Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2. Pér. 34.1886)

GUSTAVE MOREAU

(DEUXIÈME ET DERNIER a R T I C F. E 1. )

III

onner une nouvelle vie à la tradition morte, une
réalité plastique au rêve, une forme à l’idée
pure, c’est pratiquer l’enchantement de l’art.
Dur et charmant labeur! Hélas! il ne suffit pas
d’un désir pour évoquer à l’état d’image définie
les sentiments abstraits et les fictions idéales :
le désir serait sans vertu s’il n’était conduit
et servi par une intelligence et des moyens di-
gnes de lui. Après l’imagination créatrice qui vivifie la matière inerte,
il faut l’art, qui ordonne les éléments de l’œuvre et qui procède d’après
les principes d’une esthétique raisonnée et nettement déduite. L’idée,
c’est l’or ou c’est le plomb; c’est.le métal en fusion. Il faut jeter cette
fonte dans un moule qui lui convienne, qui la reçoive tout entière
et ne reçoive qu’elle, qui soit d’un galbe pur et beau, d’un profil gra-
cieux et noble; enfin, s’il est possible, le relief, une fois dégagé de sa
gangue, devra apparaître parfait, homogène, incorruptible, en sorte
qu’il semble destiné à durer éternellement sans que rien puisse
l’altérer ni le ternir.

M. Gustave Moreau possède le secret d’un style qui lui appartient
en propre. Ce style repose sur un principe qui n’est emprunté à
aucune esthétique dogmatique, mais qui, pour n’être écrit nulle part,
n’en est pas moins une loi gravée depuis bien longtemps dans la
conscience des grandes générations qui ont posé les hases de l’art. Les
compositions de M. Gustave Moreau sont généralement empreintes d’un

1. Voy. Gazette des beaux-arts, 2e période, t, XXXIII, p. 377,