6
L’ARCHITECTURE PRIVÉE SOUS NAPOLÉON 111.
Locations strictement nécessaires pour favoriser dans
un pareil milieu l’entreprise financière confiée à sa pru-
dence ?
Et n’était-ce pas dans de telles circonstances cepen-
dant que s’élevaient, il y a quelques années encore, la
plupart des maisons de Paris? Et ne condamnait-on pas
ainsi d’avance les nouvelles constructions à rester au-
dessous à la fois du talent de l’architecte et de la bonne
volonté du capitaliste?
Un mal en entraîne un autre : l’état du quartier
défendait tout progrès décisif dans les habitations nou-
velles, et celles-ci, à leur tour, donnaient comme une
consécration définitive, sinon à l’abaissement du quar-
tier, du moins à un niveau inférieur à ce qu’on pouvait
considérer comme un rapport raisonnable et digne entre
l’art architectural d’un côté, et, de l’autre, les besoins
et les ressources du Paris contemporain.
11 était donc indispensable de renoncer au procédé
ruineux des études et des rénovations partielles, au sys-
tème des entreprises décousues, sans vue d’ensemble, et
par suite contradictoires souvent. Au morcellement il
fallait substituer l’unité; à l’hésitation, la décision; à la
lenteur, la rapidité. Il était temps d’étudier d’abord, et
de remanier ensuite, partout où la nécessité s’en faisait
sentir, la grande cité dans Vensemble de son économie
architecturale, en considérant la ville entière comme un
seul monument dont toutes les parties fussent solidaires.
Cette conception, simple et sage dans sa grandeur, appli-
quée avec une fermeté calme, pouvait seule permettre
de réparer le temps perdu : elle ouvrait à l’architecte et
au capitaliste un vaste champ d’action où ils ne rencon-
traient d’autre obligation que celle d’obéir aux besoins
d’une population dont le goût suit une constante pro-
gression vers le beau et l’excellent. De pareilles condi-
tions, tandis qu’elles faisaient naître une intelligente et
utile émulation parmi les constructeurs, n’imposaient
au talent de l’architecte d’autres limites, en dehors des
lois de l’édilité, que celles des prodigieuses ressources
industrielles du siècle.
J’ai vu disparaître dans ce colossal remaniement de
Paris quelques vieux souvenirs de notre histoire; comme
artiste et comme archéologue j’en ai éprouvé des regrets
faciles à comprendre, mais comme citoyen j’en ai senti
la nécessité, et je me suis consolé en pensant que le
souvenir et la tradition ne cédaient le pas que devant
l’essor légitime et nécessaire de la vie et du progrès.
J’ai applaudi à la démolition des quartiers malsains, en
voyant d’élégants squares ouverts au peuple prendre la
place d’indignes carrefours, et le soleil descendre sur
un sol qui n’avait connu depuis des siècles que l’ombre
et l’humidité; je me suis réjoui en voyant de larges
boulevards traverser la ville d’outre en outre et mettre
en communication entre eux et avec la ville, les chemins
de fer et les routes impériales qui relient Paris aux
départements et à l’Europe. Que dirai-je encore? Par-
lerai-je de l’air, de la lumière et de la chaleur répandus
à flots, des arbres plantés par centaines de mille, des
eaux pures versées avec une abondance toujours crois-
sante, de nos chaussées et de nos trottoirs perfectionnés
et mieux entretenus, des églises, des écoles, des marchés,
des mairies, s’élevant de toutes parts;... enfin de la vie
humaine elle-même prolongée 1
Devant ce grand spectacle, il est vraiment difficile de
comprendre qu’on accuse l’administration de marcher
trop vite.
Trop vite ! lorsqu’il est question de créer l’ordre et le
confort au cœur de la France et de prolonger la durée
moyenne de la vie à Paris! Trop vite! lorsqu’il s’agit
d’échapper aux maladies qu’engendrent des miasmes
infects et aux inconvénients, aux dangers même que
crée une circulation difficile! Trop vite! lorsqu’on fai-
sant vite la dépense définitive est moindre et l’entrée
en jouissance plus prompte, lorsque les finances le per-
mettent et que le bien-être public le réclame !
— Quelques personnes reprochent à l’administration
d’avoir fait, dans les nouveaux travaux, de trop grands
sacrifices à de pures considérations d’art; je voudrais,
pour ma part, que ce reproche fût plus mérité : répandre
largement l’art sur les places publiques et dans les rues,
n’est-ce pas faire l’éducation du peuple par les yeux,
former son goût, faire pénétrer dans les masses le sen-
timent du beau par un spectacle qui chaque jour polit
les mœurs en élevant les esprits? L’art n’est pas un
luxe stérile. Pour n’en pas douter, qu’on regarde les
nombreuses écoles d’art fondées en Angleterre depuis
l’Exposition universelle de 1851. L’art, en marquant de
son empreinte tant de constructions privées récemment
exécutées parmi nous, et que ce livre est destiné à faire
connaître, n’a fait que manifester une des supériorités
de Paris, un des puissants attraits par lesquels il exerce
une sorte de souveraineté parmi les villes capitales du
monde; l’art est la source principale de richesse où
puisent l’industrie et le commerce parisien, et, à ce
point de vue, l’édilité contribuera à la prospérité de Paris
dans la mesure de son respect pour l’art.
—■ Cité des muses, séjour favori des arts et des
sciences, où la culture de l’esprit, le raffinement du goût
et l’amour du plaisir élégant sont si largement repré-
sentés, Paris sera la cité neutre des peuples civilisés, le
renclez-vous commun de tous ceux qui voudront se ren-
contrer pour échanger autre chose que des colis de
marchandises. Paris est la seule ville qui convienne éga-
lement à tous les peuples. Son glorieux avenir lui est
marqué à la fois par sa situation géographique et topo-
graphique, aussi bien que par le génie particulier du
Parisien. L’administration concourt pour sa part à la
réalisation de ce programme du destin.
L’ARCHITECTURE PRIVÉE SOUS NAPOLÉON 111.
Locations strictement nécessaires pour favoriser dans
un pareil milieu l’entreprise financière confiée à sa pru-
dence ?
Et n’était-ce pas dans de telles circonstances cepen-
dant que s’élevaient, il y a quelques années encore, la
plupart des maisons de Paris? Et ne condamnait-on pas
ainsi d’avance les nouvelles constructions à rester au-
dessous à la fois du talent de l’architecte et de la bonne
volonté du capitaliste?
Un mal en entraîne un autre : l’état du quartier
défendait tout progrès décisif dans les habitations nou-
velles, et celles-ci, à leur tour, donnaient comme une
consécration définitive, sinon à l’abaissement du quar-
tier, du moins à un niveau inférieur à ce qu’on pouvait
considérer comme un rapport raisonnable et digne entre
l’art architectural d’un côté, et, de l’autre, les besoins
et les ressources du Paris contemporain.
11 était donc indispensable de renoncer au procédé
ruineux des études et des rénovations partielles, au sys-
tème des entreprises décousues, sans vue d’ensemble, et
par suite contradictoires souvent. Au morcellement il
fallait substituer l’unité; à l’hésitation, la décision; à la
lenteur, la rapidité. Il était temps d’étudier d’abord, et
de remanier ensuite, partout où la nécessité s’en faisait
sentir, la grande cité dans Vensemble de son économie
architecturale, en considérant la ville entière comme un
seul monument dont toutes les parties fussent solidaires.
Cette conception, simple et sage dans sa grandeur, appli-
quée avec une fermeté calme, pouvait seule permettre
de réparer le temps perdu : elle ouvrait à l’architecte et
au capitaliste un vaste champ d’action où ils ne rencon-
traient d’autre obligation que celle d’obéir aux besoins
d’une population dont le goût suit une constante pro-
gression vers le beau et l’excellent. De pareilles condi-
tions, tandis qu’elles faisaient naître une intelligente et
utile émulation parmi les constructeurs, n’imposaient
au talent de l’architecte d’autres limites, en dehors des
lois de l’édilité, que celles des prodigieuses ressources
industrielles du siècle.
J’ai vu disparaître dans ce colossal remaniement de
Paris quelques vieux souvenirs de notre histoire; comme
artiste et comme archéologue j’en ai éprouvé des regrets
faciles à comprendre, mais comme citoyen j’en ai senti
la nécessité, et je me suis consolé en pensant que le
souvenir et la tradition ne cédaient le pas que devant
l’essor légitime et nécessaire de la vie et du progrès.
J’ai applaudi à la démolition des quartiers malsains, en
voyant d’élégants squares ouverts au peuple prendre la
place d’indignes carrefours, et le soleil descendre sur
un sol qui n’avait connu depuis des siècles que l’ombre
et l’humidité; je me suis réjoui en voyant de larges
boulevards traverser la ville d’outre en outre et mettre
en communication entre eux et avec la ville, les chemins
de fer et les routes impériales qui relient Paris aux
départements et à l’Europe. Que dirai-je encore? Par-
lerai-je de l’air, de la lumière et de la chaleur répandus
à flots, des arbres plantés par centaines de mille, des
eaux pures versées avec une abondance toujours crois-
sante, de nos chaussées et de nos trottoirs perfectionnés
et mieux entretenus, des églises, des écoles, des marchés,
des mairies, s’élevant de toutes parts;... enfin de la vie
humaine elle-même prolongée 1
Devant ce grand spectacle, il est vraiment difficile de
comprendre qu’on accuse l’administration de marcher
trop vite.
Trop vite ! lorsqu’il est question de créer l’ordre et le
confort au cœur de la France et de prolonger la durée
moyenne de la vie à Paris! Trop vite! lorsqu’il s’agit
d’échapper aux maladies qu’engendrent des miasmes
infects et aux inconvénients, aux dangers même que
crée une circulation difficile! Trop vite! lorsqu’on fai-
sant vite la dépense définitive est moindre et l’entrée
en jouissance plus prompte, lorsque les finances le per-
mettent et que le bien-être public le réclame !
— Quelques personnes reprochent à l’administration
d’avoir fait, dans les nouveaux travaux, de trop grands
sacrifices à de pures considérations d’art; je voudrais,
pour ma part, que ce reproche fût plus mérité : répandre
largement l’art sur les places publiques et dans les rues,
n’est-ce pas faire l’éducation du peuple par les yeux,
former son goût, faire pénétrer dans les masses le sen-
timent du beau par un spectacle qui chaque jour polit
les mœurs en élevant les esprits? L’art n’est pas un
luxe stérile. Pour n’en pas douter, qu’on regarde les
nombreuses écoles d’art fondées en Angleterre depuis
l’Exposition universelle de 1851. L’art, en marquant de
son empreinte tant de constructions privées récemment
exécutées parmi nous, et que ce livre est destiné à faire
connaître, n’a fait que manifester une des supériorités
de Paris, un des puissants attraits par lesquels il exerce
une sorte de souveraineté parmi les villes capitales du
monde; l’art est la source principale de richesse où
puisent l’industrie et le commerce parisien, et, à ce
point de vue, l’édilité contribuera à la prospérité de Paris
dans la mesure de son respect pour l’art.
—■ Cité des muses, séjour favori des arts et des
sciences, où la culture de l’esprit, le raffinement du goût
et l’amour du plaisir élégant sont si largement repré-
sentés, Paris sera la cité neutre des peuples civilisés, le
renclez-vous commun de tous ceux qui voudront se ren-
contrer pour échanger autre chose que des colis de
marchandises. Paris est la seule ville qui convienne éga-
lement à tous les peuples. Son glorieux avenir lui est
marqué à la fois par sa situation géographique et topo-
graphique, aussi bien que par le génie particulier du
Parisien. L’administration concourt pour sa part à la
réalisation de ce programme du destin.