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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Avait-il, pendant ce séjour de neuf mois, oublié qu’il était peintre?
Non, sans doute; mais, pour raconter ce chapitre de sa vie, les docu-
ments authentiques sont tout à fait rares.
Si, en arrivant à Madrid, Rubens avait eu l’heureuse fortune de
rencontrer le jeune Velâzquez, il n’eut, à Londres, aucune aventure
pareille. L’école anglaise, au moment de son voyage, existait à peine.
Le serjeant-painter, chargé des besognes officielles, — décors pour les
fêtes, dessins des costumes et des mascarades, — était alors John de
Critz, personnage peu redoutable. Balthazar Gerbier, que Rubens
voyait tous les jours, est un miniaturiste qui ne compte pas. Le roi et
les gens de la cour, quand ils voulaient une bonne peinture, devaient
la demander à un artiste étranger. Parmi les maîtres venus des
Pays-Bas ou de l’Allemagne, plusieurs avaient du talent. Presque
tous faisaient le portrait à l’ancienne mode ou, pour mieux dire, à la
mode tranquille de Mierevelt et de Porbus. On voyait briller dans ce
groupe Cornelis Janson van Ceulen, cher à Dudley Carleton, et
Daniel Mytens qui avait peint, en 1627, le beau portrait de Charles Ier
du musée de Turin. Le Mecklembourgeois Francis Cleyn fournissait
des modèles aux tapissiers de Mortlake. Honthorst, l’ami de Rubens,
fit à cette époque une courte apparition en Angleterre. Le 4 mai 1629,
il recevait du roi une pension de 300 livres; mais bientôt après il
repartait pour Utrecht. En réalité, l’homme à la mode, celui qui,
mieux que tout autre, avait appris aux Anglais le charme facile du
pinceau flamand, c’était Van Dyck. L’élève, venu le premier, faisait
aimer le maître. Mais quand Rubens arriva à Londres, Van Dyck
était retourné à Anvers : les deux artistes ne se rencontrèrent pas.
Les choses s’arrangeaient donc de telle sorte que, sauf deux ou trois
portraitistes patients et sages, Rubens ne trouvait en Angleterre
aucun concurrent sérieux, aucun rival de quelque envergure.
Mais il y trouvait beaucoup d’œuvres d’art, et il put largement
satisfaire le besoin d’apprendre qui était au fond de son âme. Comme
curieux, il fut enchanté. Chez le roi et chez les gentilshommes, il vit
bien des trésors, et l’étude de ces merveilles devint la consolation de
son exil. Il s’en explique dans une lettre adressée à Dupuy, le
8 août 1629 : Questa isola, écrit-il, mi pare un theatro degno délia
curiosità dogni galant’ huomo. Et ce qui l’intéresse surtout, c’est
moins la beauté du pays et le luxe de la vie seigneuriale que l’in-
croyable quantité de peintures excellentes, de statues et d’ins-
criptions antiques qu’on est heureux de montrer à un aussi rare
connaisseur. Ainsi Rubens, pendant son séjour en Angleterre, put
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Avait-il, pendant ce séjour de neuf mois, oublié qu’il était peintre?
Non, sans doute; mais, pour raconter ce chapitre de sa vie, les docu-
ments authentiques sont tout à fait rares.
Si, en arrivant à Madrid, Rubens avait eu l’heureuse fortune de
rencontrer le jeune Velâzquez, il n’eut, à Londres, aucune aventure
pareille. L’école anglaise, au moment de son voyage, existait à peine.
Le serjeant-painter, chargé des besognes officielles, — décors pour les
fêtes, dessins des costumes et des mascarades, — était alors John de
Critz, personnage peu redoutable. Balthazar Gerbier, que Rubens
voyait tous les jours, est un miniaturiste qui ne compte pas. Le roi et
les gens de la cour, quand ils voulaient une bonne peinture, devaient
la demander à un artiste étranger. Parmi les maîtres venus des
Pays-Bas ou de l’Allemagne, plusieurs avaient du talent. Presque
tous faisaient le portrait à l’ancienne mode ou, pour mieux dire, à la
mode tranquille de Mierevelt et de Porbus. On voyait briller dans ce
groupe Cornelis Janson van Ceulen, cher à Dudley Carleton, et
Daniel Mytens qui avait peint, en 1627, le beau portrait de Charles Ier
du musée de Turin. Le Mecklembourgeois Francis Cleyn fournissait
des modèles aux tapissiers de Mortlake. Honthorst, l’ami de Rubens,
fit à cette époque une courte apparition en Angleterre. Le 4 mai 1629,
il recevait du roi une pension de 300 livres; mais bientôt après il
repartait pour Utrecht. En réalité, l’homme à la mode, celui qui,
mieux que tout autre, avait appris aux Anglais le charme facile du
pinceau flamand, c’était Van Dyck. L’élève, venu le premier, faisait
aimer le maître. Mais quand Rubens arriva à Londres, Van Dyck
était retourné à Anvers : les deux artistes ne se rencontrèrent pas.
Les choses s’arrangeaient donc de telle sorte que, sauf deux ou trois
portraitistes patients et sages, Rubens ne trouvait en Angleterre
aucun concurrent sérieux, aucun rival de quelque envergure.
Mais il y trouvait beaucoup d’œuvres d’art, et il put largement
satisfaire le besoin d’apprendre qui était au fond de son âme. Comme
curieux, il fut enchanté. Chez le roi et chez les gentilshommes, il vit
bien des trésors, et l’étude de ces merveilles devint la consolation de
son exil. Il s’en explique dans une lettre adressée à Dupuy, le
8 août 1629 : Questa isola, écrit-il, mi pare un theatro degno délia
curiosità dogni galant’ huomo. Et ce qui l’intéresse surtout, c’est
moins la beauté du pays et le luxe de la vie seigneuriale que l’in-
croyable quantité de peintures excellentes, de statues et d’ins-
criptions antiques qu’on est heureux de montrer à un aussi rare
connaisseur. Ainsi Rubens, pendant son séjour en Angleterre, put