ce sentiment d'impuissance mélancolique qui fait un drame
intellectuel de chacun de ses tableaux. Si Terborgh est un peu
plus âgé que lui, il meurt la même année et assiste comme lui
au drame des grandes guerres. Brekelenkam, Jan Steen,
Metsu, Pieter de Hooch, Vermeer de Delft sont à peu près
de son âge. Or, Jan Steen, le nez au vent, ne cesse pas de rire,
et quoi qu'on en ait dit, sans amertume. Les autres ne
quittent leurs intérieurs que les meubles vernis emplissent
de lumière blonde que pour aller regarder les bras frais de la
servante qui lave le seuil à grande eau, ou la voisine d'en
face qui fait de la dentelle derrière la clôture peinte et les
petits carreaux encadrés de châssis bleus. L'enrichissement
est venu, et le bien-être dans les petites maisons propres où
le luxe intime s'organise égoïstement. Jan Steen est le seul
à trouver qu'on a assez fait le ménage, lu la correspondance
amoureuse ou commerciale, vécu dans l'intimité de la
famille, assez fumé tout seul sa pipe, assez filé la quenouille
au coin du feu, assez bercé l'enfant qui pleure. Il introduit
chez lui des gens qui boivent, qui chantent, cassent la vais-
selle et se soulagent dans les coins. Et ce n'est pas assez, s'il
faut en croire la légende. Il se fait cabaretier. Il aide les
gaillardes que les ivrognes suivent dans l'escalier de la cave
et les gars trop pressés dans l'escalier de l'étage, à dresser
des tables boiteuses où la ripaille ingénue va mettre vite à
leur aise ses clients. Il braille, il s'enivre avec eux, il joue avec
eux aux dés, aux cartes, il est leur ami, il installe devant la
porte des tréteaux pour les ménestrels qui soufflent dans les
cornemuses, tapent sur des tambours et raclent du violon.
Il ne manque pas d'accourir quand l'arracheur de dents, la
face tendue, fouille avec des pinces énormes la bouche d'un
pauvre diable qui hurle et trépigne à la grande joie des
commères et des enfants.
Ce moraliste est probablement un arsouille. Mais il ne
perd jamais la tête et voit ce que les autres ne voient pas. Il
assiste comme par hasard aux comédies conjugales, il sait
bien mieux que l'alguazil tomber sur deux donzelles qui
retournent les poches de leur client ivre-mort. Et le coupeur
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intellectuel de chacun de ses tableaux. Si Terborgh est un peu
plus âgé que lui, il meurt la même année et assiste comme lui
au drame des grandes guerres. Brekelenkam, Jan Steen,
Metsu, Pieter de Hooch, Vermeer de Delft sont à peu près
de son âge. Or, Jan Steen, le nez au vent, ne cesse pas de rire,
et quoi qu'on en ait dit, sans amertume. Les autres ne
quittent leurs intérieurs que les meubles vernis emplissent
de lumière blonde que pour aller regarder les bras frais de la
servante qui lave le seuil à grande eau, ou la voisine d'en
face qui fait de la dentelle derrière la clôture peinte et les
petits carreaux encadrés de châssis bleus. L'enrichissement
est venu, et le bien-être dans les petites maisons propres où
le luxe intime s'organise égoïstement. Jan Steen est le seul
à trouver qu'on a assez fait le ménage, lu la correspondance
amoureuse ou commerciale, vécu dans l'intimité de la
famille, assez fumé tout seul sa pipe, assez filé la quenouille
au coin du feu, assez bercé l'enfant qui pleure. Il introduit
chez lui des gens qui boivent, qui chantent, cassent la vais-
selle et se soulagent dans les coins. Et ce n'est pas assez, s'il
faut en croire la légende. Il se fait cabaretier. Il aide les
gaillardes que les ivrognes suivent dans l'escalier de la cave
et les gars trop pressés dans l'escalier de l'étage, à dresser
des tables boiteuses où la ripaille ingénue va mettre vite à
leur aise ses clients. Il braille, il s'enivre avec eux, il joue avec
eux aux dés, aux cartes, il est leur ami, il installe devant la
porte des tréteaux pour les ménestrels qui soufflent dans les
cornemuses, tapent sur des tambours et raclent du violon.
Il ne manque pas d'accourir quand l'arracheur de dents, la
face tendue, fouille avec des pinces énormes la bouche d'un
pauvre diable qui hurle et trépigne à la grande joie des
commères et des enfants.
Ce moraliste est probablement un arsouille. Mais il ne
perd jamais la tête et voit ce que les autres ne voient pas. Il
assiste comme par hasard aux comédies conjugales, il sait
bien mieux que l'alguazil tomber sur deux donzelles qui
retournent les poches de leur client ivre-mort. Et le coupeur
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