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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 10.1874

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Nr. 2
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Mantz, Paul: Exposition en faveur de l'œuvre des Alsaciens et Lorrains, [1]: peinture
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https://doi.org/10.11588/diglit.21839#0121
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114

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Voici Fragonard avec sa fièvre et son délire. Le voici encore dans sa
manière sage et pseudo-hollandaise. Il a toutes les notes, mais les ivresses
de son pinceau valent mieux que ses compositions raisonnables. La Lettre,
qu’on a vue à la vente du marquis de la Rocheb..., et qui a été gravée
par Le Rat, appartient à M. le comte de la Béraudière; la charmante scène
de famille, Cache-cache, est à M. Wilson. M. Lavalard a aussi une petite
esquisse de Frago, Henri IV et Gahrielle. Les deux amants sont dans un
bocage et ils se disent à l’oreille les choses les plus tendres du monde.
Fragonard est impayable quand il fait de l’histoire : j’ose qualifier de
carnavalesque la manière dont il comprend le xvie siècle. Son Henri IV,
d’une fantaisie follement amusante, aurait bien étonné François Porbus
et les sérieux portraitistes de son temps. « Le jeune Flayonard, écrivait
JNatoire en 1758, a un peu de peine... à donner le vray caractère des airs
de teste. » Il copiait alors un Pietre de Cortone, et déjà il était fantasque.
« Ces jeunes cervelles ne sont pas aisées à conduire, » disait encore le
paternel directeur de l’Académie.

L’homme grave, en cette époque affolée, c’est Chardin. L’honnête
esprit! la grande âme d’enfant! Il met sur une table une bouteille, un
couteau, un gobelet d’argent et quelques cerises, et il s’émeut à ce
spectacle, et il copie avec une naïveté savante les tons, les formes, les
reflets. Ces tableaux de « nature morte » sont des merveilles, et nous ne
nous lassons pas d’étudier les excellents exemplaires envoyés à l’Exposi-
tion par M. Eudoxe Marcille et par M. Burty. C’est ici que le sieur Félibien
trouverait encore l’occasion d’irriter Pymandre : si les personnes « peu
connoissantes » peuvent seules s’intéresser aux paysanneries de Lenain,
combien il sera abandonné du ciel et des hommes celui qui s’arrêtera à
regarder un pauvre lapin accroché par la patte ! Nous y prenons, quant
à nous, un plaisir extrême. Mais nous permettons fort bien à Chardin de
mêler à sa nature morte un peu de nature vivante, et la Fontaine, qui
appartient à M. E. Marcille et dont nous donnons la gravure, nous paraît,
à tous les points de vue, un maître tableau. C’est l’œuvre d’une main
ferme et d’un coloriste aussi délicat que robuste. Décidément nous n’ai-
mons pas assez Chardin. Et dire qu’il y a cinquante ans, au triste moment
des Endymion et des Bélisaire, ces choses exquises se vendaient péni-
blement deux louis! O style ! que de crimes on a commis en ton nom !

PAUL MANTZ.

(La suite prochainement.)
 
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