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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 17.1878

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Nr. 2
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Lemonnier, Camille: Alfred Stevens, [1]: les artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.22837#0190
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172 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

die, le prédicateur à la mode, la toilette qui fait fureur, ont fait chanter
toute une heure les merles et les rossignols de leur gosier ; et tout en
causant, elles ont immolé une vingtaine d'amies de l'air dont on tresse
des guirlandes aux rosières. La Rentrée du monde est une autre mer-
veille ; Musset revit dans cette héroïne enflammée. Puis un contraste
imprévu, un pur Memling, une vierge dans une vapeur d'aurore, le Prin-
temps1 : c'est la strophe d'or des illusions; des bouches invisibles sou-
pirent autour de l'enfant des mots d'amour et d'éternité; le ciel se lame
d'argent pour la parer; le gazon s'émaille de fleurs pour lui sourire; et
un ange, l'ange gardien des jeunes filles, laisse tomber sur elle une larme
de rosée, pensant au jour des déceptions prochaines. Le Peintre et son
modèle (collection Crabbe, de Bruxelles), le représentait lui-même, assis
sur un coin de divan et roulant dans ses doigts sa cigarette, tandis
qu'une femme en jaune, portant dans ses cheveux, comme un diadème,
le rouge-feu des filles de Yéronèse, essaie devant lui le mécanisme
savant des poses. Quelle victorieuse réponse encore à ceux qui l'accu-
saient de ne pas savoir peindre l'homme !

J'arrive enfin à ses deux derniers envois, le Bain et la Japonaise :
ce fut la révélation d'une manière nouvelle. Sa palette s'était argentée de
gris vaporeux, ou plutôt il avait trouvé le secret de mêler à ses tons la
pâleur du jour naturel. Un nuage blond cendré formait l'atmosphère;
là dedans fleurissait une chair nacrée, toute perlée des moiteurs de la vie.
Le sujet avait changé également; au lieu de la mondaine parée, c'était
la chair clans sa nudité. Les moires tremblantes de l'eau., dans le Bain,
laissaient deviner la fuite d'un beau corps. Ceux qui ont vu cette femme
extraordinaire savent bien qu'il n'y eut là rien de la virtuosité des
peintres peignant la chair pour la chair : la tête, en effet, dominait le
corps de sa volonté inflexible. C'était le sphynx impénétrable et muet,
auquel les hommes servent de pâture; c'était la « dévoreuse de cer-
velles », et il avait raison, l'homme d'esprit qui s'écriait en la voyant :

(i Pourvu qu'elle reste dans son cadre ! »

-1. Fait partie des Quatre Saisons commandés par le roi Léopold II. VÉtê, jolie
femme dans tout l'épanouissement de sa chair, le rire aux lèvres, l'œil émérillonné,
se détache en rose sur un fond vert constellé de fleurs. V'Automne est représenté par
une jeune femme rêveuse, le visage posé sur la main, en robe feuille morte, dans un
paysage rempli des mélancolies de la saison. L'Hiver est une mondaine à sa toilette,
le bras replié sur la tête et fixant une fleur à ses cheveux; une clarté rose illumine sa
mince silhouette blanche, enfermée clans la mousseline et les salins. On peut en voir
plus haut un croquis de l'artiste. Les quatre tableaux ornent au palais les panneaux
du salon rouge ou salon des ambassadeurs.
 
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