sur sa route, ou, monstrueux phénomène, ne tente pas d'en
rencontrer : car certains peuples vis-à-vis de l'art comme
certains individus vis-à-vis de l'amour, gardent leur vie
durant le silence le plus morne. Comme l'amour, enfin, il
cherche et transfigure les formes les plus dissemblables qui
tour à tour n'obéissent et ne ressemblent qu'à sa propre
qualité.
L'art possède, devant la mort, la même attitude que
l'amour. Il a son inutilité et son importance terribles et cet
accent mêlé d'ivresse et d'épouvante qu'il prend dans le cœur
le plus haut. Ivresse que déchaîne en nous le pouvoir de
donner la vie en communion avec toutes ses énergies errantes,
mais qui ne dure dans les sens que l'espace d'une heure, dans
l'âme que l'espace de quelques années et que sature d'épou-
vante la conscience de sa fin. Ainsi que la croissance de
l'amour, la croissance de l'art est peut-être plus enivrante
que sa fugitive mais totale possession. Ainsi que la décrois-
sance de l'amour, la décroissance de l'art est peut-être plus
triste que n'est douloureuse sa totale mais fugitive posses-
sion. L'acte de création, en chair comme en esprit, est le
plus lyrique, et peut-être le seul vraiment lyrique de nos
actes, et cependant cet acte, en fin de compte, n'est fait que
pour nourrir la mort.
Il
C'est donc un jeu, comme l'ont dit les philosophes. Il
s'agit de danser sur le bord de l'abîme ou de le recouvrir de
fleurs. C'est un jeu qui, toute qualité mise à part, ramène
des êtres de la taille de Michel-Ange, ou de Shakespeare, ou
de Rembrandt, ou de Beethoven, à l'impulsion irrésistible
qui conduit le jeune enfant, comme le jeune animal, à gam-
bader, à bondir, à s'ébrouer dans les prés et la lumière, le
petit garçon à jouer aux barres, la petite fille à la poupée,
l'homme d'État à flatter les passions des peuples pour ouvrir
ou fermer la guerre, le soldat professionnel à la faire bien
— 289 —
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rencontrer : car certains peuples vis-à-vis de l'art comme
certains individus vis-à-vis de l'amour, gardent leur vie
durant le silence le plus morne. Comme l'amour, enfin, il
cherche et transfigure les formes les plus dissemblables qui
tour à tour n'obéissent et ne ressemblent qu'à sa propre
qualité.
L'art possède, devant la mort, la même attitude que
l'amour. Il a son inutilité et son importance terribles et cet
accent mêlé d'ivresse et d'épouvante qu'il prend dans le cœur
le plus haut. Ivresse que déchaîne en nous le pouvoir de
donner la vie en communion avec toutes ses énergies errantes,
mais qui ne dure dans les sens que l'espace d'une heure, dans
l'âme que l'espace de quelques années et que sature d'épou-
vante la conscience de sa fin. Ainsi que la croissance de
l'amour, la croissance de l'art est peut-être plus enivrante
que sa fugitive mais totale possession. Ainsi que la décrois-
sance de l'amour, la décroissance de l'art est peut-être plus
triste que n'est douloureuse sa totale mais fugitive posses-
sion. L'acte de création, en chair comme en esprit, est le
plus lyrique, et peut-être le seul vraiment lyrique de nos
actes, et cependant cet acte, en fin de compte, n'est fait que
pour nourrir la mort.
Il
C'est donc un jeu, comme l'ont dit les philosophes. Il
s'agit de danser sur le bord de l'abîme ou de le recouvrir de
fleurs. C'est un jeu qui, toute qualité mise à part, ramène
des êtres de la taille de Michel-Ange, ou de Shakespeare, ou
de Rembrandt, ou de Beethoven, à l'impulsion irrésistible
qui conduit le jeune enfant, comme le jeune animal, à gam-
bader, à bondir, à s'ébrouer dans les prés et la lumière, le
petit garçon à jouer aux barres, la petite fille à la poupée,
l'homme d'État à flatter les passions des peuples pour ouvrir
ou fermer la guerre, le soldat professionnel à la faire bien
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