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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5.1860

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Nr. 1
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Viollet-le-Duc, Eugène-Emmanuel: Deuxième apparition de Villard de Honnecourt à propos de la Renaissance des arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.16990#0036
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30

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

leurs statues, étaient l'œuvre de Jean ou de Pierre. Travaillant en commun
sous une exacte discipline (discipline imposée par l'intelligence), ils
croyaient que l'œuvre commune serait toujours comprise comme l'expres-
sion d'une grande pensée; que les efforts, non de l'artiste isolé, mais
d'un peuple d'artistes unis, seraient appréciés, et ne supposaient pas que
la plus médiocre statue italienne, parce qu'elle serait signée de quelque
méchant sculpteur, serait un jour préférée à leurs œuvres, uniquement à
cause de ce nom attaché à sa base. Des l'époque où j'étais à Rome, cet
amour aveugle de l'artiste isolé, pour son œuvre, perçait déjà parmi les
quelques malheureux tailleurs de marbre qui brisaient les plus beaux
morceaux de l'antiquité pour élever leurs tristes monuments. Tandis que
je ne pouvais me lasser d'admirer les thermes de Caracalla, encore entiers,
ou peu s'en faut, vers la fin du xme siècle, je me souviens, qu'un maçon
qui reconstruisait en grande partie la basilique de Saint-Jean-de-Latran,
venait de temps en temps prendre une colonne et son chapiteau dans
l'édifice des empereurs. En ma qualité de mort, je ne pouvais rien dire,
et eussé-je été vivant, qu'aurais-je pu faire? Mais le cœur me saignait.
A quelque temps de là, je vis ce drôle qui expliquait en termes pompeux,
à des étrangers ébahis, l'admirable effet de la nef de son église dont les
colonnades majestueuses effaçaient les plus belles œuvres de l'antiquité.
Voire ! ces colonnes, je les avais vu arracher une à une, et le maçon n'avait
eu qu'à les dresser et à les surmonter d'arcades en briques volées aussi,
mais mal posées, mal cintrées, et surmontées d'un grand vilain mur plat
percé de petites fenêtres, comme on en faisait chez nous dans les villages
au xie siècle. Rien n'est tel que se vanter soi-même, on s'y prend mieux
que ne peut le faire l'ami le plus sincère; ce moyen réussit toujours,
aujourd'hui comme de mon temps; or les artistes italiens se sont toujours
vantés outre mesure, on les a crus et on les croit encore sur parole;
c'est bien fait, cela nous prouve que nous étions des sots de nous fier à
notre art plutôt qu'à nous-mêmes, à moins que l'heure de la justice ne
sonne quelque jour, ce dont, en bon chrétien, je ne désespère pas. Ne
croyez pas que je plaisante. Supposez, par exemple, que sous quelques-
unes des trente et une statues colossales qui décorent les ébrasements
des trois portes principales de Notre-Dame de Reims (statues parmi
lesquelles on peut largement en compter vingt comme très-bonnes) ;
supposez, dis-je, qu'on ait écrit quelques noms : Jean Aubry, Jacques
Champier, et qu'on se soit plu à raconter à tout visiteur, depuis le
xine siècle, que les statues de Jean Aubry et de Jacques Champier, ont
paru si belles, si merveilleuses lorsqu'elles sortirent de l'atelier, que le
peuple de Reims voulut les transporter jusqu'à la cathédrale, en les entou-
 
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