FANTASIA
489
— Tu l’as pas vue nue tout à fait?
— Oh 1 presque... A part un p’tit ruban d’velours qu’elle avait dans les ch’veux.
verrez que chez tous et toutes la pensée est la même.
Que serait-ce si je vous faisais assister aux conversa-
tions qui se font de part et d’autre et à voix basse 1
Coté des hommes: —Eh bien, gaillard, qu’est-ce que
tu en dis? Cela ne te donne pas des intentions de con-
jungo? — Elle est vraiment charmante 1 — Ahl c’est
une belle nuit. — Elle est faite au moule. — Ce gredin
de Gustave. — Il y en a tout de même qui ont de la
chance.
Côté des dames: —Ils sont gentils tous les deux,
bien faits l’un pour l’autre. — La pauvre enfant, elle,
ne se doute guère de ce qui va arriver 1 — Avec cela
que nous ignorons la chose. Quant à moi je le savais
bieD, saDS que personne, je crois, me l’eût apprise.
C’est si naturel. — Est-elle drôle cette madame chose,
elle ne gaze rien — moi, j’ai le cœur sur la main et
j’aime les noces parce que cela me rappelle un bon
moment. Pourquoi ne pas le dire, puisque c’est le but
de l’affaire.
— C’est un peu cru.
— Cru ou non, c’est ce que tout le monde pense et
c’est ce que j’appelle honteux qu’une cérémonie publi-
que mette à l’ordre du jour un acte dont le secret de-
vrait faire tout le bonheur.
— Qui vous force à laisser votre imagination pénétrer
jusqu’au but?
— Qui m’y force 1 toute la cérémonie. Puisque je suis
de la noce, il faut bien que je sache à quoi j’assiste.
J’assiste à un scandale public, à, une indécence léga-
lisée.
— De grands mots.
— Pour caractériser, je le répète, un grand scandale.
Pauvre enfant, je ne veux pas vous répéter tous les
mots à double entente qui lui sont soufflés à l’oreille
pendant cette journée sans fin qu’on appelle le beau
jour de noce. Les vraies pures doivent être affolées,
terrifiées par ces saturnales de l’impudeur.
Et pour le mari quelle souffrance d’être obligé de
supporter, avec le sourire sur les lèvres, tous ces pro-
pos libertins, de voir déflorer impunément cette can-
deur qui faisait sa plus irrésistible séduction!
J’arrête ici les détails, le papier qui passe pour tout
souffrir, ne les supporterait pas.
Que voulez-vaus attendre après le dîner, au dessert,
quand toutes les têtes sont allumées, que voulez-vous
attendre de gens qui savent qu’ils ont toute liberté de
dire, et qui en usent.
D’ailleurs, est-ce que l’heure règlementaire ne vient
pas de sonner? Est-ce qu’il n’est pas minuit? Est-ce
que la maman ne vient pas de se lever, d’embrasser sa
fille, de lui dire tout bas de la suivre? Est-ce que tout
le monde n’a pas guetté le moment? Est-ce que le si-
lence ne s’est pas fait au départ de l’enfant, ce silence
encore plus graveleux que les propos les plus libres?
Est-ce que tous les regards ne se sont pas impudique-
ment braqués sur le front de la pauvre petite pour y
lire ce qu’elle doit penser? Est-ce que les propos les
plus équivoques ne sont pas adressés an mari sur le
bonheur dont il va jouir, sur la manière de s’y pren-
dre, etc., etc.
C’est à faire maudire cette institution. J’ai entendu
de jeunes mariés me dire : Pour rien au monde nous
ne voudrions recommencer uue telle journée. Je ne l’ai
pas subie quanta moi, et je déclare que j’aimerais mieux
renoncer à la main de ma fiancée la plus aimée que de
voir, sans pouvoir y opposer la moindre résistance, sa
pudeur, c’est-à-dire le sentiment le plus délicieux de
l’amour, que de voir sa pudeur exposée à une telle
épreuve ; et cela parce qu’ainsi le veut la coutume,
ainsi le permet la loi, ainsi l’exige l’institution la plus
fondamentale delà société. C’est scandaleux !
— Je vous vois venir, beau moraliste, les unions
secrètes, avec la nature pour temple, les étoiles pour
témoins, et les promesses réciproques pour sanction,
voilà ce que vous préférez, et cela au nom de la pudeur,
de la chasteté, de la morale. Nous connaissons cette
thèse.
— Je n’ai pas prétendu que tout dans ce cas-là fût
sauvegardé, mais j’ai dit que l’institution du mariage
et les cérémonies qui la complètent ont quelque chose
qui répugne aux natures véritablement délicates et que
n’ont pas, bien certainement les unions clandestines.
— Est-ce que les riches, qui se sauvent à la campa-
gne aussitôt après la cérémonie de l’église, n’échappent
pas à ce que vous appelez un scandale ?
— En partie peut-être ; mais fait-on des institutions
pour les riches seulement? Enfin, vous direz ce que
vous voudrez, j’ai horreur de cette saturnale qu’on ap-
pelle un jour de noce.
ALFRED BOUGtEÀRÎ.
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— Tu l’as pas vue nue tout à fait?
— Oh 1 presque... A part un p’tit ruban d’velours qu’elle avait dans les ch’veux.
verrez que chez tous et toutes la pensée est la même.
Que serait-ce si je vous faisais assister aux conversa-
tions qui se font de part et d’autre et à voix basse 1
Coté des hommes: —Eh bien, gaillard, qu’est-ce que
tu en dis? Cela ne te donne pas des intentions de con-
jungo? — Elle est vraiment charmante 1 — Ahl c’est
une belle nuit. — Elle est faite au moule. — Ce gredin
de Gustave. — Il y en a tout de même qui ont de la
chance.
Côté des dames: —Ils sont gentils tous les deux,
bien faits l’un pour l’autre. — La pauvre enfant, elle,
ne se doute guère de ce qui va arriver 1 — Avec cela
que nous ignorons la chose. Quant à moi je le savais
bieD, saDS que personne, je crois, me l’eût apprise.
C’est si naturel. — Est-elle drôle cette madame chose,
elle ne gaze rien — moi, j’ai le cœur sur la main et
j’aime les noces parce que cela me rappelle un bon
moment. Pourquoi ne pas le dire, puisque c’est le but
de l’affaire.
— C’est un peu cru.
— Cru ou non, c’est ce que tout le monde pense et
c’est ce que j’appelle honteux qu’une cérémonie publi-
que mette à l’ordre du jour un acte dont le secret de-
vrait faire tout le bonheur.
— Qui vous force à laisser votre imagination pénétrer
jusqu’au but?
— Qui m’y force 1 toute la cérémonie. Puisque je suis
de la noce, il faut bien que je sache à quoi j’assiste.
J’assiste à un scandale public, à, une indécence léga-
lisée.
— De grands mots.
— Pour caractériser, je le répète, un grand scandale.
Pauvre enfant, je ne veux pas vous répéter tous les
mots à double entente qui lui sont soufflés à l’oreille
pendant cette journée sans fin qu’on appelle le beau
jour de noce. Les vraies pures doivent être affolées,
terrifiées par ces saturnales de l’impudeur.
Et pour le mari quelle souffrance d’être obligé de
supporter, avec le sourire sur les lèvres, tous ces pro-
pos libertins, de voir déflorer impunément cette can-
deur qui faisait sa plus irrésistible séduction!
J’arrête ici les détails, le papier qui passe pour tout
souffrir, ne les supporterait pas.
Que voulez-vaus attendre après le dîner, au dessert,
quand toutes les têtes sont allumées, que voulez-vous
attendre de gens qui savent qu’ils ont toute liberté de
dire, et qui en usent.
D’ailleurs, est-ce que l’heure règlementaire ne vient
pas de sonner? Est-ce qu’il n’est pas minuit? Est-ce
que la maman ne vient pas de se lever, d’embrasser sa
fille, de lui dire tout bas de la suivre? Est-ce que tout
le monde n’a pas guetté le moment? Est-ce que le si-
lence ne s’est pas fait au départ de l’enfant, ce silence
encore plus graveleux que les propos les plus libres?
Est-ce que tous les regards ne se sont pas impudique-
ment braqués sur le front de la pauvre petite pour y
lire ce qu’elle doit penser? Est-ce que les propos les
plus équivoques ne sont pas adressés an mari sur le
bonheur dont il va jouir, sur la manière de s’y pren-
dre, etc., etc.
C’est à faire maudire cette institution. J’ai entendu
de jeunes mariés me dire : Pour rien au monde nous
ne voudrions recommencer uue telle journée. Je ne l’ai
pas subie quanta moi, et je déclare que j’aimerais mieux
renoncer à la main de ma fiancée la plus aimée que de
voir, sans pouvoir y opposer la moindre résistance, sa
pudeur, c’est-à-dire le sentiment le plus délicieux de
l’amour, que de voir sa pudeur exposée à une telle
épreuve ; et cela parce qu’ainsi le veut la coutume,
ainsi le permet la loi, ainsi l’exige l’institution la plus
fondamentale delà société. C’est scandaleux !
— Je vous vois venir, beau moraliste, les unions
secrètes, avec la nature pour temple, les étoiles pour
témoins, et les promesses réciproques pour sanction,
voilà ce que vous préférez, et cela au nom de la pudeur,
de la chasteté, de la morale. Nous connaissons cette
thèse.
— Je n’ai pas prétendu que tout dans ce cas-là fût
sauvegardé, mais j’ai dit que l’institution du mariage
et les cérémonies qui la complètent ont quelque chose
qui répugne aux natures véritablement délicates et que
n’ont pas, bien certainement les unions clandestines.
— Est-ce que les riches, qui se sauvent à la campa-
gne aussitôt après la cérémonie de l’église, n’échappent
pas à ce que vous appelez un scandale ?
— En partie peut-être ; mais fait-on des institutions
pour les riches seulement? Enfin, vous direz ce que
vous voudrez, j’ai horreur de cette saturnale qu’on ap-
pelle un jour de noce.
ALFRED BOUGtEÀRÎ.