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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 8.1875

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https://doi.org/10.11588/diglit.6768#0135
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L'ÉGLI PS E

2° M. LE M's DE LA VERMOULIÈRE

M. de la Vermoulière est le candidat légitimiste — son
nom l'indique.

Ce vieux bonhomme, lui, est tout à fait persuadé qu'il
n'y a de salut pour la France que dans son retour immédiat
à la tradition monarchique, criminellement interrompue
par la prise de la Bastille.

Du reste, absolument détesté par le paysan qu'il irrite
avec ses airs seigneuriaux du vmc siècle.

Il n'a aucune chance d'être élu ; mais il considère comme
un devoir, lui le dernier des sires de la Vermoulière, de
planter haulte et droite sur les débris de la féodalité la
bannière du droit divin.

C'est très-beau comme sentiment chevaleresque.
Seulement ça a le tort d'appeler un peu de musique d'Of-
fenbach.

3° M- DE MACAIRAC

M. de Macairac, — son nom l'indique également — est le
candidat de cette dynastie glorieuse à laquelle la France
doit la perte de deux provinces, de dix milliards, ce qui ne
serait que peu de chose, si elle ne lui devait aussi son avi-
lissement. .

Panier percé, ex-chevalier d'industrie, escroc dans la dé-
bine, remis à flot par une collaboration subalterne au coup
d'Etat du 2 décembre 1851, M. de Macairac, que le jeu et le
libertinage ont ruiné pendant 18 ans au fur et à mesure que
l'empire l'enrichissait, est retombé depuis le 4 septembre
dans sa détresse première.

Pilier de salle d'armes, il a pu soutirer de Chislehurst quel-
ques billets de mille francs, pour honoraires de duels heu-
reux contre les républicains.

Cela l'a aidé à ne pas mourir de faim et à satisfaire quel-
ques-uns de ces vices honteux ; mais il est grand temps
qu'un budget plus plantureux ouvre pour lui autre chose
que de petits ours de souffrance.

Aussi n'a-t-il qu'un salut : la restauration bonapartiste.
Et 1 y pousse de toutes ses forces.

4° M. JEAN DUBOIS

Jean Dubois, c'est le candidat républicain.
Et n a pas sollicité le mandat; plusieurs de ses concitoyens
ont été le lui offrir.

Et cela s'explique.

Jean Dubois est un enfant du pays. Resté orphelin à
quatorze ans, il a élevé ses trois petites sœurs; ouvrier serru-
rier, il s'est instruit iui -même et s'est établi à vingt-quatre
ans.

Studieux et intelligent, il a appris le dessin, la mécanique
et a inventé deux charrues merveilleuses.

Il est dêvenu heureux, il occupe 320 ouvriers qu'il a or-
ganisés en société. Il leur partage les trois quarts des béné-
fices de l'exploitation.

En 1870, il avait quarante ans, il prit un fusil, a été sa
faire casser le bras gauche à Reischoffen, comme volontaire,
est revenu prendre le marteau en 1871.

Voilà l'homme que les républicains des Côtes de l'Ouest
veulent envoyer à l'Assemblée nationale, comme ce qu'ils
ont dans leurs rangs de plus honorable, de plus vaillant,
de plus courageux et de plus pur.

Ajoutons bien vite que Jean Dubois n'est pas qu'un hon-
nête homme.

C'est un esprit d'élite, droit, élevé et surtout très-indépen-
dant ; assez violent même quand il défend une cause qui
lui semble juste.

En un mot, les républicains des Côtes de l'Ouest l'ont choisi,
non-seulement parce qu'ils le savent assez capable pour dé-
fendre leurs droits ; mais encore assez courageux pour faire
respecter, et au prix de sa vie, ceux de la République si,
d'aventure, les événements les mettaient en péril de coup
d'Etat.

Les républicains des Côtes de l'Ouest pensent qu'il faut au-
jourd'hui, surtout, de ces hommes-là.

LA BATAILLE

Une réunion électorale ayant été annoncée dans la grande
salle de spectacle du chef-lieu, lafoule est accourue à l'heure
dite, et pénètre avec calme dans l'enceinte.

La séance s'ouvre.

Et après quelques paroles du président, invitant les assis-
tants au calme, la parole est donnée à M. Joseph Lentripé,
le candidat orléaniste et conservateur.

M. Lentripé s'exprime en ces termes :

DISCOURS DE M. JOSEPH LENTRIPÉ

Messieurs les électeurs,

Je me présente à vous comme candidat monarchique li-
béral. — Je suis venu à Paris en sabots avec 4 fr. 25 dans
ma poche, et par mon travail, mon mérite, je suis arrivé à
la fortune.

Une voix ironique, — Et à la gloire.

M. Lentripé répétant le mot sans s'en douter. — Et à la
gloire I... (Rires.)

Mon système est celui-ci : le gouvernement basé sur le
suffrage universel (bravos), avec cette seule restriction
que seuls voteront les citoyens payant cinquante francs de
contributions (cris violents). — Oui, messieurs... personne
ne peut le nier, le peuple est une masse inconsciente qu'il
faut diriger... (réclamations bruyantes). Or, qui peut la di-
riger? Évidemment les citoyens à qui leur situation de for-

tune permet d'être intelligents (cris). D'ailleurs, de quel
droit un homme sans fortune voudrait-il voter et donner
un avis sur les choses publiques qm ne peuvent l'intéresser,
puisqu'il ne possède absolument rien. S'il veut acquérir les
droits de citoyen, qu'il devienne actionnaire de la Société.
Voilà, monsieur, les principes que je défendrai à la Cham-
bre si vous m'honorez de vos suffrages. (Réclamations et
rires.)

M. Joseph Lentripk descend triomphalement de la tri-
bune et reçoit les félicitations unanimes du notaire à pro-
pos de son ingénieuse image de « l'i^ctionnaire de la société. »

Il est remplacé par M. la marquis de la "Vermoulière.

DISCOURS DE M. DE LA VERMOULIÈRE

Messieurs,

Ma profession de foi sera courte : je veux le retour à la
monarchie légitime, parce qu'une nation ne peut, sans courir
à sa ruine, rompre des traditions de quatorze siècles.

Pouvons-nous oublier que la monarchie légitime a fait la
France grande et prospère.

Quel sort nous attend si nous renions ce passé?... Entou-
rés de grands Etats monarchiques qui ont toujours eu
d'excellents rapports avec les descendants des monarques
qui ont régné sur la France, nous serons en butte à tout le
mauvais vouloir et l'antipathie de nos voisins. Et qui sait si
cette antipathie ne se traduira pas un jour —plus tôt même
que nous ne le pensons, par...

Voix diverses. — Assez... assez... c'est honteux...
c'est un appel à l'étranger.

L'orateur proteste.

Un assistant, avec ironie. — L'assemblée exagère...
M. le comte de la Vermoulière n'appelle pas l'étranger... il
lui fait seulement signe qu'iljpeut venir.

(Applaudissements.)

M. de la Vermoulière descend de la tribune fier et im-
passible.

M. le Président. — La parole est à M. de Macairac.

(Sensation.)

DISCOURS DE M. DE MACAIRAC

Messieurs,

Je me présente à vous comme candidat impérialiste.

Une voix. — Il n'y a pas de candidat impérialiste, nous
sommes en République.

M. de Macairac. — Oui... mais en République provi-
soire... République qui doit donner le temps à notre prince
de mûrir pour le salut de la France.

Voix. — lit Sedan.

M. de Macairac, imperturbable. — Sedan est un mot
que l'on nous jette trop souvent à la face. L'histoire aura
raison de ces calomnies. J'y étais à Sedan, moi, messieursl...
l'Empereur a été superbe décourage... Il voulait à tout prix
sortir et se faire tuer à la tête de l'armée. Quinze fois il s'est
échappé des mains de ses généraux qui le suppliaient de ne
point exposer sa vie, quinze fois on l'a rattrapé au moment
où il escaladait les remparts offrant sa poitrine aux coups
de l'ennemi.

(Eclats de rire étouffés.-)

M. de Macairac, avec un toupet d'enfer, — Vous san-
glotez, messieurs !... Ah I je savais bien que le récit de tant
de courage vous attendrirait. — Eh ! bien, messieurs, il en
est de tous les actes de l'Empire comme de la journée de
Sedan. Tous ont été dénaturés de parti pris; et si nous
voulions les reprendre un à un, nous les trou verions tous
dictés par la même grandeur d'âme, par le même amour de
la France. — Parlons maintenant de la prospérité qui attend
notre pays le jour où il aura rappelé le descendant du glo-
rieux vainqueur de la maison Sallandrouze. — Ce bonheur
dont la France a joui pendant le second empire n'est-il pas
une garantie de celui qui lui est réservé par le troisième?...
Depuis que l'empire a été renversé, la France ne connaît
plus la splendeur, le commerce languit, tout va mal, et les
impôts, messieurs!... les impôts !... N'est-ce pas navrant de
voir une nation écrasée par de telles contributions... Est-ce
l'empire qui aurait jamais doublé, triplé le timbre des effets
de commerce, imposé les allumettes, etc., etc.

Voix. — Avec quoi voulez-vous que la République paie
l'intérêt de VOS cinq milliards?

M. de Macairac, avec un aplomb croissant. — Ah! nos
cinq milliards !... voilà le grand mot lâché. Qui donc les a
coûtés à la France ces cinq milliards, si ce n'est les républi-
cains ? 11 est de notoriété publique qu'après Sedan, sans le
4 Septembre, les choses s'arrangeaient à l'amiable avec
Guillaume qui, non-seulement ne nous demandait ni ter-
ritoire ni argent, mais donnait encore une de ses nièces en
mariage au prince impérial avec le titre da colonel d'un ré-

ment de cuirassiers blancs (tumulte.)

m. de macairac avec véhémence — Oui messieurs, oui.,
voilà cette dynastie exemplaire que des misérables ont osé ren-
verser dans un jour de haine et de basse vengeance!... Et la

rance ne rappellerait pas, dans un immense cri d'amour et

enthousiasme, le descendant de ce souverain béni à qui elle
doit l'accroissement des cafés-concertsetlapuissance du Figaro!
allons donc, c'est impossible!... Et en, m'honorantde vos
suffrages, messieurs, vous accomplirez un acte de répara-
tion solennelle envers cette dynastie calomniée.

M. de Macairac descend de la tribune, accueilli par les braves
des 38 bonapartistes qui assistent à la séance.

M. Jean Dubois monte à ia tribune ; profond silence.

un bonapartiste fortement absinthé ; A Cayenne» le pé-
troleur I...

voix: A la porte!... àlaporte!..-('^uuuilte.. M.deMacairac
se j ette dans la mêlée espérant trouver uûe affaire avec un
républicain; il croit qu'un duel 1« ^ûdejaain ferait le plus
grand bion à son élection.)

\ Enfln> 11 avise Un rédacteur de l'Écho démocratique de
l'Ouest, le traite de « sale voyou » à propos de rien, et lui fait
passer sa carte.

Daos sa précipitation, il se trompe de poche, et au moment
où le rédacteur de l'Echo démocratique de l'Ouest veut exami-
ner le carton qui vient de lui être remis, il s'aperçoit que
c'est un roi de pique... légèrement bizeauté.

Eclats de rire dans toute la salle.

M. de Macairac sort, d'un air furieux, en enfonçant son
chapeau.

DISCOURS DE M. JEAN DUBOIS

Citoyens. Je n'ai pas à vous parler de moi: vous êtes
venus m'offrir une candidature, vous connaissez mon passé
et mes opinions.

Je yeux la République, et en deux mots je répondrai à
mes adversaires qui la combattent.

Vous, Monsieur Joseph Lentripé, vous prétendez que le
pauvre n'ayant aucun intérêt à défendre, ne doit pas être
électeur; tout votre système de classe - dirigeantalisateur
repose sur ce principe que seuls ceux qui possèdent ont des
droits. Quant aux devoirs, vous conviez pourtant les pauvres
à en prendre leur part. Ils ne votent pas, vos pauvres, mais
ils paient. Ils ne votent pas, vos pauvres, mais ils meurent!..
Je n insiste pas sur le vide d'un pareil argument.

Vous, M. de la Vermoulière, vous prétendez que la mo-
narchie légitime est le meilleur système de gouvernement,
parce qu'il est le plus vieux. C'est une piètre raison, puis-
qu'elle n'a seulement pas pu sauver les diligences de la con-
, currence des chemins de fer. Mais votre argument le plus
dangereux est celui-ci: Environnée de monarchies, la
France ne saurait être tranquille en République ; les royau-
tés d'alentour s'effraieront de ses allures. Une pareille consi-
dération est indigne du caractère français. La France ne
saurait être que la nation du progrès et de la liberté, et le
jour où elle n'aurait d'autre alternative que d'être une'sous-
préfecture de Berlin, de Vienne, de Saint-Pétersbourg,
ou de mourir pour la revendication des droits de l'huma-
nité tout entière, le choix de la France ne saurait être dou-
teux: elle mourrait martyre plutôt que de-vivre esclave !...

Explosion d'enthousiasme.

M. Jean Dubois. — Quant à l'Empire, dois-je m'en oc-
cuper ?

L'sssistance en masse. — Non...,, non...

M. Jean Dubois. — Il vous faut donc la République, et
si vous m'envoyez à l'Assemblée, je vous jure de la servir
en citoyen fidèle. Quelques mots cependant sur la façon
dont j'entends que la République soit servie. Je demanderai
la liberté pour tout le monde, oui, mais je n'oublierai pas
que, deux fois déjà, la Républiqne a péri par sa confiance
exagérée. Je ne crois pas qu'un gouvernement d'un jour
puisse n'avoir rien à craindre des influences, de l'ignorance
et de l'abaissement qui résultent d'un système contraire ayant
fonctionné pendant quatorze siècles. Je ne provoquerai pas
la terreur, mais je demanderai des garanties. Ces gens ont
eu la France à eux pendant quatorze cents ans, ils ont fait
de nous ce qu'ils ont voulu. Qu'ils s'éloignent maintenant.
Si nous sommes encore assez naïfs pour les admettre à tra-
vailler avec nous à la création d'un état de choses qu'ils
haïssent d'instinct, nous sommes encore une fois perdus
{applaudissements).

Mon intention, citoyens, est donc de travailler de toutes
mes forces à l'affermissement de la République, et d'y tra-
vailler par tous les moyens, en la faisant aimer des gens de
bonne foi, maison la faisant craindre auSsi de ses mortels en
nemis, que, par malheur, elle n'a jamais habitués à trem-
bler devant elle.

Vifs applaudissements.

Après ce discours, qui produit une grande impression,
l'assistance se sépare avec calme.

LE SCRUTIN,.

Quinze jours après, le vote eût lieu, et donna le résultat
suivant :

Inscrits........... . 32.000

Votants............ 29.500

MM. Jean Dubois (rép.)............ 23.456

Joseph Lentripé (orl. cons.)..... 4.137

De la Vermoulière (lég.)........ 1.854

De Macairac (bonap.)........... S3

CONCLUSION

Electeurs, vous avez compris, n'est-ce pas ?

Le département des Côtes de l'Ouest, c'est le vôtre, c'est le
mien, c'est celui de tout le monde.

Partout il y aura un Joseph Lentripé, un de la Vermou-
lière, un de Macairac, un Jean Dubois.

Faites attention à votre choix, il sera sérieux cette fois.

Car de lui dépendra l'avenir de la France.

Avec la légitimité ! la honte et l'opprobre pour le peuple.

Avec l'orléanisme ! l'asservissement à une bourgeoisie
âpre, dure, insolente et cruelle.

Avec le bonapartisme!... l'abjection morale.

Mais avec l'un des trois — n'importe lequel — la mort et
l'anéantissement de la France qui ne peut plus vivre privée
d'air, maintenant qu'elle a mis le nez à la fenêtre.

Avec la République, la République ferme et sévère, la
renaissance de notre pauvre et cher pays.

Le renouveau, dans les cœurs, de tout ce que nous avions
désappris : l'amour du beau, du juste, l'horreur de la ser-
vitude, et la rage de la liberté.

Nommons Jean Dubois.

Et VIVE LA RÉPUBLIQUE !,..

LÉON BIENVENU
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