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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0072
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forçant la forme à se plier sous son étreinte pour la décrire en profon-
deur. On sent qu'au lieu de regarder, comme le faisait Masaccio, la
vie en bloc, et de la sculpter sur la toile à coup de lumières et d'ombres,
il prenait un morceau de vie, le suivait dans ses accidents, ses relations
avec la vie environnante, son cheminement dans l'espace, et ne perdait
jamais, dans les saillies, les creux, les ondulations qui naissaient de
sa poursuite, la ligne qui les décrivait. On sent — et c'est pour cela
qu'il reste, malgré son incalculable puissance, un primitif — on sent
que c'est à force de savoir qu'il parvient à entourer d'air ses masses
sculptées et à éloigner d'elles, plan après plan, les fonds bleus de
roches déchirées, de montagnes, de routes sinueuses, d'arbres grêles,
qui vivent d'une vie factice, comme un théorème attaché au flanc
d'une émotion vivante. Gozzoli, Ghirlandajo, intuitivement, par le
sens des valeurs exactes, faisaient enfoncer leurs paysages mieux que
Vinci tout empêtré de perspective et de calcul. C'est dans son esprit
que vivent les rapports du monde, plus encore que dans ses sens, et
beaucoup plus que dans son cœur.
L'expérimentation, chez cet homme étonnant qui fondait à la
fois ou pressentait toutes les sciences futures, chez qui les arts de
sculpter et de peindre ne semblaient être que des applications humaines
des notions abstraites qu'il avait puisées dans l'étude de la géométrie,
de la perspective, de la mécanique, de l'alchimie, de la géologie, de
l'hydraulique, de l'anatomie, de la botanique, l'expérimentation égalait
en importance l'intuition qu'il possédait au degré le plus haut, l'intui-
tion créatrice de vie, l'intuition à tel point souveraine que chez tout
grand artiste elle entraîne et fait disparaître l'infinité des recherches
conscientes ou inconscientes qui ont préparé son explosion. C'est peut-
être le seul homme chez qui la science et l'art se soient confondus
par leurs moyens d'exprimer la pensée, comme ils tendent à se con-
fondre par leur besoin commun d'établir la continuité des lois natu-
relles dans le royaume de l'esprit.
Il faut voir ses dessins de machines, ses dessins d'anatomie, ses
dessins de muscles et de fleurs. Ils sont la représentation exacte et
minutieuse de la machine, des muscles, des fleurs. Ils ont aussi ce
frisson mystérieux, cette expression rayonnante et secrète qu'on voit
à ses visages étranges, charmants ou durs, équivoques sous la pluie
des cheveux bouclés, à ses épaules nues, à ses seins nus où le trait
recueille à fleur de peau, ligne après ligne, le mouvement muet de la
vie intérieure. Les artistes italiens du xve siècle avaient bien fait de
fouiller les cadavres, d'étudier les trajets des tendons, les saillies des
os, le ruissellement infini des nerfs, des veines, des artères. Il était
nécessaire que même au prix de quelques confusions, même au prix

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