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hésitante, de bras et de jambes massifs, élégantes pourtant, rondes,
tièdes et comme faites d'une matière neigeuse condensée. C'est étran-
gement réel, les femmes quittent leurs bas, emplissent leurs paniers,
les hommes travaillent le sol, les unes et les autres restent des paysans
lombards, mais un esprit d'idylle noble, un héroïsme singulier, une
finesse vive et fière viennent ennoblir tout cela. Rien n'est plus doux
et mystérieux. Une grâce ondoyante, un charme subtil, quelque chose
d'imprécisé, presque d'immatériel y flotte, cela est écrit fortement et
cependant ne se livre qu'à peine, l'âme exquise semble rôder, une voix
discrète insinue, la moue hésite entre l'ironie et la tendresse et ne se
décide jamais. Rome ne pouvait atteindre cet homme qui ne quitta
guère sa province, et, né la même année que Michel-Ange, mourut un
tiers de siècle avant. D'ailleurs, les recherches d'architecture formelle
séduisaient plus ces solides Italiens du Nord, soldats et cultivateurs,
que le dynamisme dramatique où s'acharnaient les Romains.
Vinci, sa volonté de construction les attirait davantage. La statique
de Luini est d'une puissance admirable et les plafonds hardis que
peignit Corrège à la bibliothèque et au Dôme de Parme valent peut-
être plus par la science structurale qu'on retrouve dans tous ses autres
tableaux que par leur mouvement interne. L'esprit de Vinci l'avait
d'autant plus impressionné qu'il y trouva un encouragement à
accentuer le caractère équivoque d'une œuvre où allait se définir le
programme artistique des Jésuites pressenti depuis cinquante ans par
les derniers peintres d'Ombiie qui achevèrent si vite de pervertir le
génie italien. Peintre voluptueux, rôdant autour des belles formes
moites sous les bocages noyés de vapeurs bleues où s'allongent indo-
lemment les héros mythologiques, il ne subit Michel-Ange que pour
envelopper sa forme dans la caresse insinuante de l'atmosphère véni-
tienne épaissie et plus onctueuse que ne l'avait vue Titien. Écume
blanche accumulée, plumes de cygne, chairs spongieuses et cependant
fermes, on dirait qu'il veut les voiler, que son désir lui fait honte, qu'il
se repent, après les avoir bien aimées, et l'équivoque s'accentue et
quelque chose de malsain flotte autour d'elles. C'est un pervers mélan-
colique qui voudrait être un chaste et ne peut pas, un grand artiste
dévoyé qui se ment à lui-même. Son modelé moelleux se fond dans
une ombre chaude, transparente d'ailleurs, mais si peu franche que
le passage s'y subtilise jusqu'à s'y évanouir. Chez Caravage, qui veut
réagir et réagit quelquefois avec vigueur contre la mièvrerie et la
fadeur envahissantes, l'ombre, au contraire, sera tout à fait opaque
et les objets en surgiront avec des reliefs violents qui obtiennent l'effet
voulu mais sous lequel il n'y a plus guère que le vide. Suavité factice
ou force maquillée, imposture partout. Avec la mielleuse peinture du

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