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Dacier, Émile; Vuaflart, Albert
Jean de Jullienne et les graveurs de Watteau au XVIII. siècle (Band 1): Notice et documents biographiques — Paris, 1929

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https://doi.org/10.11588/diglit.41975#0146
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L’ŒUVRE GRAVE DE WATTEAU.

faut convenir, que s’il a du goust pour les festes champestres, les sujets de théâtre et les habits modernes,
à l’imitation de son Maître; il n’est pas moins vrai de dire, que dans la suite il les a traités d’une manière
qui lui étoit propre et telle que la nature, dont il a toujours été adorateur, les luy faisoit apercevoir.
Quelque teins après, soit que Gillot ne fût poussé que d’une généreuse envie de rendre service à son
disciple, soit qu’ayant été jusqu’alors l’unique dans ce genre de peinture, il regardât cet imitateur d’un œil
jaloux, et comme un rival, que ses rapides progrès dévoient lui faire craindre, il le sépara de luy, pour le
faire entrer au Luxembourg chez M. Audran, excellent Peintre d’Ornemens, qui l’occupa à faire des
figures dans ses ouvrages, et dont le bon goust ne servit pas peu à luy donner de nouvelles lumières.
W atteau porté de plus en plus à l’étude, et échauffé des beautés de la galerie de ce palais peinte par
Rubens, alloit souvent étudier le coloris et la composition de ce grand Maître, ce qui en peu de tems luy
fit prendre un goust bien plus naturel, et bien différent de celuy qu’il avoit contracté chez Gillot.
Ce fut environ dans ce tems là, qu’il composa pour le prix, que l’Académie Royale de Peinture propose
tous les ans, dont il remporta le second : on vit briller dans le tableau, qu’il fit à ce sujet, les étincelles de
ce beau feu, qu’il a fait paroître dans la suite.
Après un tel honneur on auroit crû que Watteau se seroit déterminé à rester à Paris, pour s’y faire
connoître de plus en plus, et y perfectionner les talents qu’il avoit pour la peinture; cependant comme sa
fortune n’avoit encore été qu’au dessous du médiocre, et qu'il voyoit que ses ouvrages ne prenoient point
faveur, par le peu de connoissance qu’on avoit de son nouveau genre de peindre, il se dégoûta de Paris,
et prit la résolution de s’en retourner dans son païs ; mais soit qu’il n’y trouvât pas ce qu’il cherchoit, soit
par un effet de l’inconstance, qui luy étoit naturelle, il n’y demeura pas longtems et après y avoir fait
quelques tableaux, entr’autres plusieurs études de camps et de soldats d’après nature, il revint à Paris, où
il s’occupa à travailler pour quelques amis, qui connoissoient son sçavoir.
Quelque tems après son retour, l’Académie Royale de Peinture se proposa de choisir les plus capables
d’entre les jeunes gens, qui avoient remporté des prix, pour les envoyer à Rome en qualité de pension-
naires du Roy; Watteau, qui tendoit toujours à la plus haute perfection, et qui regardoit le voyage d’Italie
comme très utile à son avancement, présenta, comme les autres, des desseins et des tableaux à Messieurs
de l’Académie, qui en furent si surpris, qu’on luy fit entendre, que son mérite le distinguant de ses compé-
titeurs, bien loin de l’envoier à Rome, pour y étudier, on le recevroit dans cette illustre compagnie, s’il
vouloit faire les pas nécessaires pour y être agréé; il les fit et fut reçu avec tous les agrémens imagi-
nables; ce fut pour lors qu’il se fortifia extrêmement dans la belle manière, dont on peut dire qu’il est
l’inventeur, et devint si habile qu’il n’y avoit point de curieux, ny même personne de l’Art, qui ne
souhaitât avoir quelques tableaux de luy. Gillot ne put alors s’empescher de reconnoître sa supériorité; il
luy céda non seulement la première place, mais luy laissant le champ tout à fait libre, il quitta le pinceau,
pour se renfermer dans la gravure et le dessein.
Un témoignage aussi glorieux et aussi autentique que celuy que l’Academie venoit de rendre au mérité
de Watteau augmenta considérablement le nombre de ses admirateurs, ce qui luy attira de si fréquentes
visites, qu’à peine luy restoit il du temps pour travailler, mais luy, qui étoit naturellement froid et indif-
fèrent pour les personnes qu’il ne connaissoit pas, se dégoûta, bien tost d’une telle importunité; ainsi
M. G roizat luy ayant proposé de prendre un logement chez luy, il profita d’autant plus volontiers de cette
offre, qu’il espéroit pouvoir travailler plus tranquillement, et puiser dans les trésors de son beau Cabinet
tout ce que la Peinture et la Sculpture ont de plus excellent, et surtout voir les rares desseins, dont entre
autres M. Crozat est possesseur. Et en effet il faut convenir, que depuis ce tems là les tableaux de Watteau
se ressentirent des lumières, qu’il avoit été à portée de prendre dans ce Cabinet précieux. Au sortir de
cette maison, il fut loger avec M. Vleughels son ami, qui est à présent Directeur de l’Académie de Peinture
et Sculpture, que le Roy entretient à Rome, et qui vient d’etre honoré de l’ordre de Saint Michel : Là il
travailla avec beaucoup de succès jusqu’en 1718.
La réputation de Watteau étoit alors des plus grandes; elle luy avoit acquis pour amis plusieurs per-
sonnes de considération, et il pou voit se flater de se faire en peu de tems un établisement avantageux,
s’il avoit voulu demeurer à Paris, mais il donna encore un trait de son instabilité, en quittant une seconde
fois toutes ses espérances, pour passer en Angleterre. Ce voyage ne luy fut pas heureux, car comme il
étoit d’un tempérâment très délicat, le changement de climat joint à l’intempérie de 1 air, qui est fort épais
dans ce païs là, altéra si fort sa santé, qu’il y fut presque toujours malade, il ne laissa pourtant pas d’y
faire quelques tableaux, qui luy attirèrent l’admiration des connoisseurs.
Après une absence d’environ un an, il revint à Paris, oîi il ne fit plus que traîner une vie languissante
et ennuyeuse; il n’avoit presque pas un jour de santé, mais quoique ses infirmités continuelles ne luy
laissassent pas un moment d’intervalle, il travailla néanmoins de tems en tems, ce qu’il continua de faire
jusques à ce qu’enfin il mourut à Nogent, près de Paris, le 18 juillet 1721, âgé d’environ 37 ans.
 
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