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https://doi.org/10.11588/diglit.71100#0366
et fait ruisseler d'elle des fleuves de félicité. A tout instant,
une force en eux en dépassait et en brisait une autre et le
formidable édifice n'élevait qu'en chancelant et en croulant
par place ses tours spirituelles et ses bannières sans cesse
agitées par l'orage où le destin dramatique de l'humanité
monte et frémit avec l'orgueil de se savoir sans espérance et
cependant nécessaire à sa propre consolation. La grandeur
de l'homme est précisément dans cet orgueil invulnérable
qui le pousse vers un sommet par bonheur inaccessible et
lui procure l'ivresse de l'âme assurée de vaincre, mais dont
la victoire n'a pas encore apporté avec elle la lassitude du
combat.
IV
L'homme, pourtant, n'est pas cruel. Mais il ne parvient
à la hauteur de ses plus nobles ressources qu'en obéissant
aux forces obscures qui l'obligent sans cesse à exercer un
contrôle inexorable vis-à-vis de sa paresse naturelle et de
la fausse sécurité qu'éprouvent ses semblables à demeurer
dans l'ornière creusée par ceux qui ont vécu. L'amour, l'art,
la science, l'idée, l'action, la civilisation, ce sont ces idoles-là
qui fouaillent et tourmentent l'homme, et non l'homme. La
cruauté des dieux s'exerce dans la nécessité perpétuelle
d'effort qu'ils infligent à son esprit. De ce que les Noirs,
par exemple, sont frappés de mort quand les Blancs arrivent,
cela ne veut point dire que les Blancs tiennent à tuer systé-
matiquement les Noirs. Cela veut dire qu'un mode de civi-
lisation a perdu la force de résister à un autre, à ses coutumes,
à ses travaux, à sa morale, à ses poisons, parce que toutes
ses puissances de lutte, de résistance et d'expansion ont été
dirigées dans un autre sens, et employées en d'autres cir-
constances. Quand un poète hindou accuse la brutalité de
l'Européen, sa fureur de guerre et de destruction extérieures,
a-t-il suffisamment médité sur la fureur de guerre et de
destruction intérieures de sa propre race — cette redoutable
— 296 —
une force en eux en dépassait et en brisait une autre et le
formidable édifice n'élevait qu'en chancelant et en croulant
par place ses tours spirituelles et ses bannières sans cesse
agitées par l'orage où le destin dramatique de l'humanité
monte et frémit avec l'orgueil de se savoir sans espérance et
cependant nécessaire à sa propre consolation. La grandeur
de l'homme est précisément dans cet orgueil invulnérable
qui le pousse vers un sommet par bonheur inaccessible et
lui procure l'ivresse de l'âme assurée de vaincre, mais dont
la victoire n'a pas encore apporté avec elle la lassitude du
combat.
IV
L'homme, pourtant, n'est pas cruel. Mais il ne parvient
à la hauteur de ses plus nobles ressources qu'en obéissant
aux forces obscures qui l'obligent sans cesse à exercer un
contrôle inexorable vis-à-vis de sa paresse naturelle et de
la fausse sécurité qu'éprouvent ses semblables à demeurer
dans l'ornière creusée par ceux qui ont vécu. L'amour, l'art,
la science, l'idée, l'action, la civilisation, ce sont ces idoles-là
qui fouaillent et tourmentent l'homme, et non l'homme. La
cruauté des dieux s'exerce dans la nécessité perpétuelle
d'effort qu'ils infligent à son esprit. De ce que les Noirs,
par exemple, sont frappés de mort quand les Blancs arrivent,
cela ne veut point dire que les Blancs tiennent à tuer systé-
matiquement les Noirs. Cela veut dire qu'un mode de civi-
lisation a perdu la force de résister à un autre, à ses coutumes,
à ses travaux, à sa morale, à ses poisons, parce que toutes
ses puissances de lutte, de résistance et d'expansion ont été
dirigées dans un autre sens, et employées en d'autres cir-
constances. Quand un poète hindou accuse la brutalité de
l'Européen, sa fureur de guerre et de destruction extérieures,
a-t-il suffisamment médité sur la fureur de guerre et de
destruction intérieures de sa propre race — cette redoutable
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