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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0105
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en lui la brûlure de la passion qu'elle avait vécue. Il y parut vingt ans
après Vinci, au moment où elle parvenait au point le plus fiévreux de
son histoire. Il avait lu Platon. Dante ne le quittait pas. Élève de Ghir-
landajo, le plus direct des peintres de l'époque, il recherchait l'intimité
des œuvres de Giotto, de Masaccio, de Della Quercia, de Donatello,
de Piero della Francesca. Il connut Savonarole, et le suivit. A vingt-
six ans, il avait arraché au marbre le gigantesque David qui résume
la jeunesse douloureuse et l'énergie tendue de la cité.
Il fut, ou voulut être, tout ce qu'elle avait été, constructeur, peintre,
sculpteur, poète. Pour connaître le corps humain, il s'enfermait avec
des cadavres jusqu'à ce que l'odeur le chassât. Si tout le rêve et toute
la science de la ville ardente s'accordaient en Vinci, ils ne cessaient
de se combattre en lui. Sa grande âme était comme le sommet d'une
vague qui montait et descendait avec les élans d'énergie et les crises
de lâcheté de sa malheureuse patrie. De désespoir, il la quitta. Quand
il y revint, ce fut pour essayer de la sauver. Son cœur porta peut-être
seul, dans l'Italie déchue, le poids de la servitude : « Il m'est doux
de dormir, il m'est plus doux d'être de pierre, tant que le malheur et
la honte durent. Ne rien voir, ne rien sentir, c'est là mon plus grand
bonheur. Ne me réveille pas, de grâce! Parle bas... ! »
En allant de Florence à Rome, il vit à Orvieto les fresques fraîches
de Luca Signorelli qui avait déjà couvert de décorations puissantes
où la discipline de Piero della Francesca redressait l'âme énervée des
vieux maîtres de Florence, les murailles du couvent de Monte Oli-
veto. Ici des formes herculéennes se tordaient sous les vêtements,
cherchant à crever leur gangue, craquant de force et de fureur. Et
là le corps humain, tendu comme un faisceau de cordes, était devenu
une mécanique expressive, où les nerfs presque dénudés lançaient la
passion dans les membres en jets de flamme courts et répétés. Ges
fresques imprimèrent dans le souvenir du jeune homme comme des
entailles d'épée. C'étaient les premiers nus anatomiques. La science
italienne du corps humain s'y dévoilait avec une précision intransi-
geante. Sauf quelques archanges vêtus de fer qui gardaient les portes
du ciel, rien que des nus. Des cadavres écorchés, peints directement,
ranimés, rejetés dans le cours de la vie avec une incroyable violence.
Des raccourcis furieux, des os craquants, des mâchoires contractées,
des tendons durs comme des cables de métal, des hommes, des femmes
hurlant. Un grouillement féroce de corps martyrisés par des démons
dont les ailes membraneuses tendent des voiles funèbres dans un ciel
vide d'espoir. Une grande œuvre. Passion, savoir, tout va au but
ensemble. Quand son fils meurt, il rentre sa douleur, le déshabille,
le peint sans une larme. Son grand dessin viril frappe et refrappe

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