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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 24.1868

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Mantz, Paul: Salons de T. Thoré: avec une préface par M. W. Bürger
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https://doi.org/10.11588/diglit.19885#0414
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SALONS DE T. THORÉ.

l'école grandissante, il croyait à Delacroix insulté, à Decamps méconnu, à Rousseau
proscrit. De pareilles audaces peuvent aujourd'hui paraître toutes naturelles; mais
elles étaient alors parfaitement excentriques. Gomme il arrive souvent, l'hérésie est
devenue la vérité; et M. Biïrger n'exagère pas lorsque, dans l'introduction qu'il a mise
en tête du livre de son ami, il écrit que « sur le talent des artistes et sur leur valeur
relative T. Thoré eut presque toujours raison. »

M. Biirger ne réimprime pas tous les Salons de Thoré. Il a négligé, et évidemment
il a eu tort, ceux qui parurent de 1833 à -1843 dans la Revue de Paris, dans Y Artiste
et dans quelques journaux introuvables aujourd'hui, tels que le Réformateur et le Jour-
nal du peuple. Nous regrettons cette lacune; nous aurions aimé à étudier Thoré dans
« sa première manière». M. Biirger ne nous fait connaître que la seconde, car il ne
publie que les Salons de -1844, '1845, -1846 et 1847, primitivement imprimés dans le
Constitutionnel ; il y a ajouté quelques pages sur le Salon de 1848, que les agitations du
temps ne nous avaient pas permis de lire alors. Quant aux quatre premiers Salons, ils
avaient, comme on sait, paru en petites brochures; tout critique un peu bien situé les
possède, et, en ce qui nous touche, nous y avons plus d'une fois cherché des armes
pour combattre les revenants académiques.

Les années que nous venons de dire sont déjà bien oin de nous. C'était le bon
temps pour tous ceux que, dans un langage où manque la grâce, on a appelés des
salonniers. Eugène Delacroix, Ary Scheffer, Decamps, Horace Vernel, Hippolyte
Flandrin, Marilhat, Ziégler, Chassériau, Troyon, Louis Boulanger, Camille Roqueplan,
David d'Angers, Rude, Pradier, étaient sur la brèche. Ingres et Paul Delaroche avaient
cessé d'exposer, mais, absents, ils faisaient parler d'eux, comme Théodore Rousseau,
qui était hors la loi et qui n'en paraissait que plus grand. C'était le temps aussi où
Barye, Meissonier, Diaz, Paul Huet, Robert Fleury, Cabat, Corot, Jadin, avaient quel-
que vingt ans de moins, où Couture débutait avec Gérome, où J.-F. Millet, le grand
rustique, exposait « une petite esquisse dans le sentiment de Boucher. » A côté de ces
maîtres, qui constituaient l'école de l'avenir, apparaissaient sous un rayon déjà mélan-
colique les représentants de l'école condamnée, car les expositions ressemblent à la
vie : elles mêlent volontiers ce qui vient à ce qui s'en va.

Des Salons d'un aspect aussi bigarré appelaient sous la plume du critique l'admi-
ration, la colère, l'ironie; la bataille romantique durait encore, et ce n'était pas assez
d'éclaircir les rangs de l'ennemi, il fallait ensevelir gaiement les morts. Thoré était
tout à fait l'homme de ces combats et de ces funérailles. 11 fut sans pitié pour Bidault,
l'innocence de Watelet ne le désarma point, Picot lui-même le laissa froid. Pardonnons-
lui ces spirituelles cruautés, parce qu'il n'a pas voulu s'incliner devant l'art factice,
devant la peinture ennuyeuse, et parce que, plein d'un enthousiasme éclairé, guidé
par une sorte de divination, il a beaucoup aimé les vrais maîtres.

On se tromperait d'ailleurs étrangement, si l'on croyait ne trouver que de la polé-
mique dans les Salons de Thoré. Aux légitimes récriminations que lui inspirent les
sévérités du jury, aux dédains qu'il professe pour les médiocrités ambitieuses, le cri-
tique, faisant à chacun sa part, ajoute l'applaudissement chaleureux ou la parole encou-
rageante pour tous les artistes qui luttent, pour tous ceux qui disent quelque chose
avec un accent personnel et sincère. L'occasion d'admirer était fréquente alors, et, à
l'entendre parler de certains maîtres, on voit que ce farouche Thoré était plein d'en-
thousiasme et de jeunesse; il avait même la note tendre. « Le commencement de toutes
choses, écrit-il, c'est l'amour. » Et il a au plus haut degré l'amour de la nature. Toutes
xxiv. 'il
 
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