des tressaillemens dans les nerfs de la paupière de celui-là...
(Elle montre son œil gauche. )
— Nous appelons cela un irismus...
— Ah ! cela se nomme un trismus !... Est-ce dangereux?
— Nullement.
— Je tousse. Une petite toux sèche... J’ai des inquiétudes dans les jam-
bes... Je suis sûre d’avoir un anévrisme au cœur...
— Comment vous couchez-vous?...
— En rond...
— Bien. Sur quel côté?
— Oh! toujours à gauche...
— Bien... —Bon. Combien avez-vous de matelas dans votre lit?...
—Trois...
— Avez-vous un sommier?...
— De crin...
—Bon...
— Marchez un peu devant moi ?... ( Elle marche. )
— Ne sentez-vous pas des pesanteurs dans la synovie de vos rotules?...
— Qu’est-ce que c’est, docteur, que cette synovie?...
— Ce n’est rien. Tenez , c’est une espèce de liqueur, à l’aide de la-
juelle se meuvent les cartilages que vous avez au genou, là...
—Non, docteur , je n’y sens rien. Etes-vous heureux de savoir toutes
ces choses-là!... Est-ce que si j’y avais des pesanteurs?...
— Que mettez-vous sur votre tête pendant la nuit?
— Un bonnet.
— Est-il en toile ou en coton ?...
— En batiste... Mais je mets quelquefois par dessus un foulard...
-Donnez-moi votre main... (Il tire sa montre.)
— Ah! docteur, je n’aime pas que vous comptiez les minutes... ça me
fait peur... Ah ! vous ai-je dit que j’avais des vertiges?...
—Non.
•—Eh bien, j’ai manqué de tomber hier à la renverse...
— Etait-ce le matin ?...
— Non, c’était le soir... — Mais était-ce bien le soir ?... ■—Oui.—Oui,
c’était le soir.
— Bon...
— Hé bien, que dites-vous?...
— Hé! lié!... (Silence.) Savez-vous que M. le duc de G.... est allé à
Holyrood?...
— Non... Ah! bah!... Est-ce bien vrai?
—Oui... Mais je m’amuse, et j’ai deux ou trois malades bien pressés...
— Comment, docteur, vous vous en allez... et vous ne meprescrivezrien?
— Avez-vous des nouvelles de M. le comte?
— Mon mari !... Ah bah ! est-ce qu’il pense à moi !
—Il s’amuse à Alger... Hi, hi, hi!... (Il rit.) Vous rapportera-t-il des
cachemires ?
— Il n’aura pas cet esprit là... Eh bien, docteur, voilà donc tout ce
que vous me dites?... Pas une petite ordonnance?... Si je prenais de l’eau
de tilleul?
— Mais elle vous agace les nerfs?...
— Ah ! c’est vrai ! —Eh bien, de l’eau de Seltz ?
— Non...
—De l’orangeade?... A propos, avez-vous été entendreLablache?...
—Mais vous savez bien que je n’ai pas une minute à moi !...
— C’est vrai! ce pauvre docteur!... Eh bien ! avant de me quitter ne
me prescrivez-vous pas...
— Mais je pense que vous devriez simplement vous mettre à boire de
l’eau ferrée...
— Adieu, docteur...
— Je me sauve! Voici près d’une heure que je suis ici, et j’ai chez moi
vingt personnes. C’est le jour de mes consultations gratuites.
( le Docteur dans son cabinet. )
—-Eh bien, qu’avez-vous?... Allons, mon homme, dépêchons-nous.
“—Monsieur, j’ai les fièvres depuis un mois.
—Ce n’est rien... Mais, oui, vous avez le fond du teint un peu al-
téré... Prenez du quinquina...
(A une autre. ) Et vous, la mère, pourquoi êtes-vous venue?,..
— Monsieur, c’est toujours mon squirre...
— Il faut aller à l’hôpital...
— Mais, monsieur, mes pauvres enfans !
— Ah! dame... ils se passeront de vous... Si vous mouriez, il le fau-
drait bien.
La femme pleure..,
Alfred Coudreux.
FANTAISIES.
l'OPID M.
Où était le dénouement de sa vie?... Il ne croyait pas, comme l’abbé
de Rancé, à un avenir. Quand il se serait livré à la justice humaine, elle
n’aurait pas voulu de sa tête : les preuves de son crime n’existaient plus .*
c’était un secret entre lui et Dieu ! — Ainsi le ciel et la terre lui man-
quaient à la fois!... —Il essaya de la doctrine saint-simonienne, parce
qu’il y voyait l’avantage de se faire prêtre tout de suite, sans passer par
un séminaire... Mais il méprisait l’homme, et Saint-Simon tend à le per-
fectionner. — Il avait étreint jadis la débauche comme un monstre
moins fort que lui. — La femme?... elle n’existait plus. Pour lui, l’a-
mour n’était plus qu’une fatigue, et la femme?... un jouet qu’il avait dé-
chiré, à la manière des enfans, pour en connaître les ressorts... Tout
était dit !...
Alors il se mit à manger de l’opium en compagnie d’un Anglais qui,
pour d’autres raisons, cherchait la mort, une mort voluptueuse; non
celle qui arrive à pas lents, sous forme de squelette; mais la mort des
modernes, parée des chiffons que nous nommons drapeaux!... C’est
une jeune fille couronnée de fleurs , de lauriers! Elle arrive au sein d’un
nuage de poudre, ou portée sur le vent d’un boulet. C’est une espèce de
folle souriant à un pistolet, ou couchée sur un lit entre deux courti-
sanes, ou s’élevant avec la fumée d’un bol de punch... C’est enfin une
mort toul-à-fait fashionable !...
Ils demandaient à l’opium de leur faire voir les coupoles dorées de
Constantinople, et de les rouler sur les divans du sérail, au milieu des
femmes de Mahmoud; et là, ils craignaient, enivrés déplaisir, soit le froid
du poignard, soit le sifflement du lacet de soie; et, tout en proie aux
délices de l’amour, ils pressentaieut le pal... L’opium leur livrait l’univers
entier !...
Et, pour trois francs vingt-cinq centimes , ils se transportaient à Cadix
ou à Séville, grimpaient sur des murs, y restaient couchés sous une ja-
lousie, occupés à voir deux yeux do flamme, —une Andalouse abritée
par un store de soie rouge, dont les reflets communiquaient à cette