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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 34.1886

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Renan, Ary: Gustave Moreau, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.19428#0043
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

calme supérieur, dénuées d’action violente, animées d’une vie sereine
et de passions tempérées. On dirait qu’ils obéissent aux règles qui
dominent la sculpture classique. On s’imagine par instants que l’ar-
tiste fait quelque sacrifice à une prédilection cachée pour les lignes
tranquilles et la simplicité du décor; il n’en est rien. Le caractère,
la passion, le jeu des sentiments pathétiques ne perdent pas à être
ainsi contenus et réservés. L’artiste est guidé dans cette voie par une
volonté réfléchie, celle de maintenir son art dans les limites qui lui
sont assignées, et, sans jamais excéder ses limites, de parler à l’esprit
par tous les artifices possibles.

Ne jamais déranger l’eurythmie, telle est, ce me semble, la préoccu-
pation première de M. Gustave Moreau. On dira que c’est là une loi
artistique tombée en désuétude, abolie par l’usage et que la sculpture
elle-même a souvent transgressée. Les connaisseurs de l’antiquité qui
ont disserté sur les raisons qui nous la font admirer sont tombés
dans l’oubli. Ils avaient d’ailleurs le tort de ne pas séparer comme il
convient les nécessités des arts plastiques de celles de la poésie. Une
erreur commune de la critique, en effet, consiste en ce qu’elle ne fait
pas le départ net entre les nécessités de la peinture de style et celles
de la poésie élevée (poésie lyrique ou dramatique). La critique suppose
que la peinture a plus de moyens qu’elle n’en a en réalité ; on oublie
que la peinture est limitée dans le temps comme elle l’est dans l’es-
pace. Il faut pourtant s’y résigner. Un tableau ne peut représenter
qu’un moment; il est vrai qu’il doit éterniser ce moment. Le véritable
pathétique, ce qu’on appellera toujours les grandes actions, se déroule
en plusieurs actes. Le pathétique est le propre du théâtre. L’art anti-
que s’est passé du pathétique; il s’est contenté de la beauté, de l’eu-
rythmie, de l’harmonie des lignes. Pourquoi? Parce que le pathétique
a sa place ailleurs : au théâtre.

L’art dramatique et l’art plastique sont assujetis à des règles
opposées. Tous les sentiments que l’un saura bien représenter seront
déplacés dans l’autre ; l’art plastique n’est pas fait pour représenter
l’amour, ni la haine1, ces deux grands mobiles de l’émotion scénique; il
ignore les péripéties, les incidents et les dénouements ; le pathétique a
besoin d’être simulé vivant, et le taureau Farnèse est à jamais immobile.

I. « La passion est chose naturelle, trop naturelle même, pour ne pas introduire
un ton blessant, discordant, dans le domaine de la Beauté pure, trop familière et
trop violente pour ne pas scandaliser les purs Désirs, les gracieuses Mélancolies et
les nobles Désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la poésie. » (Baude-
laire, Y Art romantique.)
 
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