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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 8.1875

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L'ÉGLI PSE

LUTTE ELECTORALE

Le Scrutin de la Revanche

HISTOIRE DE PARTOUT ET DE NULLE PART
Par LEON BIENVENU

C'est pour toi, peuple laborieux et honnête, de qui l'on
se joue depuis trop longtemps et qui vas enfin, un de ces
jours prochains, reprendre la parole dans les affaires qui-
te regardent seul, que je prends la plume aujourd'hui.,

Un bonapartiste vient de s'adresser à toi dans une bro-
chure intitulée :

LA REVANCHE DU SCRUTIN

A ce titre, qui ne signifie absolument rien, nous répon-
drons par celui-ci :

LE SCRUTIN DE LA REVANCHE

qui dit clairement ce qu'il veut dire : le relèvement de la
France par le suffrage universel ; car tu as compris déjà
qu'il ne s'agit pas ici de la revanche belliqueuse, mais
bien de la revanche morale, la plus pressée, la seule qui
doive nous occuper en ce moment.

Dans la brochure en question, l'auteur a supposé la pro-
chaine période électorale ouverte dans uu département fan-
taisiste.

Nous la supposerons également éclose dans un départe-
ment de convention.

On t'a présenté quatre candidats en présence : un répu-
blicain, un légitimiste, un orléaniste et un bonapartiste.

Nous te présenterons les mêmes hommes ou à peu près.

L'auteur, bieh entendu, a mis dans la bouche du candi-
dat de son choix tous les arguments les meilleurs, les plus
sages, les plus patriotiques.

Et il a écrasé ses trois concurrents sous des flots de
logique.

Qui parle seul, parle bien.

Il a fait une seule cloche, mais cela ne peut suffire à
ceux qui veulent entendre plusieurs sons.
Nous allons faire la seconde.
Tu jugeras, peuple.

L'AGITATION

Le 1" mars 1871, le chef-lieu du département des Côtes
de l'Ouest était tout sens dessus dessous.

Il s'agissait de l'élection d'un député à l'Assemblée, natio-
nale, élection ardemment désirée depuis fort longtemps, car
le département des Côtes de l'Ouest qui, au commencement
de 1871, avait précipitamment élu un député chargé de
conclure la paix, après nos revers, s'était montré, depuis,
fort offensé que son député, profitant de ce que son mandat
n'avait pas éié défini comme durée, se fût permis de
l'allonger de son plein gré comme un morceau de caout-
chouc.

Cette persistance de M. Larose — c'est le nom de ce dé-
puté gluant — à éterniser une besogne qui devait être si
courte, sans s'inquiéter un instant si cela était du goût de
ses électeurs, l'avait rendu très-impopulaire dans le dépar-
tement des Côtes de l'Ouest, et sa réélection était considérée
comme impossible.

De plus, les événements qui s'étaient accomplis depuis la
guerre avaient fortement modifié l'opinion politique des
électeurs des Cotes de l'Ouest.

Us avaient assisté à toutes les intrigues monarchiques,
vu les partisans des trois prétendants se disputer à qui
d'eux trois reviendrait — non l'honneur, cela ne les occupait
guère — mais le profit de régner sur la France.

Ils avaient assisté aussi à ce spectacle inouï d'un peuple,
abattu par la plus cruelle des défaites, se relever presque
instantanément, payer une rançon énorme, et se remettre
courageusement au travail, bien qu'il eût au flanc une
blessure affreuse et béante.

Les électeurs des Côtes de l'Ouest comprenaient très-bien
que tout cela s'était aceompli — nous ne dirons pas sous la
République, le gouvernement actuel ne méritant pas ce
nom —mais enfin, sans roi, ce qui était significatif.

Aussi les électeurs des Côtes de l'Ouest se disaient-ils avec
beaucoup de bon sens :

— Puisque la France, sans monarque, et avec une quasi-
République contestée à toute heure, a pu accomplir de tels
prodiges, n'y a-t-il pas lieu d'espérer qu'une fois qu'elle
jouira d'un gouvernement définitif qui ne pourra plus être
sapé par personne, elle redeviendra plus grande et plus
prospère que jamais.

Une autre chose avait également rendu les électeurs des
Côtes de l'Ouest favorables à l'établissement de la Répu-
blique.

Ce département — on n'a jamais pu savoir pourquoi -
avait été maintenu, comme quarante-huit autres, sous le
régime exceptionnel de l'état de siège depuis cinq années.

Or, les électeurs n'avaient pas manqué de remarquer que
l'autorité avait profité de cet état de choses et de siège, non
pas pour faire la balance égale entre tous les partis et n'ac-
corder à chacun d'eux que la même liberté, mais en avait,
au contraire, abusé étrangement en réservant toutes ses
rigueurs pour le parti républicain, pendant qu'elle restait
pleine de mansuétude pour les monarchistes de toutes
essences.

Ainsi, pendant les trois dernières années de l'état de
siège, quinze organes républicains des Côtes de l'Ouest avaient
mordu la poussière par suite de suspensions, d'interdictions
et de suppressions,

Tandis qu'aucun journal monarchique n'avait été atteint
par les rigueurs de l'administration.

Pour des gens qui raisonnent un peu, pareilles étrange-
tés sont matières à réflexwp.

Et les électeurs des Côtes de l'Ouest ne s'étaient pas privés
de réfléchir.

Le résultat de ces rêveries avait été le raisonnement sui-
vant :

— Comment se fait-il donc que, sur quatre partis qui
ouvrent la bouche pour parler depuis trois ans, on en bâil-
lonne toujours un, et que ce soit toujours le même ?

De sa nature, l'homme est curieux. L'électeur des Côtes
de l'Ouest est homme, et, naturellement, cela lui avait
donné une forte démangeaison d'entendre parler le seul des
quatre causeurs auquel on imposait si obstinément le
silence.

Cela explique à la fois l'émotion à laquelle le départe-
ment des Côtes de l'Ouest était en proie et l'inquiétude mor-
telle qui envahissait le cœur des trois candidats anti-répu-
blicains au moment d'engager le combat.

MONSIEUR LE MAIRE

Le maire du ehef-lieu, M. Gonflabaut, était particulière-
ment perplexe et agité.

Le résultat des élections l'inquiétait ; car il ne sentait pas
la population avec lui.

Cela se conçoit d'ailleurs aisément.

M. Gonflabaut n'était pas l'homme choisi par la
localité.

Bouffi, orgueilleux et classe dirigeant dans l'âme, il était
antipathique à ses concitoyens, ce dont ne s'était pas occupé
le ministre d'ordre moral qui l'avait nommé.

Aussi s'agitait-il de son mieux pour empêcher le succès
du candidat républicain, pensant bien que s'il triomphait,
cette campagne de poigne lui serait comptée pour la déco-
ration.

Il savait aussi, et cela ravivait son zèle, qu'en cas d'insuc-
cès son écharpe se détacherait elle-même de ses gros flancs
rebondis.

Ajoutons enfin, pour compléter le tableau, que le chef-
lieu des Côtes de l'Ouest était dans une situation trop fré*
quente.

11 était administré par une commission municipale qui
avait été nommée également par le gouvernement en rem-
placement du véritable conseil municipal élu, dont le préfet
avait prononcé la suspension à la suite d'une séance où une
somme de 125 fr. avait été votée pour l'acquisition d'un
buste de la République à placer dans la salle des délibé-
rations.

Toutes ces petites vexations réunies faisaient qu'un vent
de mauvaise humeur, — et peut-être même de représailles,
— soufflait sur les électeurs des Côtes de l'Ouest.

Quelques citoyens modérés et sages craignaient même que
le désir de prendre leur revanche sur une administration
par trop intolérante, ne poussât les électeurs à quelque exa-
gération électorale dans le sens radical.

Mais il n'y avait à cet égard aucun danger.

Bien que fortement froissée par les procédés du gouver-
nement à leur égard, la majorité des électeurs des Côtes de
l'Ouest étaient absolument résolus à n'admettre qu'une can-
didature sérieuse et pratique et à repousser toute extrava-
gance qui serait de nature à fournir des arguments aux
réactionnaires.

C'était dans ces conditions que le scrutin allait s'ouvrir.

EN VILLE

L'aspect de la ville était curieux.
Partout le plus grand calme.

Un seul parti se faisait remarquer par ses allures tapa-
geuses : c'étaientjlesjbonapartistes de l'endroit qui, désireux,
à eux 39, de faire accroire au public qu'ils étaient 43,000,
allaient, venaient, se multipliaieût) criaient, menaçaient
comme aux beaux jours.

Quelques sots se laissaient encore un peu prendre à tout
ce tapage et disaient :

— C'est que tout de même, ii8 ont j>air d>êtrQ j

Mais les gens un peu au courant des affaires publiques,
accoutumés aux rodomontades stupides de ces matamores
en débine, souriaient doucement en les voyant faire tant
de bruit à la cantonade pour imiter le bruit du tonnerre.

De tous les moyens d'exaspérer les bonapartistes, le rire
est certainement le plus sûr.

Aussi étaient-ils furieux de ne pas être pris au sérieux et
se répandaient-ils en injures et en menaces contre les citoyens
qui se tordaient les côtes sur leur passage.

Une simple plaisanterie les mettait hors d'eux. Us per-
daient contenance.

Et comme à eux 39 ils avaient bien bu autant d'eau-de-
vie que 528 artilleurs le matin d'un deux décembre, ils invec-
tivaient les passants dans le langage cher au journal des
Cassagnac.

Ecumants de colère, ils entraient dans les boutiques des
gens qu'ils savaient d'une autre opinion que la leur et ten-
taient d'effrayer les femmes et les enfants du boutiquier, en
criant à celui-ci :

— As pas peur, va... viande à pontons !... tu y retourneras
à Nouméa, quand notre petit sera revenu !... sale mufle de
républicain, tu paieras cher tes ordures contre l'Empire !...
Tu peux être tranquille, canaille, fiiou, voleur; tu es sur la
première liste, coquin, chenapan, fripouille !...

A part ces doux propos d'ivrognes dépités, tout se prépa-
rait silencieusement pour la lutte prochaine.

MONSIEUR LE PRÉFET

Ce que nous avons dit de M. Gonflabaut le maire, peut
s'appliquer à M. de Verdreuil, préfet choisi par l'ordre
moral, pour administrer le département des Côtes de l'Ouest-

M. de Verdreuil, ancien fonctionnaire de l'Empire étal'
des plus impopulaires.

Personne plus que lui ne désirait la restauration impé-
riale; mais très-prudent, M. de Verdreuil avait mis, sous le
Wallonnat, une partie de son drapeau dans sa poche et se.
contentait de se dire conservateur.

En vue d'événements qu'il ne pouvait prévoir, il gardait,
à l'aide de cette étiquette banale, une porte entre-bâillée sur
tous les budgets à venir.

Il n'avait, bien entendu, déployé son zèle de préfet que
contre les républicains.

Et, — comme M. Gonflabaut, — M. de Verdreuil était au
désespoir de la tournure que prenaient les élections.

Aussi allait-il répétant partout :

— Si les radicaux (car il appelait tous le.irépublicains ; ra-
dicaux, même M. Thiers) triomphent, attendons-nous aux
meurtres, aux vols, aux incendies, aux pillages...

Dans son emportement, il ajoutait même :

.....Et aux inondations !

LES CANDIDATS

Les électeurs des Côtes de l'Ouest avaient à choisir entre
quatre candidats — nous ne parlons que de ceux qui étaient
à peu près sérieux.

Ces candidats étaient :

1° M. JOSEPH LENTRIPÉ

M. Lenteipé, qui s'intitulait orléaniste libéral, était un
bourgeois enrichi et bouffi, ne reconnaissant d'autre puis-
sance au monde que celle de l'argent.

Du reste, sans aucune idée politique, absolument con-
vaincu que la direction des affaires publiques appartient
de droit aux citoyens riches qui forment les classes diri-
geantes.

M. Lentripé posait assez volontiers pour le voltairien et
le frondeur en religion, parce que cela fait bien et vous
donne auprès des femmes un petit air malin et les convie à
vous appeler : gros monstre.

Mais en ce qui touchait la question sociale, M. Lentripé
était positivement intraitable.

Venu à Paris en sabots avec quatre francs vingt-cinq dans
sa poche (c'est lui qui le dit), — ayant gagné trois millions
amorce de travail... (c'est lui qui le dit) — ... des autres
(c'est lui qui ne le dit pas) et de privations... (c'est lui qui le
dit)... sur la nourriture de ses 4S0 ouvriers (c'est lui qui ne le
dit pas), M. Lentripé est absolument persuadé qu'il doit tout
à son mérite, que tous les travailleurs sobres, consciencieux
et honnêtes pourraient devenir millionnaires s'ils n'allaient
pas se soûler le samedi au cabaret, et que tout est pour le
mieux dans le meilleur des états où la journée de l'ouvrier
est de cinq francs par jour, quel que soit le nombre des en-
fants qu'il a à nourrir.

M. Lentripé est — bien entendu — monarchiste constitu-
tionnel et partisan du cens électoral, et si le suffrage
universel l'élit, il peut compter sur lui pour rejeter au bas du
mur l'échelle qui lui aura servi à monter dessus.
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