des femmes ne s'épuiseraient pas pour lui. Quand la mort
l'abattit au milieu des pampres, les deux pieds sur le sol,
le front dans la lumière qui mûrissait autour de lui tout ce
que touchaient ses regards, le peuple d'élèves qui l'environ-
nait, achevant ses tableaux, vivant de ses esquisses flam-
boyantes, ramassant ses croquis d'album pour en décorer
un palais, ne put que le dépouiller de son manteau et dénouer
ses poings encore pleins... L'Éden était mort avec lui.
III
Jordaens lui-même, le plus fort, le plus libre, ne put se
soustraire à son tout-puissant souvenir. Mais du moins
est-ce à la flamme même de Rubens qu'il éclaira son âme,
au lieu de ramasser ses os. Il fit entrer encore plus de soleil
dans la chair de ses grandes femmes, il fit courir plus de sang
sous leur épiderme, il les fit rayonner de plus de puissance
amoureuse, il découvrit en lui-même en regardant passer le
Dieu qui ouvrait sur la vie ses deux mains généreuses, des
poèmes rustiques qu'il avait à peine soupçonnés. Il vit des
faunes aux sabots crottés de boue s'asseoir dans les chau-
mières flamandes où pénétraient derrière eux les vaches et
les poules, et partager avec le paysan la grappe serrée et le
pain frotté d'ail. Il vit plus de lueurs liquides dans les yeux
des jeunes filles et plus de grâce furtive dans le sourire de
leur bouche. L'esprit du monde le traversa d'un large éclair.
Les autres se partagèrent l'univers de Rubens. Snyders
rassembla dans ses arches bibliques les bêtes éparses dans
les trois mille toiles du héros. Il ne retint de l'énorme spec-
tacle du monde où Rubens s'était enfoncé, des cieux, des
mers, des femmes nues, des bois vivants, des sources, des
prés, des palais de marbre et des chaumières qu'il avait
dissous dans le sang de ses veines pour les dérouler sur la
toile au choc de son cœur, que les poissonneries et les char<
— 36—
l'abattit au milieu des pampres, les deux pieds sur le sol,
le front dans la lumière qui mûrissait autour de lui tout ce
que touchaient ses regards, le peuple d'élèves qui l'environ-
nait, achevant ses tableaux, vivant de ses esquisses flam-
boyantes, ramassant ses croquis d'album pour en décorer
un palais, ne put que le dépouiller de son manteau et dénouer
ses poings encore pleins... L'Éden était mort avec lui.
III
Jordaens lui-même, le plus fort, le plus libre, ne put se
soustraire à son tout-puissant souvenir. Mais du moins
est-ce à la flamme même de Rubens qu'il éclaira son âme,
au lieu de ramasser ses os. Il fit entrer encore plus de soleil
dans la chair de ses grandes femmes, il fit courir plus de sang
sous leur épiderme, il les fit rayonner de plus de puissance
amoureuse, il découvrit en lui-même en regardant passer le
Dieu qui ouvrait sur la vie ses deux mains généreuses, des
poèmes rustiques qu'il avait à peine soupçonnés. Il vit des
faunes aux sabots crottés de boue s'asseoir dans les chau-
mières flamandes où pénétraient derrière eux les vaches et
les poules, et partager avec le paysan la grappe serrée et le
pain frotté d'ail. Il vit plus de lueurs liquides dans les yeux
des jeunes filles et plus de grâce furtive dans le sourire de
leur bouche. L'esprit du monde le traversa d'un large éclair.
Les autres se partagèrent l'univers de Rubens. Snyders
rassembla dans ses arches bibliques les bêtes éparses dans
les trois mille toiles du héros. Il ne retint de l'énorme spec-
tacle du monde où Rubens s'était enfoncé, des cieux, des
mers, des femmes nues, des bois vivants, des sources, des
prés, des palais de marbre et des chaumières qu'il avait
dissous dans le sang de ses veines pour les dérouler sur la
toile au choc de son cœur, que les poissonneries et les char<
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