La double action de la monarchie et du cartésianisme vint
combattre à temps cette individuation progressive par la
centralisation sur le terrain politique et la méthode sur le
terrain spéculatif. Elle allait retarder la dissociation défini-
tive en substituant à la mystique collective abolie une cons-
truction intellectuelle ingénieuse mais peu durable, la raison
devant trop vite aboutir au rationalisme, comme la foi, en
d'autres temps, aboutit au dogmatisme. Malgré tout, le frein
fonctionna avec une puissance unique dans l'histoire de l'es-
prit. Après le roman, après le gothique, vint un troisième
ordre complet (i). Les pilastres nus alternant régulièrement
avec les fenêtres rectangulaires, les verticales et les horizon-
tales ramenant, par leur jeu rythmique et mesuré, l'édifice
civil à l'échelle de l'intelligence, substituèrent pendant près
de deux siècles, pour la joie de la raison pratique, les déduc-
tions rectilignes de la plus haute culture aux axiomes symé-
triques de la plus haute théologie et aux intuitions rayon-
nantes du plus haut équilibre qui fut jamais entre la ferveur
populaire et le système social. Les jardins, les routes, les
ponts, la tragédie, la comédie, la musique, la morale, la
sculpture, la peinture, tout obéit en même temps à ce besoin
de subordination des sensibilités et des passions aux cadences
de la volonté. Je ne sais quel demi-anonymat y règne, pour
donner à ce temps un peu du caractère de ceux où l'individu
est complètement effacé. Les statues des allées, des bassins
de Versailles, les colonnades, les arbres, les architectures
d'eau paraissent, au premier abord, être de la même main.
Une unité froide, mais sévère et magnanime, et dont les
éléments manquent de saillies et d'accents, contraint à ne
pas distinguer ces éléments de l'ensemble, à ne pas songer
qu'ils puissent exprimer les aspirations, les inquiétudes, les
tourments d'un seul esprit. On retrouve dans l'alexandrin,
les trois unités, l'organisation bureaucratique entière, les aca-
démies, l'école de Rome, la même impersonnalité. Si l'ar-
chitecture ecclésiastique repousse le calvinisme, le jansé-
nisme représente, au sein de l'Église, une réaction morale
(i) Art Moderne, pp. 100 et 149.
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combattre à temps cette individuation progressive par la
centralisation sur le terrain politique et la méthode sur le
terrain spéculatif. Elle allait retarder la dissociation défini-
tive en substituant à la mystique collective abolie une cons-
truction intellectuelle ingénieuse mais peu durable, la raison
devant trop vite aboutir au rationalisme, comme la foi, en
d'autres temps, aboutit au dogmatisme. Malgré tout, le frein
fonctionna avec une puissance unique dans l'histoire de l'es-
prit. Après le roman, après le gothique, vint un troisième
ordre complet (i). Les pilastres nus alternant régulièrement
avec les fenêtres rectangulaires, les verticales et les horizon-
tales ramenant, par leur jeu rythmique et mesuré, l'édifice
civil à l'échelle de l'intelligence, substituèrent pendant près
de deux siècles, pour la joie de la raison pratique, les déduc-
tions rectilignes de la plus haute culture aux axiomes symé-
triques de la plus haute théologie et aux intuitions rayon-
nantes du plus haut équilibre qui fut jamais entre la ferveur
populaire et le système social. Les jardins, les routes, les
ponts, la tragédie, la comédie, la musique, la morale, la
sculpture, la peinture, tout obéit en même temps à ce besoin
de subordination des sensibilités et des passions aux cadences
de la volonté. Je ne sais quel demi-anonymat y règne, pour
donner à ce temps un peu du caractère de ceux où l'individu
est complètement effacé. Les statues des allées, des bassins
de Versailles, les colonnades, les arbres, les architectures
d'eau paraissent, au premier abord, être de la même main.
Une unité froide, mais sévère et magnanime, et dont les
éléments manquent de saillies et d'accents, contraint à ne
pas distinguer ces éléments de l'ensemble, à ne pas songer
qu'ils puissent exprimer les aspirations, les inquiétudes, les
tourments d'un seul esprit. On retrouve dans l'alexandrin,
les trois unités, l'organisation bureaucratique entière, les aca-
démies, l'école de Rome, la même impersonnalité. Si l'ar-
chitecture ecclésiastique repousse le calvinisme, le jansé-
nisme représente, au sein de l'Église, une réaction morale
(i) Art Moderne, pp. 100 et 149.
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