II
Et cependant, si l'on pénètre plus profond dans ce mys-
tère esthétique, bien des faits viennent au-devant de l'inves-
tigation inquiète pour s'opposer à cette conception simpliste
qui lie le développement de l'art au développement de la foi
et affirme sans hésiter que l'art ne se développe pas ou
languit ou tombe dès que manque ou oscille ou défaille la
foi. L'art hellénique à son déclin, l'art hellénistique à peu
près entier, même et peut-être surtout dans leurs manifes-
tations les plus saisissantes, belles déesses nues qui ne sont
plus que des femmes (i), statuettes innombrables de courti-
sanes et de mondaines, portraits tourmentés de poètes ou
de penseurs, danses sur la vendange, ne sont qu'un passage
sensuel, plein de regrets et de promesses, entre l'unité du
paganisme à l'agonie et le pressentiment d'une mystique
nouvelle qui ne se formule nulle part. Pendant trois ou
quatre siècles, dans cet art nerveux, inquiet, souvent éro-
tique qui fleurit sur tous les rivages de la Méditerranée, il
est à peu près impossible de relever une trace quelconque
du sentiment religieux. Même phénomène au moment de la
seconde Renaissance, quand l'Italie a vaincu, avec Vinci et
l'école romaine, l'équivoque platonicienne qui tenta, au
xve siècle, de retenir le christianisme dans une forme mor-
bide que son caractère mystico-sensuel allait, au contraire,
entraîner hors du christianisme, pour lancer le monde mo-
derne sur des chemins inexplorés. Venise peuple indiffé-
remment les palais et les églises des formes les plus magni-
fiques qu'ait réalisées la peinture dans l'échange mutuel,
enchevêtré et continu, des colorations et des reflets où les
eaux, les terres, les cieux, leurs multitudes animales et
végétales, apportent la plus puissante de ses voix au chœur
(i) Fig. 107.
— 248 —
Et cependant, si l'on pénètre plus profond dans ce mys-
tère esthétique, bien des faits viennent au-devant de l'inves-
tigation inquiète pour s'opposer à cette conception simpliste
qui lie le développement de l'art au développement de la foi
et affirme sans hésiter que l'art ne se développe pas ou
languit ou tombe dès que manque ou oscille ou défaille la
foi. L'art hellénique à son déclin, l'art hellénistique à peu
près entier, même et peut-être surtout dans leurs manifes-
tations les plus saisissantes, belles déesses nues qui ne sont
plus que des femmes (i), statuettes innombrables de courti-
sanes et de mondaines, portraits tourmentés de poètes ou
de penseurs, danses sur la vendange, ne sont qu'un passage
sensuel, plein de regrets et de promesses, entre l'unité du
paganisme à l'agonie et le pressentiment d'une mystique
nouvelle qui ne se formule nulle part. Pendant trois ou
quatre siècles, dans cet art nerveux, inquiet, souvent éro-
tique qui fleurit sur tous les rivages de la Méditerranée, il
est à peu près impossible de relever une trace quelconque
du sentiment religieux. Même phénomène au moment de la
seconde Renaissance, quand l'Italie a vaincu, avec Vinci et
l'école romaine, l'équivoque platonicienne qui tenta, au
xve siècle, de retenir le christianisme dans une forme mor-
bide que son caractère mystico-sensuel allait, au contraire,
entraîner hors du christianisme, pour lancer le monde mo-
derne sur des chemins inexplorés. Venise peuple indiffé-
remment les palais et les églises des formes les plus magni-
fiques qu'ait réalisées la peinture dans l'échange mutuel,
enchevêtré et continu, des colorations et des reflets où les
eaux, les terres, les cieux, leurs multitudes animales et
végétales, apportent la plus puissante de ses voix au chœur
(i) Fig. 107.
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