expressive une idée morale essentielle et simple. Les autres prenaient
plus qu'ils ne donnaient aux tapissiers, aux orfèvres, aux miniaturistes
innombrables qui fréquentaient la cour du duc. Les Valois confir-
maient la tradition de leur famille. Les frères de Philippe le Hardi
s'entouraient, comme lui, d'artistes. Jean Bandol venait de Bruges
à l'appel de Charles V. Le Livre d'Heures du duc de Berry, grand col-
lectionneur d'enluminures, avait été couvert de petits tableaux admi-
rables par Paul de Limbourg, le premier parmi les Flamands à sentir
sa fraternité avec le sol que nous bêchons, avec l'air qui nous pénètre,
avec les animaux qui travaillent pour nous, le premier à s'emparer
de la poésie permanente de tous nos gestes et de tous les objets et
du murmure de l'été et du silence de la neige, le premier à faire pré-
voir que Breughel allait venir.
La peinture, dans le nord-ouest de l'Europe du moins, où les parois
des cathédrales envahies par les verrières ne permettaient pas, comme
en Italie, le développement de la fresque, est sortie du cœur même du
grand corps gothique par le manuscrit enluminé. Dès le vie siècle
en Irlande, le viie en Angleterre, les viiie et ixe en France, de la Loire
au Rhin où les influences antique et byzantine étaient entrées avec
l'architecture romane, les livres sacrés, missels, psautiers, évangé-
liaires, avaient commencé très discrètement d'abord, très timidement,
à se couvrir de figures en teintes plates gauches, raides, anémiées par
la règle monacale dont les Bénédictins du xe siècle allaient même
accentuer la rigueur. Quand vint l'Ecole de Paris, à l'heure où tout le
territoire arrosé par la Seine se couvrait d'ogives et de tours, l'inon-
dation de lumière qui envahit la nef des cathédrales illumina les
textes saints.
Alors, c'est un énorme chant de joie. Les moines ne gardent pas
mieux le monopole de la peinture que celui de l'image sculptée ou
de l'art de bâtir. Les laïcs s'emparent du livre qui, même quand il
reste sacré, concentre sa vie dans ses images. Naguère, elles osaient
à peine orner les majuscules, attirant les regards sur le texte à méditer.
Maintenant, elles prennent possession de pages entières et tous les
jours font reculer la marge qu'elles finiront par supprimer. Le vieux
fond d'or uniforme ne disparaît pas toujours — les bleus, les noirs,
les rouges, les verts y chantent avec tant de force ! — mais l'enlumi-
neur se réserve le droit de s'en servir à son gré. Il fait flamber son allé-
gresse. Patient, parce qu'heureux, il emploie parfois toute sa vie à
fleurir de ses radotages l'indestructible parchemin. Quand on ouvre
ces pesants volumes, qui, vus du dehors, semblent si ennuyeux, c'est
une éruption d'hymnes à la lumière, des apparitions brusques de
jardins et de ciels. Il faut regarder de bien près pour retrouver la douce
— 109 —
plus qu'ils ne donnaient aux tapissiers, aux orfèvres, aux miniaturistes
innombrables qui fréquentaient la cour du duc. Les Valois confir-
maient la tradition de leur famille. Les frères de Philippe le Hardi
s'entouraient, comme lui, d'artistes. Jean Bandol venait de Bruges
à l'appel de Charles V. Le Livre d'Heures du duc de Berry, grand col-
lectionneur d'enluminures, avait été couvert de petits tableaux admi-
rables par Paul de Limbourg, le premier parmi les Flamands à sentir
sa fraternité avec le sol que nous bêchons, avec l'air qui nous pénètre,
avec les animaux qui travaillent pour nous, le premier à s'emparer
de la poésie permanente de tous nos gestes et de tous les objets et
du murmure de l'été et du silence de la neige, le premier à faire pré-
voir que Breughel allait venir.
La peinture, dans le nord-ouest de l'Europe du moins, où les parois
des cathédrales envahies par les verrières ne permettaient pas, comme
en Italie, le développement de la fresque, est sortie du cœur même du
grand corps gothique par le manuscrit enluminé. Dès le vie siècle
en Irlande, le viie en Angleterre, les viiie et ixe en France, de la Loire
au Rhin où les influences antique et byzantine étaient entrées avec
l'architecture romane, les livres sacrés, missels, psautiers, évangé-
liaires, avaient commencé très discrètement d'abord, très timidement,
à se couvrir de figures en teintes plates gauches, raides, anémiées par
la règle monacale dont les Bénédictins du xe siècle allaient même
accentuer la rigueur. Quand vint l'Ecole de Paris, à l'heure où tout le
territoire arrosé par la Seine se couvrait d'ogives et de tours, l'inon-
dation de lumière qui envahit la nef des cathédrales illumina les
textes saints.
Alors, c'est un énorme chant de joie. Les moines ne gardent pas
mieux le monopole de la peinture que celui de l'image sculptée ou
de l'art de bâtir. Les laïcs s'emparent du livre qui, même quand il
reste sacré, concentre sa vie dans ses images. Naguère, elles osaient
à peine orner les majuscules, attirant les regards sur le texte à méditer.
Maintenant, elles prennent possession de pages entières et tous les
jours font reculer la marge qu'elles finiront par supprimer. Le vieux
fond d'or uniforme ne disparaît pas toujours — les bleus, les noirs,
les rouges, les verts y chantent avec tant de force ! — mais l'enlumi-
neur se réserve le droit de s'en servir à son gré. Il fait flamber son allé-
gresse. Patient, parce qu'heureux, il emploie parfois toute sa vie à
fleurir de ses radotages l'indestructible parchemin. Quand on ouvre
ces pesants volumes, qui, vus du dehors, semblent si ennuyeux, c'est
une éruption d'hymnes à la lumière, des apparitions brusques de
jardins et de ciels. Il faut regarder de bien près pour retrouver la douce
— 109 —