2U GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
chaise dont le dossier est garni d'étoffe, Molière se tourne vers le spec-
tateur et s'apprête à fixer, par le dessin ou l'écriture, sur des tablettes
qu'il tient de la main gauche, un de ces jeux de physionomie, une de ces
expressions typiques, recueillies dans sa mémoire, afin de la transporter
sur le théâtre l. L'air de tête est mélancolique et bon; le mouvement
du bras, plein de cette nonchalance apparente, propre à l'écrivain qui
cherche, avant de déposer sa pensée sur le papier, la forme la plus
propre à lui donner précision et clarté; trait cle physionomie d'autant
plus vrai qu'en raison des procédés de travail à lui imposés par les exi-
gences de sa vie habituelle, Molière devait écrire le moins possible,
presque du premier jet ; ce qui n'a pas peu contribué à rendre ses auto-
graphes rarissimes entre tous.
Le carnet de notes, que Mignard lui a mis dans la main, nous a fait
faire une autre remarque. On a souvent cité un passage de la comédie
de Zèlinde ou la Véritable Critique de VEscole des femmes, scène vi,
pour montrer les procédés qu'il employait dans la composition de ses
caractères; mais on n'y a pas vu, croyons-nous, tout ce qu'il contient.
Etudions-le cle nouveau avec quelque attention.
« Argimont. — Je l'ai trouvé appuyé sur ma boutique, dans la pos-
ture d'un homme qui rêve. Il avait les yeux collés sur trois ou quatre
personnes de qualités qui marchandaient des dentelles. 11 paraissait
attentif à leurs discours et il semblait, par le mouvement de ses yeux,
qu'il regardât jusqu'au fond de leurs âmes pour y voir ce qu'elles ne
disaient pas. Je crois même qu'il avait des tablettes et qu'à la faveur de
son manteau, il a écrit, sans être aperçu, ce qu'elles ont dit de plus
remarquable.
a Oriane. — Peut-être que c'était un crayon, et qu'il dessinait leurs
grimaces, pour les faire représenter au naturel sur son théâtre.
« Argimont. — S'il ne les a pas dessinées sur ses tarlettes, je ne
doute point qu'il ne les ait imprimées dans son imagination. »
Ne ressort-il pas surtout, cle ce témoignage contemporain, que Molière
savait dessiner et pouvait, au besoin, prendre un croquis? C'est, par
conséquent, la confirmation de ce que nous avons dit ailleurs de ses
aptitudes artistiques, nous appuyant uniquement, alors, sur la façon dont
!\. Ce n'est pas un livre proprement dit qu'il tient à la main, mais bien plutôt des
Tablettes, espèce d'agenda ou carnet pour prendre des notes. Si c'eût été réellement
un livre que le peintre eût voulu représenter, il n'eût pas manqué de figurer, au dos
de la reliure, une apparence de titre et quelque accessoire indiquant sur quoi devait
être inscrite la note, à l'aide de la plume.
chaise dont le dossier est garni d'étoffe, Molière se tourne vers le spec-
tateur et s'apprête à fixer, par le dessin ou l'écriture, sur des tablettes
qu'il tient de la main gauche, un de ces jeux de physionomie, une de ces
expressions typiques, recueillies dans sa mémoire, afin de la transporter
sur le théâtre l. L'air de tête est mélancolique et bon; le mouvement
du bras, plein de cette nonchalance apparente, propre à l'écrivain qui
cherche, avant de déposer sa pensée sur le papier, la forme la plus
propre à lui donner précision et clarté; trait cle physionomie d'autant
plus vrai qu'en raison des procédés de travail à lui imposés par les exi-
gences de sa vie habituelle, Molière devait écrire le moins possible,
presque du premier jet ; ce qui n'a pas peu contribué à rendre ses auto-
graphes rarissimes entre tous.
Le carnet de notes, que Mignard lui a mis dans la main, nous a fait
faire une autre remarque. On a souvent cité un passage de la comédie
de Zèlinde ou la Véritable Critique de VEscole des femmes, scène vi,
pour montrer les procédés qu'il employait dans la composition de ses
caractères; mais on n'y a pas vu, croyons-nous, tout ce qu'il contient.
Etudions-le cle nouveau avec quelque attention.
« Argimont. — Je l'ai trouvé appuyé sur ma boutique, dans la pos-
ture d'un homme qui rêve. Il avait les yeux collés sur trois ou quatre
personnes de qualités qui marchandaient des dentelles. 11 paraissait
attentif à leurs discours et il semblait, par le mouvement de ses yeux,
qu'il regardât jusqu'au fond de leurs âmes pour y voir ce qu'elles ne
disaient pas. Je crois même qu'il avait des tablettes et qu'à la faveur de
son manteau, il a écrit, sans être aperçu, ce qu'elles ont dit de plus
remarquable.
a Oriane. — Peut-être que c'était un crayon, et qu'il dessinait leurs
grimaces, pour les faire représenter au naturel sur son théâtre.
« Argimont. — S'il ne les a pas dessinées sur ses tarlettes, je ne
doute point qu'il ne les ait imprimées dans son imagination. »
Ne ressort-il pas surtout, cle ce témoignage contemporain, que Molière
savait dessiner et pouvait, au besoin, prendre un croquis? C'est, par
conséquent, la confirmation de ce que nous avons dit ailleurs de ses
aptitudes artistiques, nous appuyant uniquement, alors, sur la façon dont
!\. Ce n'est pas un livre proprement dit qu'il tient à la main, mais bien plutôt des
Tablettes, espèce d'agenda ou carnet pour prendre des notes. Si c'eût été réellement
un livre que le peintre eût voulu représenter, il n'eût pas manqué de figurer, au dos
de la reliure, une apparence de titre et quelque accessoire indiquant sur quoi devait
être inscrite la note, à l'aide de la plume.