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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Thèbes dont un cercle de temples géants marque encore le contour. Seuls
en avant dans ce cercle vide, les colosses jumeaux de Memnon se tiennent
en vedette et fixent l'horizon qui, chaque matin, depuis trente-cinq siè-
cles, leur envoie les premiers rayons du jour.
Pendant qu’Abd-er-Rassoul, dans son charmant Salamlik, nous faisait
servir le café de rigueur en adressant des adieux déchirants mais un peu
théâtrals, à ses femmes noirâtres et à ses enfants nus, comme s’il ne
devait jamais les revoir, on sondait les murs et le sol de l’habitation ; on
fouillait les grottes funéraires de la montagne dont il a fait des magasins.
La nuit s’écoulant sans résultats et les aveux ne venant pas, il fallut bien
remettre l’enquête aux mains un peu rudes de la justice indigène, c’est-
à-dire envoyer le patient à Kénèh, chef-lieu de la province où réside le
moudyr ou gouverneur, lequel était alors l’énergique et légendaire Daoud
pacha. En descendant de cet ermitage par un grand clair de lune, avec
bruits de chaînes, lamentations et soldats, nous étions loin de supposer
que, moins d’un an après, on y reviendrait en vainqueurs et en amis et
que dans le rayon de notre vue, à quelques pas dans un coin perdu, gi-
saient les secrets étonnants qu’on s’obstinait à nier.
Deux mois se passèrent après notre départ de Thèbes, pendant les-
quels le prisonnier de Kénèh ne faiblit point dans ses épreuves ni dans ses
dénégations. Il reçut de tous les notables de sa localité le témoignage
qu’il est l'homme le plus loyal et le plus désintéressé, « qu’il n’avait
jamais fouillé et ne fouillerait jamais : qu’il était incapable de détourner le
moindre objet d’antiquité, à plus forte raison de violer une tombe
royale! » Faute de preuves, on lui rendit la liberté; mais à peine était-il
revenu à sa montagne avec le brevet d’honnêteté immaculée, que la dis-
corde se mit entre lui et ses frères associés qu’effrayaient son sort et le
retour prochain de M. Maspero. C’est alors que l’aîné des frères ennemis,
Mohammed Abd-er-Rassoul, se rendit secrètement auprès du moudyr de
Kénèh et lui fit des aveux aussi complets qu’imprévus. Le khédive en fut
instruit et donna ordre à la Direction du musée de se transporter à Louqsor
pour prendre possession de la cachette signalée. En l’absence de M. Mas-
pero qui était en France, M. Émile Brugsch, conservateur adjoint, s’y
rendit avec Ahmet effendi Kamal, secrétaire du musée, aujourd’hui di-
recteur de l’école d’égyptologie indigène.
Le 6 juillet, l’Arabe traître mais providentielles conduisit précisément
derrière la montagne de Scheik/i Abd-el-Gournah, à une faible distance de
la maison où trois mois auparavant nous avions fait tant de vaines re-
cherches. Les rochers qui, en cet endroit, bornent à l’ouest la vallée du
Nil, forment des falaises abruptes qu’aux temps géologiques le fleuve,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Thèbes dont un cercle de temples géants marque encore le contour. Seuls
en avant dans ce cercle vide, les colosses jumeaux de Memnon se tiennent
en vedette et fixent l'horizon qui, chaque matin, depuis trente-cinq siè-
cles, leur envoie les premiers rayons du jour.
Pendant qu’Abd-er-Rassoul, dans son charmant Salamlik, nous faisait
servir le café de rigueur en adressant des adieux déchirants mais un peu
théâtrals, à ses femmes noirâtres et à ses enfants nus, comme s’il ne
devait jamais les revoir, on sondait les murs et le sol de l’habitation ; on
fouillait les grottes funéraires de la montagne dont il a fait des magasins.
La nuit s’écoulant sans résultats et les aveux ne venant pas, il fallut bien
remettre l’enquête aux mains un peu rudes de la justice indigène, c’est-
à-dire envoyer le patient à Kénèh, chef-lieu de la province où réside le
moudyr ou gouverneur, lequel était alors l’énergique et légendaire Daoud
pacha. En descendant de cet ermitage par un grand clair de lune, avec
bruits de chaînes, lamentations et soldats, nous étions loin de supposer
que, moins d’un an après, on y reviendrait en vainqueurs et en amis et
que dans le rayon de notre vue, à quelques pas dans un coin perdu, gi-
saient les secrets étonnants qu’on s’obstinait à nier.
Deux mois se passèrent après notre départ de Thèbes, pendant les-
quels le prisonnier de Kénèh ne faiblit point dans ses épreuves ni dans ses
dénégations. Il reçut de tous les notables de sa localité le témoignage
qu’il est l'homme le plus loyal et le plus désintéressé, « qu’il n’avait
jamais fouillé et ne fouillerait jamais : qu’il était incapable de détourner le
moindre objet d’antiquité, à plus forte raison de violer une tombe
royale! » Faute de preuves, on lui rendit la liberté; mais à peine était-il
revenu à sa montagne avec le brevet d’honnêteté immaculée, que la dis-
corde se mit entre lui et ses frères associés qu’effrayaient son sort et le
retour prochain de M. Maspero. C’est alors que l’aîné des frères ennemis,
Mohammed Abd-er-Rassoul, se rendit secrètement auprès du moudyr de
Kénèh et lui fit des aveux aussi complets qu’imprévus. Le khédive en fut
instruit et donna ordre à la Direction du musée de se transporter à Louqsor
pour prendre possession de la cachette signalée. En l’absence de M. Mas-
pero qui était en France, M. Émile Brugsch, conservateur adjoint, s’y
rendit avec Ahmet effendi Kamal, secrétaire du musée, aujourd’hui di-
recteur de l’école d’égyptologie indigène.
Le 6 juillet, l’Arabe traître mais providentielles conduisit précisément
derrière la montagne de Scheik/i Abd-el-Gournah, à une faible distance de
la maison où trois mois auparavant nous avions fait tant de vaines re-
cherches. Les rochers qui, en cet endroit, bornent à l’ouest la vallée du
Nil, forment des falaises abruptes qu’aux temps géologiques le fleuve,