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Galerie contemporaine, littéraire, artistique — 3. Année, 1 Semestre.1878

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1re Série
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Bracquemond
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https://doi.org/10.11588/diglit.55261#0056
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être avait-on créé exprès pour lui cette situation honorifique dans
laquelle il ne devait jamais avoir de rivaux ni de successeurs. En
attendant, il avait appris à monter à cheval, ce qui, on en con-
viendra, est d’une utilité absolue pour un aquafortiste. La révolu-
tion de 1848 trouva donc en Bracquemond un excellent cavalier.
« L’équitation, m’écrit l’artiste dans ses notes, ne me parais-
« saut pas une profession où le gain fût bien assuré ni bien
« rapide, et ma mère étant veuve avec cinq enfants, il fallut
« bien me pourvoir d’un métier moins hypothétique que celui-là !
« J’entrai chez un lithographe. » — Il travaillait là toute la
journée, apprenant la partie pratique de cette industrie et s’ini-
tiant aux mystères du grené-fondu. Le soir, il suivait les cours
de dessin de la rue de l’École-de-Médecine. A cette époque, un


bon génie mit sur son chemin un peintre nommé Joseph Gui-
chard, qui s’intéressa à ses tentatives. Un jour qu'il regardait les
essais du jeune apprenti :
— Mon cher ami, lui dit-il, un lithographe qui ne sait pas
dessiner dans la perfection n’est jamais qu’un ouvrier, et le pire
des ouvriers! celui qui se croit un artiste! Veux-tu être un artiste
ou un manœuvre ? Réponds.
La réponse ne pouvait pas être douteuse. —■ « Expliquez tout
« cela à ma mère, dit le jeune homme, et faites-lui comprendre
« la nécessité qu’il y a pour moi à savoir dessiner et même
« peindre. »
La mère de Bracquemond, brave couturière de son état, ne sut
pas trop ce que Joseph Guichard voulait lui dire. Elle ne remar-
qua que ceci : à savoir qu’elle s’était trompée dans le choix de la
profession qu’elle avait donnée à son garçon et que tout ce temps
était perdu pour lui. Quant à ce dessin, quant à cette peinture,
qui les lui enseignerait au prix qu’elle y pouvait mettre ? Per-
sonne, assurément.
— Qu’à cela ne tienne ! fit Guichard, j’en sais assez pour être
son maître, s’il veut venir à mon atelier.
Félix profita admirablement des leçons de son premier ami,
puisqu’en 1851 il était reçu au Salon avec un portrait de sa
grand-mère, dont Théophile Gautier écrivit que : « Cela ressem-
« blait à un Holbein ! » — Je connais ce portrait, œuvre de
début d’un jeune homme de dix-huit ans : il est, en art contem-
porain, le pendant de cet autre portrait de grand-père qui a
rendu célèbre le nom de M. Bastien Lepage. Cette bonne vieille
paysanne, coiffée de son bonnet tuyauté, les mains croisées sur
son paroissien et entourée de ses petits enfants, est d’une sincé-
rité émue et d’une précision de dessin déjà bien décisives. J’y
trouve tout Bracquemond en germe, avec sa force et son accent.
Au Salon suivant, le jeune artiste exposa son propre portrait,
debout, à mi-corps, et tenant à la main un flacon d’eau forte. Ce
portrait, qui semble peint par le Bronzino, tant il est de fière
tournure, a été supérieurement gravé par M. Rajon. Il obtint un

grand succès dans la presse et chez les artistes et il fonda la
réputation de Bracquemond.
Sous la blouse de l’aquafortiste, Bracquemond porte donc la
vareuse d’un excellent peintre, beaucoup trop modeste à mon
avis et qui s’est défié outre mesure de lui-même — ou du public.
Ses essais d’eau forte datent de cette époque, et le flacon du
portrait en fait foi. Son ami Joseph Guichard admirait beau-
coup les croquis à la plume qu’il exécutait pour se délier la
main *• il lui conseilla de s’exercer à manier la pointe. Mais il y
avait dans cet art nouveau pour lui un métier pratique dont il
ignorait les éléments. Un médecin fort amateur de belles pièces,
que Bracquemond connaissait, le docteur de Montègre, lui prêta
le tome de l’Encyclopédie où Diderot a traité de l’eau-forte : il
le lut avidement, et, dès 1849, il fit une première planche d’après
une gravure de Boissieu. Il mena ainsi de front, jusqu’en 1852,
cette double recherche, la peinture et l’eau-forte, mais sans
pouvoir en tirer des profits suffisants et réguliers. Un jour, on
lui proposa d’entrer dans un atelier de décorateurs. On venait de
construire, sur l’emplacement des bâtiments de la Douane, au
Château-d’Eau, une vaste salle de bal qu’il s’agissait d’orner du
haut en bas; l’occasion était bonne et elle offrait, en outre, à
Bracquemond l’avantage d’apprendre un métier d’art inconnu,
chose dont il a toujours été très-friand. Hélas! le pauvre garçon
était tombé là dans le monde de ces demi-artistes dont lui avait
tant parlé son ami Guichard. Certes, il avait dans son petit
doigt cent fois plus de talent que tous ces manouvriers de la
routine décorative, mais il ignorait le métier. « J’ai conservé de
« ce temps, me dit-il, le souvenir le plus pénible, car tous ces
« gens-là m’ont rendu la vie bien dure. » Mais au bout de quel
ques semaines il pouvait filer un nielle et tracer une moulure à
la règle comme le plus habile; il gagnait à peu près sa vie.
Entre temps, il lui arriva aussi cette chance de vendre des eaux-
fortes ! Ce fut une consolation pour lui dans ses ennuis et ses
déboires d’ornemaniste. Il faisait aussi quelques portraits, mais
à maigre commande : car, dans sa loyauté naïve de naturaliste,
Bracquemond ne savait pas flatter le modèle, unique secret de la
mode et du succès de ce genre, le plus beau de tous, mais le plus
gâté aussi par les faiseurs.
Cette vie inquiète, tourmentée, aux abois, dura longtemps,
usant l’homme, mais renforcissant l’artiste. Les planches de
Bracquemond faisaient lentement leur chemin dans le monde, et
les connaisseurs, très-frappés de leurs rares qualités de dessin,
de leur caractère et de leur vie d’art, s’étaient mis à les recher-
cher. Le Ministère d’Etat, sur le bruit qu’on en menait, com-
manda à l’artiste la gravure du portrait d’Erasme par Holbein. Le
choix était judicieux : il produisit un chef-d’œuvre. L'Erasme de
Bracquemond est une des pièces les plus courues et les plus
fameuses de son œuvre gravé, une épreuve du premier état
passe pour un objet introuvable et sans prix. Quelque temps
après l'Erasme, l’artiste fit aussi, pour la chalcographie du
Louvre, une gravure du Tournoi de Rubens, et il envoya ces
deux planches au Salon de l’année 1861. Elles furent refusées
par le jury!... Aussi, dire que Bracquemond aime les jurys, c'est
avancer que le chien est l’ami du chat !... Ses poils de barbe se
hérissent quand il en parle! Et, en cela, il a tort, comme je le
lui faisais remarquer : le jury est une institution admirable, qu’il
faudrait inventer, si elle n’existait pas ; car, soit qu’elle accepte,
soit qu’elle refuse, elle est à la réputation de l’artiste véritable
comme un caustique sur une jambe de bois! Je plaide et je plai-
derai toujours en faveur des jurys, à cause de leur triomphante
inutilité. Qui diable aujourd’hui se soucie de savoir si un chef-
d’œuvre a été ou n’a pas été admis à tel Salon ! Est-ce que le
talent est de nature administrative et procède par avancement ?
O Félix Bracquemond, pardonnez aux bons jurys sempiternels,
car de deux choses l’une : ou ils ne savent ce qu’ils font, — ou
 
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