au vandalisme des esthètes d Académie d'écraser tant de fleurs. Les
primitifs ne connaissaient pas l'anatomie et ne savaient pas composer.
Leur forme était vide de muscles, mais elle était pleine de vie. Un
sentiment irrésistible imprimait son rythme à leurs ensembles, un
sentiment profond qui laisse notre émotion libre de créer spontané-
ment, par une opération sensuelle automatique, le lien qui manque.
Plus tard, par réaction, on n'aima plus que les primitifs, on condamna
au nom des primitifs non pas l'École, mais ceux dont l'École est sortie.
Ce n'est pas son moindre forfait. Quand la puissance du sentiment
primitif, obscure presque toujours et dispersée en plusieurs hommes,
se concentre en un seul et s'illumine au contact d'une suprême intel-
ligence, le grand mystère s'accomplit. On atteint l'un des sommets
de ces ondes d'harmonie que dessine, dans la mémoire des générations,
l'énergie des races vivantes.
Venise, bien qu'elle eût subi, par Tintoret, l'influence de Michel-
Ange, avait tant de force personnelle qu'elle résista encore plus d'un
demi-siècle au courant. Mais, hors d'elle, toute l'Italie, qui avait
abouti à Rome, dut subir Rome. Baccio Bandinelli, Benvenuto, Vasari,
Jean Bologne l'introduisaient à Florence qui reconnut trop d'elle-
même en Michel-Ange pour ne pas s'abandonner à lui. Sa violence
naturelle s'accommoda moins de Raphaël dont l'École romaine locale
se réclamait et Bologne bientôt après elle. Quant à Vinci, qui n'y
avait laissé que quelques rares œuvres, elle ne se souvenait pas de lui.
L'influence de cet homme étrange s'était étendue surtout sur l'Italie
du Nord, où elle s'associa un moment à celle des maîtres romains pour
s'éteindre beaucoup plus vite. L'École milanaise, qu'il renouvela, était
morte presque sur place avec les fines fresques de Bernardino Luini
qui transporta la forme de son maître traitée avec plus d'abandon,
dans l'atmosphère blonde et douce de Borgognone et des peintres lom-
bards. Si Ghirlandajo avait su construire en profondeur ses formes,
c'est avec cet accent qu'il eût parlé de la vie familière et intime des
Italiens. Et si Vinci avait été attiré par cette vie, il ne l'eût pas contée
plus fortement que cela. Luini résume et exprime avec toute la force
et la noblesse possibles un aspect de l'âme italienne, et le plus inat-
tendu. C'est une Italie sans apprêt, dont l'angoisse paraît absente,
solide et toute à sa tâche comme un pays du Nord. Mais peuplée de
jeunes dieux qui feraient le travail de l'homme. Personne n'a aimé
plus fièrement l'adolescence italienne, les gestes aisés et charmants,
les foules abondantes où le même sourire erre sur tous les visages,
comme si l'esprit de Vinci éclairait encore des bouches plus sensuelles
et des regards plus attendris. Dans les paysages cendrés, au bord des
ruisseaux et des sources, vont s'asseoir des filles dodues, de gorge
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primitifs ne connaissaient pas l'anatomie et ne savaient pas composer.
Leur forme était vide de muscles, mais elle était pleine de vie. Un
sentiment irrésistible imprimait son rythme à leurs ensembles, un
sentiment profond qui laisse notre émotion libre de créer spontané-
ment, par une opération sensuelle automatique, le lien qui manque.
Plus tard, par réaction, on n'aima plus que les primitifs, on condamna
au nom des primitifs non pas l'École, mais ceux dont l'École est sortie.
Ce n'est pas son moindre forfait. Quand la puissance du sentiment
primitif, obscure presque toujours et dispersée en plusieurs hommes,
se concentre en un seul et s'illumine au contact d'une suprême intel-
ligence, le grand mystère s'accomplit. On atteint l'un des sommets
de ces ondes d'harmonie que dessine, dans la mémoire des générations,
l'énergie des races vivantes.
Venise, bien qu'elle eût subi, par Tintoret, l'influence de Michel-
Ange, avait tant de force personnelle qu'elle résista encore plus d'un
demi-siècle au courant. Mais, hors d'elle, toute l'Italie, qui avait
abouti à Rome, dut subir Rome. Baccio Bandinelli, Benvenuto, Vasari,
Jean Bologne l'introduisaient à Florence qui reconnut trop d'elle-
même en Michel-Ange pour ne pas s'abandonner à lui. Sa violence
naturelle s'accommoda moins de Raphaël dont l'École romaine locale
se réclamait et Bologne bientôt après elle. Quant à Vinci, qui n'y
avait laissé que quelques rares œuvres, elle ne se souvenait pas de lui.
L'influence de cet homme étrange s'était étendue surtout sur l'Italie
du Nord, où elle s'associa un moment à celle des maîtres romains pour
s'éteindre beaucoup plus vite. L'École milanaise, qu'il renouvela, était
morte presque sur place avec les fines fresques de Bernardino Luini
qui transporta la forme de son maître traitée avec plus d'abandon,
dans l'atmosphère blonde et douce de Borgognone et des peintres lom-
bards. Si Ghirlandajo avait su construire en profondeur ses formes,
c'est avec cet accent qu'il eût parlé de la vie familière et intime des
Italiens. Et si Vinci avait été attiré par cette vie, il ne l'eût pas contée
plus fortement que cela. Luini résume et exprime avec toute la force
et la noblesse possibles un aspect de l'âme italienne, et le plus inat-
tendu. C'est une Italie sans apprêt, dont l'angoisse paraît absente,
solide et toute à sa tâche comme un pays du Nord. Mais peuplée de
jeunes dieux qui feraient le travail de l'homme. Personne n'a aimé
plus fièrement l'adolescence italienne, les gestes aisés et charmants,
les foules abondantes où le même sourire erre sur tous les visages,
comme si l'esprit de Vinci éclairait encore des bouches plus sensuelles
et des regards plus attendris. Dans les paysages cendrés, au bord des
ruisseaux et des sources, vont s'asseoir des filles dodues, de gorge
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