JOURNAL
D U
VOYAGE DU CAVALIER B E R NIN 1
EN FRANCE
PAR M. DE CHANTELOU
MANUSCKl-T INÉDIT PUBLIÉ ET ANNOTÉ PAR M. LUDOVIC LALANNE
e vingt et unième juillet, il a travaillé tout le jour au
buste du Roi.
Le vingt-deuxième, M. le marquis de Bellefonds a
envoyé le matin chez le Cavalier savoir si j’y étais et dire
qu’il allait venir. Il est venu dans la salle ouest le buste.
Le considérant, il a dit qu’il eût désiré qu’il y eût fait
des cheveux sur le front. Je lui ai dit que le front était
une des parties principales de la tête et servait le plus à la physionomie de
l’homme, il était bien qu’on le vît, et que le Roi ayant le front fort beau, il
ne fallait pas tout le couvrir, outre qu’il ne porterait pas toujours les cheveux
de la sorte qu’il fait à présent. 11 a répondu que, quand le Roi n’en aurait plus
la quantité qu’il a à présent, S. M. porterait la perruque. Le Cavalier a pris la
parole et a dit que les sculpteurs n’avaient pas l’avantage qu’ont les peintres
qui, par les différentes couleurs, font voir les choses à travers les unes des
autres, et peuvent couvrir un front de cheveux, sans qu’ils empêchent que l’on
ne le voie, ce que les sculpteurs ne pourraient faire; qu’il fallait obéir à la
nécessité de chaque art. M. le Nonce et l’abbé Butti étant survenus, j’ai été chez
M. Colbert que j’avais su être arrivé de Saint-Germain. J’y ai attendu une
heure avec diverses personnes, entre autres MM. Le Brun et Le Vau. Descen-
dant de la bibliothèque, M. Colbert s’est avancé vers moi, et m’a demandé
si j’avais quelque chose à lui dire. Je lui ai répondu que non. Alors il m’a
dit qu’il allait incontinent chez le Cavalier où je suis retourné, et l’ai trouvé
dînant, et lui ai dit ce que je venais d’apprendre de M. Colbert. Il l’a
attendu, sans se reposer à son ordinaire; mais il n’y est point venu.
Sur les quatre heures, nous avons été chez M. Mignard qui a montré au
Cavalier divers ouvrages de lui et, entre autres, un dessin où il a peint le
dessin qu’il avait fait pour l’autel du Val-de-Grâce. Il l’a considéré longtemps,
'1. Voir Gazette des Beaux-Arts, t. XV, 2e période, p. 181, 305 et 501.
D U
VOYAGE DU CAVALIER B E R NIN 1
EN FRANCE
PAR M. DE CHANTELOU
MANUSCKl-T INÉDIT PUBLIÉ ET ANNOTÉ PAR M. LUDOVIC LALANNE
e vingt et unième juillet, il a travaillé tout le jour au
buste du Roi.
Le vingt-deuxième, M. le marquis de Bellefonds a
envoyé le matin chez le Cavalier savoir si j’y étais et dire
qu’il allait venir. Il est venu dans la salle ouest le buste.
Le considérant, il a dit qu’il eût désiré qu’il y eût fait
des cheveux sur le front. Je lui ai dit que le front était
une des parties principales de la tête et servait le plus à la physionomie de
l’homme, il était bien qu’on le vît, et que le Roi ayant le front fort beau, il
ne fallait pas tout le couvrir, outre qu’il ne porterait pas toujours les cheveux
de la sorte qu’il fait à présent. 11 a répondu que, quand le Roi n’en aurait plus
la quantité qu’il a à présent, S. M. porterait la perruque. Le Cavalier a pris la
parole et a dit que les sculpteurs n’avaient pas l’avantage qu’ont les peintres
qui, par les différentes couleurs, font voir les choses à travers les unes des
autres, et peuvent couvrir un front de cheveux, sans qu’ils empêchent que l’on
ne le voie, ce que les sculpteurs ne pourraient faire; qu’il fallait obéir à la
nécessité de chaque art. M. le Nonce et l’abbé Butti étant survenus, j’ai été chez
M. Colbert que j’avais su être arrivé de Saint-Germain. J’y ai attendu une
heure avec diverses personnes, entre autres MM. Le Brun et Le Vau. Descen-
dant de la bibliothèque, M. Colbert s’est avancé vers moi, et m’a demandé
si j’avais quelque chose à lui dire. Je lui ai répondu que non. Alors il m’a
dit qu’il allait incontinent chez le Cavalier où je suis retourné, et l’ai trouvé
dînant, et lui ai dit ce que je venais d’apprendre de M. Colbert. Il l’a
attendu, sans se reposer à son ordinaire; mais il n’y est point venu.
Sur les quatre heures, nous avons été chez M. Mignard qui a montré au
Cavalier divers ouvrages de lui et, entre autres, un dessin où il a peint le
dessin qu’il avait fait pour l’autel du Val-de-Grâce. Il l’a considéré longtemps,
'1. Voir Gazette des Beaux-Arts, t. XV, 2e période, p. 181, 305 et 501.