aspect de monstres vivants, aux constructions des ingénieurs
de Rome? Comme elles utilitaires et seulement utilitaires,
ne nous offrent-ils pas comme elles l'abri géométrique où
nous pouvons goûter l'ivresse d'une réalité — et peut-être
d'une croyance — en devenir?
Ce n'est pas tout à fait aux mêmes causes que l'architec-
ture française classique a dû son apparition. Si le mythe
social, ébranlé par la Renaissance, avait perdu l'ingénuité
ardente d'où sortit l'art ogival, la monarchie réalisée main-
tenait dans les institutions politiques et religieuses un équi-
libre suffisant pour empêcher l'individu d'échapper à leur
emprise. Le génie de la France est d'abord architectural.
Elle tend à le transporter aussi bien dans sa peinture, sa
philosophie, sa littérature, que dans ses édifices et ses jardins.
Elle l'introduit dans la politique par son souci constant de
réaliser l'État. Elle a tenté, par sa résistance au protestan-
tisme, de le maintenir dans la religion. En même temps que
Descartes, et à l'heure où la polyphonie plastique vénitienne
prenait son droit de cité en Europe par Rubens, par Rem-
brandt, par Vélasquez, Poussin (i) négligeait un peu ses
ressources pour transporter dans la peinture des rythmes
monumentaux. Depuis cent cinquante ans, la France, égarée
par la brusque entrée de l'Italie, était à la recherche de cette
faculté puissante qui lui avait permis d'écrire, durant près
de quatre siècles, le poème de pierre le plus soutenu de
l'Occident. Elle avait essayé d'une architecture hybride, où
l'anémie profuse du décor gothique noyait le profil italien
déjà bien compromis lui-même par la poussée d'individua-
lisme qui substituait dans la péninsule à la même époque la
grande peinture symphonique à la simplicité tranchante de
la construction. Elle n'avait pas encore assimilé, ni même
vraiment regardé cette grande peinture, gardant par ses
corporations et ses luttes religieuses assez d'élan et de pas-
sion sociale pour conserver le désir angoissé de l'architecture,
mais possédant déjà des individus assez définis pour l'em-
pêcher d'aboutir.
(i) Fig. 82.
— 45 œ
de Rome? Comme elles utilitaires et seulement utilitaires,
ne nous offrent-ils pas comme elles l'abri géométrique où
nous pouvons goûter l'ivresse d'une réalité — et peut-être
d'une croyance — en devenir?
Ce n'est pas tout à fait aux mêmes causes que l'architec-
ture française classique a dû son apparition. Si le mythe
social, ébranlé par la Renaissance, avait perdu l'ingénuité
ardente d'où sortit l'art ogival, la monarchie réalisée main-
tenait dans les institutions politiques et religieuses un équi-
libre suffisant pour empêcher l'individu d'échapper à leur
emprise. Le génie de la France est d'abord architectural.
Elle tend à le transporter aussi bien dans sa peinture, sa
philosophie, sa littérature, que dans ses édifices et ses jardins.
Elle l'introduit dans la politique par son souci constant de
réaliser l'État. Elle a tenté, par sa résistance au protestan-
tisme, de le maintenir dans la religion. En même temps que
Descartes, et à l'heure où la polyphonie plastique vénitienne
prenait son droit de cité en Europe par Rubens, par Rem-
brandt, par Vélasquez, Poussin (i) négligeait un peu ses
ressources pour transporter dans la peinture des rythmes
monumentaux. Depuis cent cinquante ans, la France, égarée
par la brusque entrée de l'Italie, était à la recherche de cette
faculté puissante qui lui avait permis d'écrire, durant près
de quatre siècles, le poème de pierre le plus soutenu de
l'Occident. Elle avait essayé d'une architecture hybride, où
l'anémie profuse du décor gothique noyait le profil italien
déjà bien compromis lui-même par la poussée d'individua-
lisme qui substituait dans la péninsule à la même époque la
grande peinture symphonique à la simplicité tranchante de
la construction. Elle n'avait pas encore assimilé, ni même
vraiment regardé cette grande peinture, gardant par ses
corporations et ses luttes religieuses assez d'élan et de pas-
sion sociale pour conserver le désir angoissé de l'architecture,
mais possédant déjà des individus assez définis pour l'em-
pêcher d'aboutir.
(i) Fig. 82.
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